INTERVIEW. « Ce serait une grave erreur que de reconduire Ali Bongo Ondimba au pouvoir », dit l’ex-président de l’Asemblée nationale. Le ton est donné.
Guy Nzouba Ndama a présidé l’Assemblée nationale du Gabon pendant 19 ans et 3 mois avant de se jeter dans la bataille pour la présidentielle d’août 2016 contre Ali Bongo Ondimba. Né le 17 juillet 1946 à Koula-Moutou (Ogooué-Lolo), le récent démissionnaire du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) connait bien le régime en place pour l’avoir servi pendant plus de 40 ans. Aujourd’hui, il appelle au rassemblement des Gabonais pour provoquer l’alternance au pouvoir.
Le Point Afrique : vous venez de quitter le Parti Démocratique Gabonais (PDG, au pouvoir), où vous avez passé près de 40 ans avec Omar Bongo Ondimba, puis Ali Bongo Ondimba, qu’est ce qui explique cette rupture presqu’inattendue ?
Guy Nzouba Ndama : À l’exercice du pouvoir, j’ai compris que le Président Ali Bongo Ondimba n’était pas prêt à assumer cette lourde charge et qu’il s’est entouré d’une série d’amateurs qui n’avaient qu’un seul objectif : s’enrichir. Par la suite, nous avons assisté impuissants à la dégradation de la situation politique, économique et social du pays en dépit des conseils des uns et des autres. Il s’est référé uniquement aux conseils de son proche entourage qui n’a pas raté une seule occasion de nous brocarder dans sa presse. La situation du pays est allée en s’empirant. Aujourd’hui, le Gabon est un vaste territoire de chantiers à l’arrêt. Tous les chantiers ouverts depuis 2009 sont à l’arrêt. La situation politique est bloquée, l’administration ne fonctionne pas, les écoles et les dispensaires sont quasiment paralysés, alors que les hôpitaux manquent de médicaments. Pendant ce temps, le Président continue à faire des promesses à l’emporte-pièce. C’est pour cela que j’ai dit qu’il était comparable à ce jeune pilote allemand qui a amené l’avion droit contre la montagne. Il sait bien que son bilan est négatif, mais il s’obstine à dire qu’il a produit de bons résultats à la tête de l’Etat. Voilà les raisons de ma rupture, indépendamment de ce que j’ai eu à évoquer lors de ma déclaration de démission, notamment l’emprise de l’exécutif sur le législatif qui s’est manifestée à travers la violation de l’immunité parlementaire des députés contre laquelle je ne pouvais que me porter en faux .
Dans vos propos vous semblez souligner une certaine immaturité des gouvernants actuels ?
Je leur reproche leur amateurisme. La vision politique qu’ils ont ne cadre pas avec la réalité des faits et le décalage entre l’action et le discours politique est criard. C’est ce que j’ai déploré dans mon discours lors de la rentrée parlementaire le 1er mars dernier lorsque j’ai dénoncé l’écart qu’il y avait entre les attentes des populations et les actions politiques.
Pourquoi postuler à la magistrature suprême à 69 ans au lieu de prendre votre retraite politique après plus de 40 ans de services rendus à la nation gabonaise ?
Vous savez, la politique c’est le don de soi. Il faut savoir se mettre au service des autres. J’estime que j’aurais pu comme vous me le suggérez me dire qu’à 69 ans, bientôt 70, je n’avais qu’à attendre la fin de mon mandat de président de l’assemblée nationale et me retirer chez moi mais je ne voudrais pas que l’histoire me juge en considérant que j’ai été complice d’une dérive qui a emmené le pays à la catastrophe. Vous savez, il y a un adage qui dit que « l’animal qui a la queue ne traverse pas le feu ». La queue de l’animal dans notre contexte représente ma progéniture. Je ne voudrais pas qu’on jette l’opprobre demain sur mes enfants et mes petits enfants ou qu’on leur reproche le fait que leur papa et grand père s’est tu devant la situation dangereuse dans laquelle se trouvait le pays en raison de son confort personnel. J’ai préféré renoncer à mon confort personnel pour répondre à l’appel des Gabonais et des Gabonaises qui désirent le changement.
Certains de vos anciens camarades restés au PDG estiment que vous êtes lâche et que vous avez trahi la confiance d’Ali Bongo Ondimba. Votre réaction.
Je ne répondrai pas à ces injures. Ce serait entrer dans le jeu des Emergents, qui passent leur temps à vilipender et à insulter. Je ne me lancerai pas dans ce type de jeu. Les Gabonais jugeront eux-mêmes.
Certaines indiscrétions laissent entendre que vous êtes le vrai fondateur du rassemblement PDG-Héritage et Modernité et que les députés dissidents du parti au pouvoir sont à votre solde. Qu’en dites-vous ?
Les députés dissidents sont des hommes suffisamment responsables et grands. Ils n’ont pas besoin de se soumettre à mon autorité et se laisser manipuler. Votre question me rappelle les insinuations des Emergents (Gouvernants), qui me soupçonnaient être derrière les actes des députés qui sortaient de la ligne officielle. Je veux bien qu’on me donne cette importance mais je pense que je ne la mérite pas. Je peux vous affirmer que ce que les leaders du rassemblement Héritage et Modernité ont dit, beaucoup de militants et de cadres du PDG le pensent. Le président de la République a fait signer récemment une déclaration de fidélité aux députés. C’est la honte et la négation de la liberté individuelle qui est inhérente à toute personne humaine. Mes collègues d’Héritage et Modernité sont suffisamment responsables. Ils ont pris leurs responsabilités eux-mêmes mais, je suis sensible à leurs problèmes et partage leurs préoccupations. Qu’à cela ne tienne, je suis loin d’être l’instigateur ou le promoteur caché de leur mouvement. Ils appuient ma candidature à la présidentielle mais ne sont pas assujettis à ma personne.
Ne vous sentez-vous pas comptable de la situation chaotique du pays que vous dénoncez aujourd’hui, sachant évidemment que vous avez passé plus de 40 ans aux affaires ?
J’ai été au gouvernement pendant 7 ans, député pendant 24 ans et président de l’assemblée nationale pendant 19 ans et 3 mois. J’ai ma part de responsabilité dans la gestion du pays et je ne peux pas m’en cacher. Les députés sont responsables des lois qu’ils votent mais ils ne sont pas impliqués dans la gestion du pays au quotidien. Ils peuvent attirer l’attention du gouvernement sur les problèmes que rencontrent les populations, mais la mise en place des politiques publiques incombent aux gouvernants. Lors que les contradictions entre l’exécutif et le législatif deviennent trop importantes, on abouti à la séparation C’est ce qui s’est passé.
Qu’est-ce que vous proposez aux Gabonais dans votre projet de société ?
Je n’ai pas encore publié mon projet de société et mon plan d’action mais, je peux d’ores et déjà vous dire que si je suis élu par les Gabonais, le premier acte que je poserai consistera à réunir la classe politique pour étudier ensemble les voies et moyens de mettre en place une nouvelle constitution qui fasse entrer le Gabon dans la modernité. Cela suppose plus de liberté et une véritable participation des citoyens à la vie politique. L’actuelle Constitution est taillée sur mesure. Je proposerai à mes compatriotes des partis politiques pour que nous revenions à une élection présidentielle à deux tours et la limitation des mandats présidentiels. Je suis pour un mandat présidentiel de 7 ans, renouvelable une fois. Il faut assainir le climat politique par un toilettage de la constitution et pour cela il faudra que le gouvernement se mette au travail conformément à la loi. Aujourd’hui, on a un gouvernement qui a été déchargé de ses responsabilités par la création des agences qui sont logées à la présidence de la république. Les responsables de ces agences rendent compte aux directeurs du cabinet ou au chef du cabinet du président de la république et non aux ministres. Il faudra revoir tout cela et faire en sorte que le gouvernement reprenne sa place sur l’échiquier des institutions et cela sur la base d’un programme économique que nous allons élaborer avec la participation du patronat. Aujourd’hui les entreprises gabonaises sont en faillite. L’Etat est devenu un Etat voyou qui ne paie plus correctement sa dette aux entreprises. Il faut revoir tout cela.
Parlant de la future présidentielle, certains opposants appellent au boycott des urnes, alors que d’autres conditionnent leur participation à la présentation publique par Ali Bongo Ondimba d’une pièce d’état-civil conforme. Quelle est votre posture à vous ?
Je pense que bien souvent en Afrique, les opposants pèchent par excès d’optimisme. Ils pensent qu’il suffit de dire ceci ou d’exiger cela pour changer les choses. Il ya un camp qui exige un acte de naissance conforme à Ali Bongo Ondimba. L’autre pense qu’il faut aller aux élections quitte à demander aux Gabonais de le sanctionner par les urnes. Les uns et les autres ont leurs raisons. Le président de la République a déclaré lui-même au cours d’une interview à RFI qu’il a fourni un faux acte de naissance en 2009. Il a prêté serment sur la constitution et a juré de respecter l’état de droit. Il a avoué avoir fait usage de faux en écriture publique. Il devrait tirer les conséquences. Si Ali Bongo aime véritablement son pays comme il le dit, il devrait comprendre qu’il a créé un problème à son pays et se retirer de la course au lieu de mettre le pays en conflit en raison de ses propres actes et de ses ambitions politiques. Pour moi, si la justice gabonaise dit que l’acte de naissance d’Ali Bongo Ondimba est conforme, donc l’autorise à briguer un second mandat à la tête de l’Etat, je ne vais pas refuser de participer à la course. Je sais que c’est ce qui va se passer donc, allons aux élections et expliquons aux gabonais que le temps est venu pour l’alternance.
Les opposants affirment que le parti au pouvoir n’a gagné aucune élection présidentielle depuis plus de 20 ans. Croyez-vous à la sincérité du vote au Gabon ?
La transparence électorale est une chose qui est réclamée par l’ensemble des acteurs politiques même si chaque camp a toujours essayé de manipuler le vote à sa faveur. Nous devons travailler pour créer les conditions susceptibles de conduire à un scrutin crédible et transparent dans notre pays. Il faut envoyer dans les bureaux de vote des personnes incorruptibles et qui maîtrisent les mécanismes d’une consultation électorale. Les partis de l’opposition doivent faire en sorte que leurs représentants dans les bureaux de vote soient des gens libres et intègres. Au Gabon, il y a toujours des gens qui viennent avec de l’argent dans les bureaux de vote pour corrompre les représentants des partis, notamment ceux de l’opposition. C’est pour cela que j’appelle l’opposition à former et à sensibiliser ses militants. Par ailleurs, il est nécessaire que toutes les composantes de la société y compris l’armée se mettent vraiment au service du peuple. L’armée doit être au service de la sécurité du territoire et non au service d’un individu. Ceux qui massacrent leur peuple pour se maintenir au pouvoir ne pourront plus échapper à la justice. La Cour Pénale Internationale (CPI) s’occupera d’eux. Dans tous les cas, le dernier mot revient toujours au peuple. Si nous sommes unis et déterminés, nous battrons le PDG.
Je lance un appel aux Gabonais pour dire que nous ne pouvons pas assister impuissants à la descente aux enfers de notre pays. Je dis qu’il faut revenir aux fondamentaux qui fondent un Etat moderne, la démocratie, et l’état de droit. Je lance un appel aux Gabonais de toutes les provinces pour sauver le Gabon, pour la paix, l’unité et le développement du pays. Il faut que la richesse que la richesse du Gabon profite d’abord aux Gabonais. Nous sommes à un carrefour, à un rendez-vous important de notre histoire. Si nous nous trompons de direction, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer demain. Ce serait une grave erreur que de reconduire Ali Bongo Ondimba au pouvoir.