Le Gabon s’est doté de brigades d’écogardes pour veiller sur les ressources très convoitées de ses 13 parcs nationaux. Mais elles ne font guère le poids face à l’arsenal déployé par les braconniers.
Dans la boue du parc de Pongara, au large de Libreville, les traces sont encore fraîches. Pas de doute, des éléphants sont passés par là. Ces derniers temps, la dense forêt du parc, situé au bord de l’océan, est devenue pour eux un refuge privilégié. Car au nord-est du pays, l’éléphant de forêt est constamment traqué. S’il est plus petit que son cousin des savanes, son ivoire est tout aussi prisé des braconniers, dont la marchandise se revend à prix d’or en Asie. Appâtés par ce trafic juteux, ils déciment les pachydermes du Gabon, qui abrite plus de la moitié des éléphants de forêt du continent. « La perte est énorme », déplore Christian Mbina, directeur technique de l’Agence nationale des parc nationaux (ANPN), crée en 2007. « Au début des années 1990, nous estimions qu’il y avait quelque 65 000 éléphants au Gabon. Aujourd’hui, ils sont environ 40 000 », poursuit-il, tout en reconnaissant la difficulté de réaliser ces recensements.
Pour lutter contre ce carnage organisé, les moyens de l’agence ont été décuplés. À sa création, l’ANPN comptait une poignée de salariés. Aujourd’hui, ils sont près de 800. Parmi eux, 600 personnes sont mobilisées pour la sauvegarde des 13 parcs et pour la lutte contre le braconnage.
Sous-effectif et violences
Une tâche colossale, au regard des près de 3 millions d’hectares à surveiller. « Pour être réellement efficaces, nous devrions être trois fois plus nombreux. Nos hommes sont surchargés de travail », concède Christian Mbina. Et ce n’est pas Joseph Okouyi, conservateur des parcs du Tridom, dans le nord-est du pays, qui dira le contraire : « La volonté politique est bien là. Mais sur le terrain, ça ne suit pas et notre travail devient dangereux ».
Ce biologiste à la carrure impressionnante en veut pour preuve la blessure par balle, fin novembre, d’un militaire mobilisé aux côtés des écogardes de l’ANPN dans le parc de Minkébé. La première depuis leur déploiement. L’homme a été rapatrié et opéré à Libreville, ses jours ne sont plus en danger. « Mais ça s’est joué de peu : il a été touché à la jambe par une arme de guerre, type kalachnikov », tonne Joseph Okouyi.
Dans le nord et l’est du pays, les frontières poreuses facilitent le passage illégal des orpailleurs, attirés par les richesses de la forêt gabonaise, de l’ivoire au sous-sol parfois gorgé de diamants. Les braconniers viennent du Cameroun, du Congo ou encore de Centrafrique, souvent équipés d’armes lourdes disséminées lors des conflits. Un rapport de force inégal : à Minkébé, face à ces braconniers, l’agence n’a à disposition qu’une centaine d’hommes, la plupart non-armés. Alors après la blessure du militaire gabonais, la colère est montée d’un cran chez les écogardes. Certains réclament désormais « une lutte armée » et des moyens supplémentaires.
Difficultés budgétaires
Car les fonds se tarissent, malgré l’oreille attentive que prête Ali Bongo Ondimba à Lee White, secrétaire exécutif de l’ANPN. La baisse significative de la rente pétrolière est venue grever le budget de l’agence. Une situation qui inquiète jusqu’au conseiller spécial du président sur les questions environnementales, l’Américain Mike Fay. Nous luttons tous les jours pour maintenir le budget de l’ANPN, mais il est clair que nous devons trouver des bailleurs internationaux ».
En attendant, un tribunal spécial punissant les crimes fauniques a été mis en place. Avec, à sa tête l’ancienne procureure de la République, Sidonie Flore Ouwé, surnommée « la dame de fer » gabonaise. Si l’initiative a été saluée par certaines ONG, la plupart déplorent toujours les faibles peines de prison appliquées pour trafic de faune. « Aujourd’hui, un braconnier n’encourt que jusqu’à 6 mois de détention », s’indigne Luc Mathot, président de l’ONG Conservation Justice. Une peine dérisoire au regard de leur trafic juteux.
Claire Rainfroy