[Ayant entretemps eu accès à d’autres sources fiables, cet article a été revu et augmenté]. Après le Conseil des ministres de vendredi dernier, et peu avant de se rendre en fin d’après-midi à Addis-Abeba pour le sommet de l’Union Africaine, le chef de l’Etat a réuni les membres de la Grande Loge du Gabon (GLG) pour leur traduire sa déception face à ce qu’il considère comme de la tiédeur, de l’indifférence et du manque de soutien de la part ses fraters.
Précédé à cette réunion par certains membres du gouvernement (hommes et femmes) qui venaient eux aussi de quitter la table du conseil des ministres, Ali Bongo est arrivé à cette rencontre avec un objectif : faire savoir à ses fraters qu’il ne comprend pas leur tiédeur à propos de son action et à propos des attaques dont il est l’objet à travers la presse, entre autres.
«Lorsque je suis arrivé au pouvoir, j’ai choisi un grand nombre d’entre vous pour des postes au gouvernement, comme secrétaires généraux de ministère et comme directeurs généraux, que ce soit de l’administration publique ou des entreprises publiques», a-t-il lancé à l’assistance. «Moi j’ai fait ma part, et vous, êtes-vous sûrs d’avoir eu à mon égard la réaction que j’aurais pu attendre de vous ? Où est l’amour fraternel des maçons ?», a interrogé le n°1 de la GLG.
Mots blessants et mots d’Antoine de Saint-Exupéry
Tel est ce qu’ont laissé fuiter quelques fraters ayant pris part à cette cérémonie qui constituait en réalité la présentation de vœux de nouvel an au patron de la GLG, sans doute ceux qu’Ali Bongo a qualifié de «frères invitant au chaos», ceux qui, selon lui, «au nom de la démocratie», aiment à souffler «sur des braisiers ardents de passion dévastatrice».
On devrait comprendre que nombreux parmi les orateurs ayant pris la parole à ce raout, ont usé de «des mots blessants qu’on croyait disparus [mais qui ont été] prononcés avec une délectation effroyable», selon les mots du président de la République qui n’a pas manqué de souligner que «notre pays a gémi, nous gémissons avec lui ; et nous ne pouvons pas rester indifférents, nous devons méditer et tous nous replacer au centre». Ali Bongo n’a pas manqué d’indiquer qu’il apprécie l’engagement ferme des fraters ayant une liberté de ton, un franc-parler, «à œuvrer pour la liberté, la dignité et la cohésion sociale au Gabon, en toute indépendance bien sûr et j’y tiens !» Et de citer Antoine de Saint-Exupéry : «aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction» ; et la même direction, c’est la construction du Temple Gabon, en accord avec votre déclaration des principes et de la vision de notre Ordre commun». Souhaitant que les frères lumières du Gabon en viennent à inscrire dans leur ADN une autre pensée de Saint-Exupéry, il a rappelé une citation de celui-ci édictée un peu avant par un autre frater : «si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis !». L’opposition enrichirait-elle donc la Franc-maçonnerie au pouvoir au Gabon ?
Chantiers inachevés, temple en construction
Usant de la parabole de construire le temple de l’humanité en bâtissant en même temps le Gabon, Ali Bongo a rappelé à ses frères spirituels qu’«avec humilité, le temps infini nous apprend que le Temple est toujours en construction, que notre pays est toujours en construction, et que l’œuvre est encore longue et inachevée. Oui, c’est vrai que certains chantiers n’ont pas avancé avec la célérité souhaitée, j’en conviens». Et, si la cessation de la vie des acteurs d’aujourd’hui survenait, «la chaîne des travailleurs, […] ceux qui viendront après nous, poursuivront l’œuvre.» Doit-on donc, ici, penser que les Francs-maçons seront toujours au pouvoir, du moins à la manœuvre au Gabon ?
Il se raconte que, présent à cette cérémonie, Paul Toungui, ancien ministre des Finances puis des Affaires étrangères aujourd’hui au ban de la République et accessoirement compagnon de Pascaline Mferri Bongo, a souhaité à Ali Bongo «beaucoup de courage, de sagesse et d’habilité pour la paix et la sérénité» dans le pays.
Un tantinet chrétien dans la philosophie et reprochant aux fraters leur impassibilité, Ali Bongo a ajouté : «J’ai parfois accepté de tendre l’autre joue, lorsque devant moi s’élevaient des voix de méchanceté gratuite, même au sein de ma propre famille. En ces moments là, j’aurais aimé que d’autres voix rugissent, en particulier les vôtres pour me témoigner votre soutien. Je n’ai pas le souvenir d’avoir reçu un écrit, d’aucune Loge, d’aucune Obédience ; et la fraternité est-elle une voie à sens unique ?». Et de rappeler, ainsi qu’indiqué plus haut, qu’en accédant au pouvoir, il avait sollicité les talents des fraters en appelant un bon nombre d’entre eux à ses côtés. Mais, «tous ces ouvriers, ces ministres, ces directeurs généraux, ces secrétaires généraux et bien d’autres, choisis dans notre Ordre, ont-ils rempli leurs obligations envers la nation ? Et surtout, ont-ils été fidèles ? Ont-ils été attentifs aux préoccupations de leurs semblables ? Ont-ils semé le travail, l’amour du prochain ? Ont-ils apporté la bonne pierre à la construction de l’édifice ?», a interrogé le Grand Maitre de la Grande Loge du Gabon.
Un gouvernement de «fils de lumière»
Malgré ce blues, cette amertume perceptible dans le discours, Ali Bongo continue de compter sur ses frères spirituels. «J’ai besoin de tous les talents, de mes sœurs, de mes frères ; la preuve, c’est que le gouvernement actuel compte de nombreux maçons, à commencer par le premier d’entre eux ! Mais encore faut-il que les fils de lumière, qui m’accompagnent ne soient pas des astres morts ! Mais bien le contraire, qu’ils soient des astres qui brillent et indiquent le chemin !». Le speech du patron des Francs-maçons du Gabon s’est terminé, comme de coutume dans cette société secrète par «J’ai dit» mais un peu avant par une invite à ses frères : «avec nos faiblesses et nos limites, mais surtout avec nos talents, chacun à sa place, munis de nos outils, avec force, lumière et grandeur, construisons ensemble notre pays le Gabon.»
Il faut dire que depuis quelques mois, quelques fissures sont apparues au sein de la grande famille maçonnique. Certains fraters reprocheraient au chef de l’Etat son inclinaison à ne pas écouter les conseils et à ne travailler qu’avec un groupe. Visiblement inquiet et pas du tout rassuré ces dernières semaines par ce manque de soutien, Ali Bongo a demandé une remobilisation autour de lui comme en 2009. Il a promis de revenir prochainement à leur rencontre pour préparer l’avenir. En brisant la tiédeur et l’indifférence ambiantes…