Pour cet homme dont le nom se chuchote dans les cercles interlopes de la politique africaine, la vie est une pièce de théâtre. Et l’Afrique, une « tragédie », comme il dit. Il campe son propre rôle dans cette dernière création qu’il écrit en direct depuis la place du Palais-Bourbon, derrière l’Assemblée nationale à Paris, où est domiciliée sa maison de production. Ce rôle est celui d’un homme de l’ombre qui se présente comme un penseur éclairé, expert en « géostratégie » et conseiller du président François Hollande sur les questions africaines.
Mais tout l’enjeu, avec Guy Zilberstein, auteur et homme de théâtre, car c’est de lui qu’il s’agit, c’est de trier le vrai du faux.
En bas de son bureau, à la brasserie Le Bourbon où se retrouve le gratin de la politique française, il reçoit des déclassés de la diplomatie, des conseillers de chefs d’Etat africains renversés qui rêvent de revanche, des avocats de causes perdues, des lobbyistes de ministres corrompus et des hommes d’affaires en déclin. Face à ce fond du panier franco-africain de Paris, Guy Zilberstein a de l’allure. Celle d’un intellectuel inquiet des dérives de ce monde, d’un stratège florentin évoquant telle rencontre ou tel ami, et toujours ces prétendus contacts au plus haut niveau, à l’Elysée, au Quai d’Orsay.
L’intriguant du village franco-africain de Paris
Lors d’une conférence sur le virus Ebola au Forum de Crans Montana, à Genève, en Suisse, le 17 octobre 2014, Guy Zilberstein n’a pas hésité à se présenter comme le « conseiller spécial du président de la République française ». L’année suivante, à cette même conférence autrefois qualifiée par la presse helvétique de « Davos des pauvres et des crapules », son titre avait évolué. Le voilà « conseiller stratégique du président français ». Des étiquettes qui font d’autant plus d’effet que le bonhomme n’apparaît dans aucun organigramme. Et dans le marigot de la Françafrique où l’influence des réseaux affairistes d’autrefois – souvent liés à des chefs d’Etat, à des ministres ou à des partis politiques – décline, certains tentent de combler le vide et de se faire une place. Une nouvelle génération tente d’émerger, des électrons libres affranchis des contraintes et des politiques, mais aussi des us et coutumes des complexes relations franco-africaines.
Lunettes rondes, cheveux argentés, peau blanche et glabre, l’intéressé esquisse un sourire patelin d’agent secret lorsqu’on l’interroge sur son rôle d’éminence grise du président sur les questions africaines. « Pour moi, la politique, la stratégie, la diplomatie, cela se fait seulement dans l’ombre, car on ne peut pas réfléchir, agir et en même temps soigner son image », dit-il. Au Bourbon, Guy Zilberstein prend des chemins de traverse, déroule son CV (Langues O, université américaine de Cornell, l’ENA où il dit avoir été simplement admis…), et finit par estimer qu’il ne peut pas révéler le nom des « amis socialistes » pour lesquels il rédige des notes d’analyse sur l’Afrique, un continent où il dit n’avoir jamais mis les pieds.
« Fin, cultivé mais un peu mytho »
Non, Guy Zilberstein ne s’est pas rendu en Afrique mais lâche qu’il alimente aussi en analyses africaines l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT), une société européenne d’intelligence économique. Il aurait rencontré à trois reprises les dirigeants de l’ADIT et aurait notamment proposé d’amener deux clients, une société de télécommunication et une entreprise d’ingénierie israélienne. Une initiative qui n’a pas eu de suite. Dans cet univers où s’entrelacent les grands groupes industriels et les milieux du renseignement, ceux qui ont eu à rencontrer Guy Zilberstein décrivent un « homme fin, cultivé mais un peu mytho ». Celui qui lui aurait permis de mettre un pied au Quai d’Orsay ? Ce serait Paul-Jean Ortiz, conseiller diplomatique de François Hollande. Une information difficile à vérifier, M. Ortiz étant décédé en juillet 2014.
A l’Elysée, la réaction est pourtant glaciale et lapidaire : « Guy Zilberstein n’est pas conseiller du président ». Au Quai d’Orsay, un diplomate hallucine : « Comment peut-il faire état de cette fonction sans être inquiété ? » Guy Zilberstein réplique, un brin gêné. « Je ne suis pas conseiller de François Hollande. En revanche, on m’a présenté comme tel. Je suis un analyste, je réfléchis sur des dossiers parfois compliqués et je m’intéresse à la décantation de l’information. Et de poursuivre : « Je ne me rends pas non plus dans les fêtes de cinéma ou de théâtre et pourtant, j’écris pour eux. Je suis quelqu’un du sérail mais sans ambition politique. »
L’homme est en effet plus connu dans l’univers des arts vivants que dans les sphères de la géopolitique africaine. Guy Zilberstein est l’auteur d’une dizaine de pièces de théâtre et de scénarios. Ses œuvres ont parfois été portées à la Comédie française par Anne Kessler, la 488e sociétaire de la Comédie, qui se trouve aussi être la compagne de Guy Zilberstein. Ses engagements artistiques lui laissent le temps de réfléchir aux enjeux de l’époque. L’un de ses mantras est que l’avenir de l’islamisme radical se jouera en Afrique. « On n’a pas assez surveillé le nazisme en Europe dans les années 1930, il ne faut pas répéter cette erreur avec le terrorisme en Afrique », professe-t-il.
Vendeur d’armes et exégète de la Torah
Parfois, un discret quadragénaire franco-israélien de 43 ans accompagne Guy Zilberstein dans ses rendez-vous. Steve Bokhobza n’aime guère la publicité mais ne boude pas son plaisir lorsque des journalistes tentent de vérifier auprès de lui ses « faits d’armes ». Devant un chocolat chaud, toujours à la brasserie Le Bourbon, il lâche un « il paraît » amusé à chaque fois qu’on lui prête un rôle auprès d’un autocrate africain, d’un diamantaire israélien, d’un seigneur des affaires ou d’un groupe armé.
« Moi je suis dans l’aviation », dit-il le sourire encore plus large, dans sa tenue de sport Adidas. Voilà un drôle d’entrepreneur, titulaire de neuf passeports dont la France, la Centrafrique et Israël, qui a créé sa propre compagnie aérienne, Oxygene Afrique, avec des fonds de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. En 2015, quatre ans après l’arrestation du chef d’Etat en avril 2011, Steve Bokhobza a liquidé cette société et a vu son passeport diplomatique ivoirien lui être retiré. Peu importe, ce n’est pas le travail qui manque. Il a négocié des transactions d’or en Tanzanie et en République démocratique du Congo, et a apporté un soutien financier et logistique à l’un des fils de feu Mouammar Kadhafi, Saadi, en résidence surveillée au Niger de 2011 à mars 2014.
Steve Bokhobza sourit toujours lorsqu’est évoqué son « core business », les ventes d’armes. Il se fournit en armes automatiques et en lance-roquettes en Biélorussie, auprès de la société Beltech et auprès d’une de ses discrètes filiales domiciliée à Dubaï, Eagle One Ltd. C’est d’ailleurs à cette dernière société que l’ancien président centrafricain, Michel Djotodia, a commandé roquettes, mortiers, et munitions, signant de sa main un end-user [le certificat d’arrivée du matériel] le 15 août 2013, soit quatre mois après la chute de François Bozizé.
Ce que dément Steve Bokhobza qui a cessé de sourire. « Je n’ai jamais ramené un boulon en Centrafrique depuis la chute de Bozizé. C’est un marché très encadré. Il y a des embargos fixés par l’ONU que je respecte évidemment », dit-il. A Bangui pourtant, certains assurent qu’il a bel et bien apporté quelques armes en « exemplaires de démonstration », ce qu’il dément aussi, et tenté de faire des affaires tous azimuts, dans les télécoms, les services aéroportuaires et même dans le chanvre thérapeutique en essayant de créer des mégafermes pour le compte d’une société israélienne. Il vient par ailleurs de créer une nouvelle entreprise de vente d’équipements militaires, Bellorophan, enregistrée à Malaga, en Espagne.
« C’est un type très intelligent qui connaît très bien l’histoire du peuple juif. Je le vois souvent et je l’apprécie », dit de lui Guy Zilberstein. L’homme de théâtre feint ensuite d’ignorer que Steve Bokhobza, exégète de la Torah et vendeur d’armes, est aussi soupçonné d’avoir fomenté en 2013 des coups d’Etat à la fois aux Comores et en Guinée. Et ce en association avec le mercenaire français Patrick Klein, alias « lieutenant Chambert », qui se vante d’avoir œuvré aux côtés de Bob Denard jusqu’à sa mort en 2007.
Or les proches de Bob Denard parlent avec une certaine condescendance de Patrick Klein, surnommé « le mytho ». Plus précisément : « Il déroule ses récits d’action alors qu’il nous faisait la tambouille », explique un ex-associé de feu le mercenaire le plus célèbre de France. Une enquête préliminaire est en cours à Paris sur la tentative de putsch aux Comores. Patrick Klein et Steve Bokhobza ont été entendus en garde à vue, mais l’enquête pourrait être classée sans suite. « A la DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur, devenu DGSI en 2014], ils pensaient que j’avais débarqué en hélicoptère avec des armes et un sac à dos pour faire un coup d’Etat », balaie Steve Bokhobza.
« Un duo de pieds nickelés, mais alors bien nickelés »
Ces derniers mois, les deux compagnons, le marchand d’armes et l’homme de théâtre, se sont intéressés à des affaires sensibles de la politique franco-africaine. Comme les biens mal acquis, cette enquête des autorités françaises démarrée en 2007 sur les présumés détournements de fonds publics des chefs d’Etats de Guinée équatoriale, du Congo et du Gabon. De fait, les deux hommes ont ainsi décidé de leur propre chef de négocier une résolution à l’amiable, pour cette affaire qui envenime les relations entre la France et plusieurs pays africains.
Au début de 2015, Guy Zilberstein a pris les devants en envoyant au président équato-guinéen, Téodoro Obiang, ses vœux de bonne année sur une lettre à en-tête de sa société de production, H24. Cette missive le décrivait-elle comme « conseiller de François Hollande » ? « C’est à l’ambassade de Guinée équatoriale qu’ils ont rajouté cette fonction, vous connaissez les Africains… », se défend l’intéressé en souriant. Il n’empêche, cette lettre adressée à un chef d’Etat étranger par un faux conseiller du président sème le trouble. « Il s’est présenté cette année à mon cabinet comme un proche de l’Elysée mandaté par la Guinée équatoriale pour parvenir à un accord et à l’abandon des poursuites. C’est un affairiste de plus qui gravite autour de ce dossier », déclare Me William Bourdon, qui dirige l’ONG Sherpa, à l’origine de la plainte dite des biens mal acquis. Réplique de Guy Zilberstein : « Je m’entends très bien avec Me Bourdon, et notre rendez-vous s’est très bien déroulé. Voulez-vous que je l’appelle devant vous ? »
Steve Bokhobza est aussi à la manœuvre. « Il m’arrive de faire de la médiation », reconnaît-il. Lui est un proche du clan Obiang. Il aurait récemment organisé une évacuation sanitaire aérienne discrète d’un membre de la famille présidentielle équato-guinéenne. Et lorsque le fabriquant d’armes biélorusse Beltech a convié à Minsk le fils du chef de l’Etat équato-guinéen, Téodoro Obiang, c’était par l’intermédiaire de Steve Bokhobza dont le nom est mentionné dans la lettre d’invitation datée de novembre 2013.
Désormais, pour la Guinée équatoriale, la priorité absolue n’est plus d’acheter des armes, mais de trouver une issue au dossier des biens mal acquis. « Si vous voulez décrocher des contrats chez nous, résolvez ce dossier », répète inlassablement la présidence équato-guinéenne aux hommes d’affaires et intermédiaires qui se présentent dans ce petit pays pétrolier d’Afrique centrale. « Zilberstein et Bokhobza forment un duo de pieds nickelés. Mais alors bien nickelés », s’exclame un membre du renseignement français. Leurs tractations n’ont ainsi pas empêché, mi-décembre, Teodorin Obiang d’être mis en examen par la justice française dans l’affaire des biens mal acquis.
Un dernier costume de conseiller
Le dernier acte de la pièce franco-africaine de Guy Zilberstein se déroule entre Paris et Genève. Elle affiche de nouveaux personnages : son « ami » l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, et l’ami cet ami, Alexandre Djouhri, le puissant et richissime homme d’affaires, évoluant dans l’ombre de la politique sous Nicolas Sarkozy. Selon Le Point, Alexandre Djouhri aurait cru pouvoir accéder au plus haut niveau à l’Elysée par l’intermédiaire de Guy Zilberstein. Comment ce maître des contrats internationaux a-t-il pu se laisser berner par un faux conseiller de François Hollande ? Contacté par Le Monde à ce sujet, M. Djouhri n’a pas souhaité réagir.
Guy Zilberstein, en revanche, en parle volontiers. « J’ai vu Djouhri à plusieurs reprises, il m’a raconté son enfance, sa jeunesse, ce qui était très intéressant », dit-il. A l’en croire, M. Djouhri aurait eu besoin de se livrer, de partager les traumatismes de sa jeunesse. « Je voulais faire un film sur sa vie », ajoute-t-il. Steve Bokhobza, de son côté, lorsqu’il n’est pas à Tel-Aviv, en Israël, où il prétend jouir d’un certain réseau dans les cercles sécuritaires, emploie à Paris comme garde du corps un certain Bouhlam Djouhri, l’un des frères cadets – et très musclé, dit-on – d’Alexandre Djouhri.
Place du Palais-Bourbon, Guy Zilberstein a enfilé son dernier costume. Depuis septembre 2015, il a troqué son titre de « conseiller stratégique du président français » pour celui, toujours dans un programme du Forum de Crans Montana, de « conseiller stratégique à la présidence de l’Union africaine ». Commentaire de l’intéressé : « Cette fois, c’est vrai, je vous l’assure ! » A Addis-Abeba, au siège de l’organisation panafricaine, personne n’a pourtant entendu parler d’un Français appelé Guy Zilberstein. Une phrase de l’homme de théâtre revient en mémoire : « Quand j’écris une pièce, je ne demande l’autorisation à personne, je m’automandate et je rentre dans un processus quasi chaotique. »
Par Simon Piel et Joan Tilouine