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Interview Jean Ping : Le Gabon est une République et non une monarchie

A quelques mois de la tenue de la présidentielle gabonaise à laquelle Jean Ping a annoncé sa candidature, l’ancien bras droit de feu Omar Bongo qui défiera le président sortant en août 2016, nous parle à cœur ouvert.

Les Afriques : D’aucuns pensent que vous voulez par tous les moyens siffler la fin du règne d’Ali Bongo avec lequel vous n’êtes plus en parfaite odeur de sainteté et que vous avez désigné comme le principal responsable de votre défaite face à Mme Zuma ?

Jean Ping : Je voudrais d’abord vous dire sincèrement que j’ai définitivement tourné la page de la présidence de la Commission de l’Union africaine. Je n’en garde aucune aigreur ni rancœur. Je crois avoir servi cette commission du mieux que je pouvais, je laisse donc aux historiens le soin d’en juger.

Ensuite, vous parlez bien du « règne » d’Ali Bongo ! Votre expression n’est donc pas innocente et je crois même que c’est ainsi que celui qui dirige le Gabon se voit et veut que les Gabonais le perçoivent. Je vous rappelle que le Gabon est une République et non une monarchie et celui qui est à la tête de cette République ne règne pas, il dirige et/ou gouverne bien ou mal, en l’occurrence ici mal. Je ne suis pas le seul à le constater.

Enfin, je n’ai jamais été en « parfaite odeur de sainteté » avec lui. A certains moments, nous avons eu des rapports courtois dictés par les fonctions et les responsabilités que nous avions dans les gouvernements successifs du président Omar Bongo Ondimba. Et permettez-moi d’ajouter que je n’ai été membre d’aucun courant du Parti démocratique gabonais au pouvoir, ni rénovateur, ni appéliste et encore moins cacique ; c’est volontairement que je m’étais mis à l’écart de ces courants.

La situation que nous connaissons aujourd’hui au Gabon ne saurait perdurer au risque de faire sombrer notre pays. Mon souhait est de la voir cesser, mais je suis un républicain et pour moi cette valeur n’est pas négociable. Voilà pourquoi je suis en train de mettre toute mon énergie et mes moyens pour créer les conditions qui nous permettraient de faire cesser cette dictature insupportable pour le plus grand nombre de Gabonais.

Les Afriques : Dites-nous comment se porte l’économie gabonaise sous l’ère Ali Bongo ?

Jean Ping : Actuellement l’économie gabonaise se porte mal, très très mal. Nous vivons à l’ère de l’économie virtuelle. Les thuriféraires du pouvoir nous vendent à longueur de journée des chiffres de croissance (5%) qui feraient pâlir d’envie certains pays européens ; sauf que dans ces derniers pays, malgré des chiffres de croissance qui tournent autour de zéro, le citoyen moyen vit à peu près normalement même si le chômage et la précarité restent préoccupants, mais les enfants de ces pays ne manquent pas de tables-bancs, de toit pour apprendre dans des conditions acceptables, les femmes accouchent dans des hôpitaux pourvus de plateaux techniques modernes. Au Gabon, à quoi correspondent les chiffres que l’on nous vante tous les jours ? Pour quels résultats ? Regardez la pauvreté grandissante, les élèves qui manquent même, dans certaines localités du pays de tables-bancs pour apprendre correctement, les femmes qui meurent en accouchant. Je préfère m’arrêter là en vous renvoyant à la recrudescence des grèves qui jalonnent le quotidien de la société gabonaise sous ce que vous avez appelé le « règne » d’Ali Bongo pour juger de la qualité de l’économie gabonaise.

La bonne économie d’un pays ne se mesure pas à l’aune des fora organisés à coup de milliards du type New York Forum Afrique mais plutôt à ses résultats qui devraient être visibles à travers la qualité de la vie des citoyens qui sont censés être les premiers bénéficiaires de cette soi-disant croissance. Pour l’instant, nous ne voyons que des maquettes.

Les Afriques : Vous appréciez les réformes entreprises par le président Ali dans le secteur du bois ?

Jean Ping : Les mesures entreprises dans le secteur du bois auraient pu être appréciées si elles avaient été sérieusement préparées et bien muries. Mais comme à l’image de l’homme qui les avait initiées, elles ont été brutales et conduites avec amateurisme avec pour conséquence aujourd’hui de nous retrouver avec un secteur du bois quasiment sinistré.

Je vous rappelle que le bois est notre première richesse au Gabon et historiquement il a façonné le Gabon. Rien que sur cette base-là, toute réforme qui touche à ce secteur symbolique, mais pas seulement, aurait mérité une étude approfondie préalable et pourquoi pas une concertation préalable avec les acteurs de ce secteur important de notre pays.

Les Afriques : Le président Ali Bongo compte faire du Gabon un pays émergent à l’horizon 2025, quelle est votre opinion par rapport au plan Gabon émergent ?

Jean Ping : Le concept émergent, aujourd’hui à la mode, ne gêne personne à condition de créer les conditions sérieuses de la réalisation de cette émergence. Quand je regarde le chemin parcouru par certains pays émergents d’aujourd’hui, je me dis que nous sommes en plein dans l’illusion. L’émergence ça se prépare, à commencer par la formation des futures élites qui mettront en œuvre cette émergence. Quand on constate l’état de notre éducation et notre enseignement supérieur aujourd’hui, du primaire jusqu’à l’université, avec des années scolaires et universitaires constamment inachevées, des moyens qui ne répondent pas toujours aux exigences du monde moderne, l’émergence à l’horizon 2025 me paraît encore un simple slogan, vide de tout contenu.

Les Afriques : Quelle est votre opinion sur la libre circulation en zone Cemac qui n’a pas pu rentrer en vigueur le 1er janvier 2014 à la suite d’un revirement du Gabon et de la Guinée équatoriale ?

Jean Ping : Dans le contexte actuel de globalisation, l’intégration régionale passe presque obligatoirement par la libre circulation au sein des zones intégrées. Et aujourd’hui, nous voyons comment ça marche en zone Cedeao où les richesses et les hommes circulent librement, c’est un bon exemple à suivre, malgré la domination démographique du géant nigérian et l’existence des pays à démographie réduite comme la Guinée-Bissau ou la Gambie qui ont su dépasser la peur au demeurant compréhensible d’un envahissement par leurs grands voisins.

Dans la zone Cemac, cette libre circulation reste bloquée par les réticences des deux pays que vous avez cités. Les raisons de ces peurs peuvent être compréhensibles, mais je crois qu’elles ne sont pas insurmontables. Ces deux pays devraient plutôt regarder les aspects positifs de cette libre circulation. Comment comprendre qu’au Gabon, par exemple, on se retrouve avec une population ouest-africaine nettement plus nombreuse que celle de l’Afrique centrale. Un effort pédagogique devrait être fait de tous les côtés pour que cette libre circulation commence à devenir une réalité chez nous. Mais la pédagogie ne suffira certainement pas, encore faudrait-il instaurer un véritable climat de confiance entre les Etats membres de la Cemac. Les chiffres nous renseignent que les ressortissants de la Cemac présents au Gabon ne dépassent pas 40 000 âmes contre plus de 17% de la population pour les ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. Ces chiffres à eux seuls suffisent pour contredire les velléités de xénophobie que le pouvoir prête souvent à l’opposition pour chercher à la discréditer à l’international. Je vous le dit et l’affirme avec force, le Gabon reste et demeure un pays accueillant et ouvert à tous ceux qui veulent l’aider à se développer, à condition que nos frères et sœurs qui viennent s’installer chez nous respectent l’esprit et la lettre de nos institutions ainsi que les populations qui leur offrent l’hospitalité.

Les Afriques : Permettez-nous d’aborder avec vous quelques questions politiques notamment votre départ du PDG, le parti créé par votre mentor Omar Bongo. Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous quittiez le navire PDG ?

Jean Ping : Quand je suis rentré au Gabon après mon séjour à Addis-Abeba, j’avais décidé, comme je l’ai indiqué en réponse à votre première question, de prendre ma retraite politique. Un congrès du PDG s’était même tenu à cette époque, je n’y avais pas participé. Donc pour moi, je ne faisais presque plus partie de fait du PDG. Mais comme à l’habitude de certains hiérarques de ce parti, on a mis les journaux du pouvoir à contribution pour m’insulter. Ces attitudes enfantines de certains de mes anciens « camarades » en plus de la situation préoccupante du pays face à laquelle le PDG ne pouvait rien m’ont fait penser au Titanic qui allait droit devant les icebergs. Je ne voulais pas m’embarquer dans ce navire de plus en plus ivre. J’ai donc décidé de le quitter en posant publiquement l’acte que vous connaissez, d’abord à la faveur d’une conférence organisée par le mouvement « les Souverainistes », puis par lettre adressée au secrétaire général du PDG.

Les Afriques : Ali Bongo a été votre collègue au gouvernement mais aussi le fils de votre mentor Omar Bongo que vous avez servi avec abnégation. Pourquoi refuser de servir le fils après avoir servi le père ?

Jean Ping : Et pourquoi pas demain le Saint-Esprit, pendant qu’on y est ! Non, soyons sérieux. Parce que cela ne fait pas partie de mes valeurs. Mon logiciel n’est pas formaté pour fonctionner dans cette logique monarchique. En travaillant avec Omar Bongo, je n’ai pas signé avec lui un contrat qui me lierait à vie à sa descendance pour toujours la servir. C’est ce qu’ils ont d’ailleurs pensé d’André Mba Obame (à qui je rends hommage et m’incline devant sa mémoire) qu’ils ont usé jusqu’à la corde et qu’ils souhaitaient voir comme l’éternel serviteur de la famille au pouvoir. Ce dernier nous a quittés dans les conditions que vous connaissez.

Je profite d’ailleurs de cette question pour couper court à tout ce qui se dit sur ma personne, que j’aurais été une fabrication d’Omar Bongo à qui je devrais tout. Archi faux ! Lorsqu’Omar Bongo me nomme pour servir à ses côtés, je n’étais pas dans la rue, j’avais déjà une carrière bien accomplie au sein de l’Unesco et je puis vous dire ici que si j’avais continué cette carrière internationale, j’aurais terminé très haut dans la hiérarchie de cette organisation. Et je voudrais aussi rappeler à mes détracteurs d’aujourd’hui que si je dois presque tout à quelqu’un dans ma vie, c’est à mon père, Charles Ping, qui avait mis à ma disposition le fruit de sa force de travail en terre gabonaise pour me permettre de faire de bonnes études, je n’oublie pas ma mère Germaine Anina qui m’a enseigné les valeurs fondamentales qui m’ont permis de me réaliser humainement. C’est le lieu ici de leur exprimer toute ma gratitude pour tout ce qu’ils m’ont transmis et de leur rendre l’hommage qu’ils méritent en leur souhaitant un repos éternel.

Les Afriques : Parlant de vous, un jour le président Ali Bongo a déclaré sur les antennes de la RTG, le 17 août 2014 : « Je n’ai pas de problème avec Jean Ping, même si lui a un problème avec moi. Je constate simplement qu’il s’est joint à la cohorte d’un certain nombre de leaders politiques qui n’ont vis-à-vis de ma personne et du parti que je représente que de la haine. Il n’y a pas de projet politique. » Quel est votre commentaire ?

Jean Ping : Ces propos, tenus le jour de la fête de l’indépendance (le 17 août 2014) par celui qui est censé incarner l’unité nationale en disent long sur la personne qui les a tenus ce jour-là spécialement. Je crois que même dans son propre bord politique, il s’est trouvé des personnalités normales qui ont dû être très indignées, mais que voulez-vous, le personnage est ainsi. Je n’ai par conséquent pas d’autre commentaire à faire. Il parle de haine ? Laissez-moi rigoler… Quant au projet politique qu’il évoque, encore un peu de patience, il l’aura le moment venu.

Les Afriques : Vous qualifiez le président Ali d’être un autocrate entouré par une légion étrangère. Ce dernier a déclaré récemment que vous-même (ministre du Pétrole) vous avez eu comme directeur de cabinet un certain Dossou à qui vous avez confié la gestion du pétrole gabonais. Que répondez-vous ?

Jean Ping : Je ne crois pas qu’il ait dit exactement ce que vous rapportez ici. Dossou-Aworet, Gabonais par son mariage avec Honorine Naki, était plutôt directeur général des Hydrocarbures et c’était en effet le Monsieur pétrole du Gabon, nommé par Omar Bongo. Je ne voudrais pas entretenir avec Ali Bongo une polémique permanente et inutile. Ah, si seulement comparaison était raison !

Les Afriques : Vous avez finalement officialisé votre candidature ?

Jean Ping : Oui je suis candidat parce que je pense apporter au Gabon un changement. Pendant longtemps, j’avais pensé que si Mba Obame était vivant et en parfaite forme, je me serais mis à ses côtés pour l’aider à reprendre cette légitimité qui lui avait été volée en 2009 et je ne suis pas le seul à l’affirmer. J’ai donc décidé de porter les couleurs de cette partie de l’opposition qui s’engage à mettre un terme démocratiquement au pouvoir actuel qui rame à contre courant.

Les Afriques : Nous vous posons cette question parce que quelques indiscrétions nous auraient fait savoir que vous avez opposé une fin de non-recevoir à la demande de Paris pour succéder à Abdou Diouf à la tête de la Francophonie. Est-ce vrai ?

Jean Ping : Ce n’est pas tout à fait réel même si ce bruit a fortement circulé ici et là. J’avais personnellement déjà tiré un trait sur l’international. J’estime avoir suffisamment donné. Et je vous ai donné plus haut les raisons profondes qui m’ont poussé à me déterminer aujourd’hui qui n’ont rien à voir avec mon refus d’aller à la Francophonie.

Les Afriques : Le passage de l’OUA à l’UA, y a-t-il réellement eu un changement ? N’est-ce pas toujours un syndicat des chefs d’Etat ?

Jean Ping : Je n’utiliserai pas les mêmes expressions que vous en parlant des chefs d’Etat, mais je crois que l’histoire de l’Afrique politique nous apprend que cette organisation connaît à chaque période des évolutions, certes lentes, mais certaines. Je vous renvoie à mon livre, « Eclipse de l’Afrique », j’en parle un peu.

Les Afriques : Revenons sur votre passage à la tête de l’Union africaine. Pourquoi le dispositif d’alerte précoce et de prévention des conflits n’a pas fonctionné durant le printemps arabe qui a débouché sur la mort tragique de Kadhafi ?

Jean Ping : Là encore si vous lisez mon livre, vous comprendrez ce que nous avons fait à cette époque et je peux vous dire que si le plan de sortie de crise que l’Union africaine avait présenté avait été mis en œuvre la Libye ne serait pas aujourd’hui là où elle est. Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui dans ce beau pays, la seule question qui me vient à l’esprit est : tout ça pour ça ?

Les Afriques : Votre avis sur le fonctionnement de l’Union africaine, version Mme Zuma ?

Jean Ping : Je ne me permettrai pas de donner pareil avis.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RODRIGUE FÉNELON MASSALA, GRAND REPORTER

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