PLANTER OU REPLANTER – Depuis une dizaine d’années, les autorités gabonaises ont pris des mesures pour protéger la forêt primaire du pays, pour des raisons à la fois environnementales et économiques.
La pirogue perce les flots sous une pluie abondante, laissant dans son sillage une traînée blanche qui se mêle aux racines de la mangrove. Elle remonte à vive allure la Moka, dans le parc de l’Akanda, l’un des trois parcs nationaux à la périphérie de Libreville, la capitale du Gabon.
À son bord, une poignée d’écogardes en uniforme vert kaki. Leur mission ? Défendre le parc de ceux qui le menacent : les pêcheurs, les chasseurs, les entrepreneurs peu consciencieux, les habitants de Libreville à la recherche d’un logement ou d’une ressource lucrative.
IL A FALLU UNE DIZAINE D’ANNÉES AUX AUTORITÉS GABONAISES POUR PROTÉGER L’AKANDA
Sans la volonté de le protéger, cet espace naturel serait condamné à s’appauvrir avant de disparaître. Il a fallu une dizaine d’années aux autorités gabonaises pour protéger l’Akanda, en premier lieu des pêcheurs du Nigeria tout proche, venus s’installer sur les rives de la Moka.
« Quand nous avons reçu l’ordre de les “déguerpir”, en 2012, il y a eu du grabuge, des luttes au corps à corps. Parfois, on recevait des cocktails Molotov. Nous avons eu quatre ou cinq blessés dans nos rangs », se souvient Gilbert, 32 ans, écogarde depuis cinq ans.
La pirogue accoste sur les rives de l’un de ces villages démantelés. Sur le sol, des détritus abandonnés à la pluie tropicale, vestiges d’une occupation humaine sans contrôle et sans maîtrise. « Il y avait environ 200 personnes, note Gilbert. Sans nos rondes, ils se réinstalleraient ici. »
Si avec les pécheurs nigérians les tensions sont toujours vives, le jeune écogarde explique qu’ils ne sont pas les plus dangereux. Le parc est un lieu de passage pour les clandestins. « Les passeurs sont guinéens. Ils sont armés et ils n’hésitent pas à ouvrir le feu », dit-il.
L’UNE DES PLUS ANCIENNES FORÊTS DU MONDE
L’Akanda est l’un des treize parcs nationaux créés par le gouvernement pour sanctuariser une partie de la forêt primaire du bassin du Congo, qui recouvre 87 % de son territoire. Cette forêt est l’une des plus anciennes du monde, des plus magnifiques, des plus riches et des plus majestueuses. Elle s’étend de la Centrafrique au Cameroun, de la République démocratique du Congo au Gabon.
Au-delà de sa beauté et de ses fabuleuses richesses naturelles, elle joue un rôle dans la lutte contre le changement climatique. « 20 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre sont séquestrés par les forêts dans le monde, souligne Yves Picard, le directeur de l’Agence française de développement (AFD) au Gabon. Selon les experts, ces puits de carbone se répartissent équitablement entre zones tropicales et zones tempérées/boréales. »
Le rôle de la forêt du bassin du Congo serait quasiment équivalent à celui du bassin amazonien pour la séquestration du CO2. D’où l’importance de la protéger.
« LES NOUVELLES AUTORITÉS ONT DÉCIDÉ DE SE POSITIONNER COMME ACTEURS DE LA PROTECTION DES FORÊTS »
Le Gabon s’est engagé à le faire, depuis des années, comme en témoigne le parc de l’Akanda. Une initiative lancée d’abord par Omar Bongo, président du Congo entre 1967 et 2009. Selon le discours officiel, celui-ci se serait préoccupé de la forêt après avoir rencontré Lee White, une figure mondiale de la défense de l’environnement, aujourd’hui directeur de l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon (ANPN). « Je lui ai montré des photos de la forêt en 2002. Il a pris conscience de sa beauté. Il s’est alors engagé à la protéger », affirme-t-il.
En 2002, Omar Bongo crée les 13 parcs nationaux et, en 2007, l’ANPN. Une ambition reprise par son fils et successeur, Ali Bongo, dès 2009. « Les nouvelles autorités ont décidé de se positionner comme acteurs de la protection des forêts », constate Yves Picard.
Parmi les premières décisions prises, l’obligation faite aux compagnies forestières de transformer les agrumes sur place avant de les exporter, afin de limiter les déchets et de développer les activités liées à la transformation du bois.
« NOUS NE VOULONS PAS METTRE NOS FORÊTS SOUS CLOCHE »
Au Gabon, la protection de la forêt ne se fait pas au détriment du développement économique. « Nous ne voulons pas mettre nos forêts sous cloche, résume Tanguy Gahouma-Bekale, secrétaire général du Conseil national climat. La lutte contre le changement climatique doit s’adapter aux réalités de notre pays et à son développement. »
Pour répondre à cette exigence, les autorités gabonaises ont réformé les contrats d’exploitation des compagnies forestières, mis en place un système de surveillance par satellite des forêts et s’apprêtent à développer un tourisme vert.
L’exploitation durable de la forêt gabonaise est aussi comprise comme une alternative à la production pétrolière. Pour l’heure, les revenus du Gabon reposent essentiellement sur cette dernière : 39 % de son produit intérieur brut et 84 % de ses recettes d’exportation.
« L’ÉLAN EN FAVEUR DE L’EXPLOITATION DURABLE DE LA FORÊT EST FRAGILE »
Mais les ressources ne sont pas illimitées ; faute de découverte majeure au cours des trente dernières années, sa production de brut (230 000 barils/jour) décroît. Et la chute du cours du pétrole, commencée en 2014, fragilise son économie. Ce contexte le contraint à diversifier ses activités.
Mais le Gabon en aura-t-il les moyens ? « L’élan en faveur de l’exploitation durable de la forêt est fragile, s’inquiète Éric Arnhem, de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS). Il peut retomber comme un soufflé. L’ANPN a des problèmes de trésorerie. Les écogardes sont à la limite de ne pas être payés. »
En attendant, le Gabon affiche sa volonté de bien faire. Parmi les pays africains, il a même été le premier à faire part de sa contribution à la Conférence mondiale sur le climat à Paris (COP21) : limiter d’au moins 50 % la croissance prévue de ses émissions de gaz à effet de serre.
Laurent Larcher (envoyé spécial à Libreville, au Gabon)