L’UFDG et ses partis alliés « dénoncent la fraude massive orchestrée ». Son leader, Cellou Dalein Diallo, a décidé d’en tirer les conséquences politiques.
Ce lundi, la démocratie guinéenne apparaîtra encore plus aux yeux des nationaux comme des observateurs internationaux comme une construction inachevée. Et il y a de quoi s’interroger sur la suite de cette présidentielle du 11 octobre. D’ores et déjà, Cellou Dalein Diallo, dans un communiqué, a annoncé qu’il ne reconnaîtra pas les résultats des suffrages du 11 octobre.
À l’appui de cette décision, le constat fait par lui-même, son équipe de campagne et ses alliés de « la fraude massive orchestrée par le pouvoir en place ». Il s’agit là d’une confirmation de la menace lancée vendredi 9 octobre par le collège des sept candidats de l’opposition compte tenu disaient-ils « de la gravité des événements qui se sont déroulés dans toute la Guinée ». Au coeur des griefs avancés, l’UFDG pointe le fait que certains de ses délégués ont fait remonter à la direction du parti « des incidents et intimidations dont beaucoup d’entre eux ont été victimes ». « Tout a été mis en place par le pouvoir pour empêcher les électeurs des fiefs de l’UFDG et d’autres partis de l’opposition d’aller voter », accusent les partisans de Cellou Dalein Diallo, qui indiquent « avoir partagé [leurs] informations avec la presse nationale et internationale ainsi qu’avec les organisations internationales et la communauté internationale par des points réguliers et précis ».
En tout cas, selon l’AFP, des dysfonctionnements troublants ont eu lieu, notamment dans la banlieue de Conakry où on a voté dans un bus à l’abandon ou dans une station-service.
À Ratoma, un bus abandonné est improvisé en bureau de vote
Selon la description de l’AFP, « de longues files d’électeurs se sont pressées dans la banlieue de Conakry pour monter dans un bus à l’abandon. Pas pour se déplacer, en ce dimanche de présidentielle où la circulation est restreinte, mais pour exprimer leur suffrage dans ce bureau de vote improvisé ». « C’est dans cette voie de garage, où pourrissent des véhicules hors d’usage, qu’ont échoué 476 électeurs de Ratoma, dans la banlieue de Conakry, fief de l’opposition guinéenne, après avoir été ballottés de bureau de vote en bureau de vote », poursuit l’agence. Et de relater : « Assis à terre, adossé à un de ces véhicules, un jeune électeur, en maillot du FC Barcelone, fulmine : Je suis là depuis 6 heures, incapable de trouver où voter ». « On a changé de bureau de vote à deux reprises », raconte-t-il, « chaque fois ils nous disent que ce n’est pas bon » pour accueillir les électeurs. « C’est ainsi qu’ils nous ont envoyés dans ce gros bus. C’est honteux. Regardez, on dirait une cachette pour les bandits. Tous les médias viennent nous filmer », s’indigne le jeune homme, qui ne veut donner que son nom de famille, Diallo. Garé au fond de la cour d’une école, le bus, reconverti en bureau de vote n° 6, garde encore ses fenêtres, et ses deux portes servent à l’entrée et à la sortie des électeurs, qui ont commencé à voter avec plus de deux heures de retard.
À l’intérieur, il n’y a de place, en plus des assesseurs, que pour deux électeurs à la fois. Pendant que l’un vote au fond derrière un drap tendu en guise d’isoloir, un autre accomplit les formalités à l’entrée. « Comment peut-on nous envoyer dans ce gros bus alors qu’il y a des salles de classe disponibles ? » s’insurge une femme voilée portant le même patronyme, Diallo. « Mon problème est de savoir si notre vote sera validé », précise-t-elle, assise sur le capot d’un autre bus. Hommes et femmes sont répartis en deux files d’attente d’où monte une exaspération croissante. Lorsque les membres du bureau de vote sont arrivés dans l’école voisine où devait se tenir le scrutin, ils ont trouvé les salles de classe fermées, se justifie Daouda Mohamed Souaré, le président du bureau. « Donc, puisque les électeurs étaient mobilisés, on était obligés de s’arranger et finalement on a trouvé ce bus. »
Dans le quartier de Cellou Diallo, on vote à ciel ouvert dans une station-service
Autre constat de l’AFP. Un peu plus loin, dans le quartier de Dixinn, où habite le chef de file de l’opposition Cellou Dalein Diallo, c’est dans une station-service que les électeurs remplissent leur devoir civique. « Aux législatives de 2013, j’étais déjà venu voter ici », précise Boubacar Bah, informaticien de 30 ans, se souciant surtout « que le vote soit reconnu par toutes les forces politiques ». Au bureau de vote du chef de l’opposition, également en plein air, hommes et femmes en deux lignes distinctes attendent patiemment de pouvoir passer derrière deux hauts pupitres qui font office d’isoloir.
Un peu partout, indépendamment du site retenu, la fastidieuse recherche de chaque électeur sur la liste par les membres des bureaux de vote retarde considérablement les opérations, puisqu’ils ne sont pas classés, ni par ordre alphabétique ni même numérique. Son index verni parcourant page à page le registre d’émargement, une assesseure se fait éclairer à la lampe-torche par ses collègues : la pluie assombrit la fin d’après-midi et les néons du centre pour malvoyants du quartier de Ratoma où est installé le bureau de vote ne fonctionnent pas. « Chaque électeur doit être retrouvé quelque part dans la liasse de feuilles dont dispose le bureau de vote, ça peut prendre du temps, hélas », a reconnu le chef de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, Frank Engel, appelant les citoyens à s’armer de patience. En fin d’après-midi, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a autorisé les bureaux de vote ouverts en retard à reporter d’autant leur horaire de fermeture.
Des dysfonctionnements, des dénonciations
De tels dysfonctionnements ont fini par pourrir une atmosphère électorale déjà chargée. Et ce ne sont pas les cas d’exactions et d’anomalies relevées par l’opposition qui semblent pouvoir arranger la situation. Quelques exemples mis en exergue : l’autorisation par la Céni du « vote sans enveloppe » en flagrante violation de l’article 67 du Code électoral, l’appel au vote avec d’anciennes cartes d’électeur, donc invalides. En exemple : Kankan. Il y a aussi ces « centaines de bureaux de vote qui n’ont pas reçu un nombre suffisant de bulletins de vote », le fait que de nombreux électeurs n’ont « pas retrouvé leurs noms sur les listes électorales », le « remplacement par des membres du RPG (parti de Condé) » après qu’ils ont été « chassés et arrêtés » de « plus d’une centaine de délégués de l’UFDG à Kouroussa, Kissidougou et Kérouané, soit sur un total de 1 361 bureaux de vote », les militaires « arrivés en masse à Coyah avec des procurations, bousculant les files d’électeurs et intimidant les délégués sur place », le fait qu’à Kankan, « les délégués de l’UFDG de toute la sous-préfecture de Missamana ont été chassés dans la nuit de samedi à dimanche et ont dû se réfugier dans des villages en dehors de la sous-préfecture, ce qui les a empêchés d’accomplir leur rôle », « le dépouillement opéré par des militaires à Kissidougou et Kérouané » après avoir « chassé tous les délégués de l’opposition »… Autant de griefs qui justifient, selon l’opposition, la non-reconnaissance des résultats du vote du 11 octobre. Les lendemains d’élections promettent d’être âpres.
James Barma et l’AFP