Agissement des agents des forces de polices, décentralisation, loi sur les rassemblements publics et organisation des élections politiques, le 8 novembre dernier, sur la matinale de Radio Gabon, le ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation, de la Sécurité et de l’Hygiène publiques, a dit prendre toute la mesure des critiques exprimées contre son département, non sans défendre les actions menées par celui-ci depuis 2009.
L’actualité du moment est principalement axée sur la protestation des commerçants de Mont-Bouët contre la saisie brutale de leurs marchandises par des agents des forces de police. Protestation qui a conduit à l’immolation et au décès d’un jeune Gabonais. La réaction du ministère sur cette situation…
Il faut dire que ces deux questions sont effectivement d’une très forte actualité. Au sujet des femmes dénudées, nous avons tous regardé la vidéo sur les réseaux sociaux et nous avons tous été indignés par ces images de Gabonaises en train d’être débarquées d’un camion. Les personnels de police qui ont été saisis en train de filmer et de mettre ces images sur le net ont évidemment été sanctionnés. Ce sont des sanctions conservatoires pour le moment, mais une enquête a été ouverte. Maintenant sur le fait que ces femmes sont apparues dénudées, elles l’ont fait elles-mêmes. Vous savez qu’aujourd’hui il y a plusieurs formes de manifestation dans le monde, à l’instar de la place de Paris où, il y a quelques temps, des femmes, les Femens, dont la forme de manifestation est de se déshabiller. Ce sont de nouvelles façons de faire auxquelles nos forces de police doivent également s’adapter et prendre des mesures conséquentes pour conserver leur dignité. Mais il faut également dire que leur marchandise n’a pas été saisie. La question qui se pose avec ces dernières, c’est l’occupation de la voie publique. Une situation qu’il a fallu régler, parce qu’encadrée par la loi.
Au sujet du jeune homme (Bérenger Obame Ntoutoume, ndlr), il y a beaucoup de tristesse. Déjà, parce que c’est la première fois dans l’histoire du Gabon que nous vivons une scène comme celle-là. Je voudrais adresser toutes mes condoléances à la famille, parce que voir un enfant mourir dans ces conditions, c’est tout de même grave. Dans ce cas, il y avait aussi une occupation de la voie publique. Sa marchandise a été saisie, emportée à la préfecture de police et il lui a été demandé de venir la récupérer. Mais au moment de sa récupération, il se trouve qu’il s’est aspergé de pétrole lampant à l’extérieur de la préfecture de police, et c’est en feu qu’il a pénétré l’enceinte de l’établissement. Aujourd’hui, nous ne pouvons que déplorer cette situation, et faire en sorte que cette espèce de racket mené par quelques agents des forces de police nationale véreux sur la place de Libreville, sur les marchés, ne nous entraine plus dans des situations extrêmes comme celle-là, et qu’elle n’entache pas le travail énorme que font les forces de sécurité sur le terrain. J’en suis véritablement attristé.
Parlons de l’hygiène publique. Qui des mairies ou de votre département ministériel, est chargé de la question ? Pourquoi ce mélange des genres entre les agents de la police municipale et ceux de la police nationale sur le terrain ?
C’est une question primordiale, d’autant qu’en réalité, elle est axée sur la question de la décentralisation. Pour le moment, ces sujets sont organisées de façon centrale pour ce qui concerne l’Hôtel de Ville, et gérés principalement par le ministère de l’Intérieur, en partenariat avec la municipalité de Libreville. Pour ce qui concerne l’économie environnante de Libreville ou de l’intérieur du pays, ces questions sont directement gérées par les différentes communes.
Ces marchandises saisies par les agents ont souvent pris des destinations inconnues et ne sont que rarement restituées aux propriétaires qui essaient de lutter contre le chômage persistant. Comment comprendre cette persécution ?
Vous soulevez deux questions différentes : celle de la disparition des marchandises et celle de leur saisie dans des conditions qui sont légalement établies. Or, se pose le problème de la façon dont ces marchandises sont saisies et les personnes qui les saisissent. Je disais tantôt qu’il y a, au sein de la corporation des forces de police, un certain nombre d’agents véreux, dont la principale activité, à ce jour, est la saisie des marchandises et leur restitution contre le paiement d’une espèce de redevance qui ne dit pas son nom. Ce qu’il convient de faire, c’est de restituer une certaine autorité et une notoriété à cette police, pour mettre hors d’état de nuire tous les agents véreux. C’est l’axe sur lequel nous travaillons actuellement sur instructions du chef de l’Etat et du Premier ministre. Vous l’avez souligné, il y a un niveau de chômage quelque peu élevé, il faut donc donner la possibilité aux Gabonais qui veulent exercer dans le commerce de le faire en toute légalité. Il nous revient donc de formaliser les lieux de vente et les produits, de sécuriser ces commerçants, parce qu’occupant la voie publique, alors que nous entendons avoir des endroits dédiés au commerce. Et nous sommes en discussion avec les autorités municipales sur ces différentes questions.
Au sujet du geste des commerçantes. L’on a évoqué le trouble à l’ordre public. Qu’en est-il exactement ?
La loi gabonaise est claire. Il s’agit, d’un côté, d’un trouble à l’ordre public et, de l’autre, d’une atteinte à la pudeur. Plusieurs Gabonais, y compris moi-même, ont été choqués de voir ces images sur internet. Il faut dire que les personnes qui étaient sur la place ont également été choquées de voir ces femmes se déshabiller. Un acte qui n’est pas en accord avec notre législation.
Et que prévoit la loi face à cette situation ?
La loi prévoit qu’elles soient prises et envoyées aux services compétents pour que des sanctions soient prises à leur encontre. Nous avons une police qui est forte, agissante, présente au quotidien, qui intervient dans plusieurs domaines. Lorsqu’on parle de ces policiers véreux, on ne doit pas oublier qu’il s’agit d’une petite partie de cette police, contrairement à la partie la plus importante en qui nous avons entièrement confiance. C’est certainement la précarité qui pousse ces agents véreux à agir de la sorte, en dépit de l’augmentation des salaires mise en place par le chef de l’Etat.
Et sur la question de la police de proximité. Où en est-on, alors que les policiers à vélo sont quasiment invisibles et que les braquages sont toujours légion dans les quartiers de la capitale ?
Il y a qu’au niveau international, il existe un ratio pour le nombre de policiers par habitant. Et le ratio, c’est un policier pour cent habitants. Pour une population de 1 800 000 habitants, on devrait avoir une population de police de 18 000 agents. Ce qui n’est pas encore le cas. Il faut relever que le président de la République a pris la décision d’augmenter ce nombre, avec des recrutements de l’ordre de 3 000 chaque année, pour qu’on ait une population policière suffisamment importante.
Ces recrutements se font-ils après des enquêtes de moralité ?
C’est ce qui doit être fait, mais il faut dire que pour certaines vagues de recrutements qu’il y a eues, les procédures n’ont pas toujours été respectées. Je voudrais signaler que depuis un mois à deux mois, nous avons procédé au renvoi des écoles de police de plus d’une centaine d’élèves policiers, et qu’une commission ad hoc a été mise en place pour passer en revue l’ensemble des dossiers et les modalités de recrutement de ces agents.
Sur un autre sujet à présent : l’opération d’enrôlement qui manque encore d’engouement après son lancement le 31 octobre dernier. Est-ce le fait exclusif de votre ministère ou le lancement de l’opération doit-elle émaner d’un consensus des différents acteurs politiques ?
L’enrôlement fait partie des éléments consensuels des responsables politiques, qui sont effectivement au centre de l’opération qui est liée aux rapports institués entre le ministère de l’Intérieur et la classe politique. Pour une plus grande transparence exigée par cette classe politique, il a fallu concevoir une liste biométrique électorale. Pour ce faire, il a été mis en place au ministère de l’Intérieur, tête de proue, les 105 commissions d’enrôlement au sein desquelles les partis politiques sont représentés à parité. Nous avons également la Cenap (Commission électorale nationale autonome et permanente, ndlr), qui met en place des commissions autonomes, et c’est ensemble que nous poursuivons cette opération.
A quand la biométrie totale qu’évoquent les partis de l’opposition ?
La biométrie s’exprime entièrement au Gabon, parce qu’elle concerne le prélèvement d’éléments tels que les empreintes, le visage pour éviter qu’on ait des doublons sur les listes électorales. Aujourd’hui, il s’agit principalement de la question de connexion et d’interconnexion entre les bureaux de vote. Ce sont des questions qui ne peuvent pas actuellement être prises en compte pour des raisons technologiques, d’autant que certains bureaux se trouvent dans des zones enclavées, où il n’existe aucune source d’énergie. Mais j’ai dit aux acteurs de la majorité et de l’opposition que je suis prêt à me rendre avec eux dans un pays de leur choix qui pratique déjà cette technique pour que nous l’importions.
Parlons des libertés publiques, notamment des manifestations publiques. A partir de quoi une marche ou autre manifestation est interdite ?
Nous avons hérité d’une loi qui date de juin 1960, donc d’avant l’indépendance. Cette loi est restée assez vague dans la qualité de celui fait la demande d’organisation d’une manifestation ou d’une marche. Nous avons introduit un projet de loi, qui a été examiné avec mon audition au Sénat et à l’Assemblée nationale. Nous espérons d’ailleurs que ce nouveau projet de loi soit adopté lors de la prochaine plénière. L’avantage de celui-ci est qu’il fixera de façon définitive les modalités d’organisation des réunions publiques et l’occupation de l’espace public. Cette loi nous dira qui doit faire la demande, quelles sont les conditions liées au demandeur, quels sont les délais de réponse et quelles sont les sanctions encourues lorsqu’une manifestation publique a été organisée sans autorisation. Ce sera une grande avancée qui permettra de renforcer la démocratie et le fonctionnement de notre pays.
Abordons à présent la question des nuisances. Des Gabonais se plaignent de plus en plus des perturbations occasionnées par les débits de boisson et autres églises. Que fait votre département face à cela ?
Il en va également de la question de l’hygiène publique, qui concourt à la politique mise en place. Les nuisances sonores participent de la qualité ou non de la vie. Le gouvernement de la République a pris un ensemble de décisions, y compris celles relatives à la fermeture des bars et autres débits de boisson à une certaine heure. Aujourd’hui un projet de texte existe au Parlement, qui devrait régler la question des associations religieuses et leur implantation. Il fixera les conditions d’existence et la pratique de ces associations, pour que les différentes communautés vivent en harmonie, d’autant qu’au ministère, nous sommes régulièrement saisis par des pétitions de Gabonais qui se plaignent.
La mesure liée à la fermeture des débits de boisson semble avoir échappé à votre département. Elle ne s’applique plus nulle part. Le gouvernement s’est-il essoufflé ?
Non, le gouvernement ne s’est pas essoufflé. Il faut simplement que nous redoublions d’effort et faire en sorte que nous ayons des unités davantage disponibles. C’est une question qui a été prise en compte par les plus hautes autorités de l’Etat, notamment en décidant du recrutement de plus d’agents de police. Il y a effectivement des efforts à faire.
Qu’en est-il de la loi sur la décentralisation ?
N’oublions pas qu’il faut mettre les Gabonais au centre de chacune des actions de l’Etat. Les plus hautes autorités, lorsqu’elles demandent les suffrages des populations, c’est pour résoudre les problèmes dans la proximité. Ceci pour dire qu’il faut donner de plus en plus d’autonomie, de responsabilité et de pouvoir aux collectivités locales. La loi sur la décentralisation a été promulguée, la mise en place de la commission nationale se fait, et les domaines de compétence qui seront transférés sont identifiés, à l’instar de la santé et l’éducation. Il faut donc donner la possibilité aux collectivités locales d’organiser la carte scolaire, les espaces publics et d’organiser la vie du citoyen, en apportant au plus près de lui des services qui lui sont attachés. Oui, la décentralisation est en cours. Elle a un coût et celui-ci est analysé dans le détail, en vue d’un meilleur transfert des compétences.
Les mairies de Libreville et de Mouila ont noué des partenariats avec celles de pays étrangers. Qu’attend-t-on concrètement de ces jumelages ?
Il faut encourager ces jumelages qui montrent que nous partageons des expériences. Et partager des expériences, ça veut dire que nous apprenons d’une ville occidentale, africaine ou nord américaine. Il s’agit de renforcer les capacités, mais non de réinventer la roue pour nos jeunes collectivités. Si j’avais été maire, je multiplierais les jumelages avec autant de villes que possible, pour que nous puissions échanger, croiser les informations, nous montrer les voies les plus efficaces pour gérer la communauté.
Abordons la question de l’immigration…
L’immigration est une question préoccupante, aussi bien au Gabon que partout ailleurs. Et cette question est liée à celle de la sécurité de notre territoire, dès lors que nous devons savoir qui vient dans notre pays, pour y faire quoi et pour combien de temps. Nous avons aujourd’hui de nouvelles formes de menaces au niveau international, de la part des terroristes, qui impliquent que nous devons être très prudents, en s’assurant que tous ceux qui viennent au Gabon soient connus. Un effort formidable a été fait par les services de la direction générale de la Documentation et de l’Immigration pour la facilitation de l’immigration formelle, parce qu’il s’agit également d’encadrer et de faciliter l’accès au Gabon pour les opérateurs économiques qui souhaitent investir dans le pays, pour les personnes physiques qui souhaitent y séjourner ou visiter notre pays. Nous devons renforcer les points d’entrer au travers d’accords au niveau de la sous-région et faire en sorte que le système de contrôle soit pris en compte d’un pays à un autre.
Source : interview réalisée par Hass Nziengui et Kennie Kanga pour Radio Gabon