Aucun couvre-feu, pas d’interruption des communications téléphoniques ou d’Internet, comme le propageaient avec insistance les rumeurs de la rue, malgré les dénégations insistantes d’un pouvoir qui revendique son souci de transparence dans la gestion de la présidentielle du samedi 27 août au Gabon. Des forces de sécurité ont bien été déployées dans Libreville, la capitale, mais en nombre raisonnable, sur les grands axes et devant les bâtiments publics de la ville. Utile précaution jusqu’à la proclamation des résultats dans un pays où la dernière présidentielle, en 2009, s’était terminée par des manifestations violentes et meurtrières, principalement à Port-Gentil, la capitale économique de ce petit pays pétrolier d’Afrique centrale.
Ce souvenir hante une bonne partie de la population. Dimanche, Libreville avait d’ailleurs des airs de ville morte où les taxis constituaient l’essentiel de la circulation routière. Comme la veille, la quasi-totalité des commerces et restaurants avaient tiré leur rideau de fer.
A cette heure, dimanche midi, aucun incident violent n’était à signaler mais le souvenir de 2009 et les propos va-t-en-guerre de certains militants ont convaincu la population de Libreville de rester chez elle. Rencontré la veille devant le bureau de vote installé dans l’école publique Akébé Belle-Vue 1A, Aimé Zamba prévenait ainsi « qu’il ne se laissera pas voler sa victoire ». « En 2009, ici, Ali Bongo avait aussi été laminé. C’était pareil et au final ils ont quand même dit qu’il avait gagné », lâche-t-il, convaincu que le président sortant ne peut gagner à la régulière. Un sentiment largement partagé dans l’opposition malgré les engagements du pouvoir de reconnaître sa défaite, si tel était le cas. Mais la défiance règne entre les deux camps.
« Nous n’avons rien, on est dans la misère »
Ici, à Belle-Vue, la balance penche lourdement en faveur de Jean Ping, aujourd’hui le principal candidat de l’opposition après avoir été l’un des piliers du régime de feu Omar Bongo Ondimba, indéboulonnable président du Gabon de 1967 jusqu’à sa mort en 2009. « On a perdu, je suis effondré mais il ne faut pas généraliser, ce n’est qu’un bureau sur les 2 500 du pays », rappelle un partisan qui préfère rester anonyme – du « camp d’en face », celui d’Ali Bongo, fils d’Omar, candidat pour un nouveau mandat de sept ans.
Plus loin sur la corniche qui borde les plages de sable fin et de cocotiers de l’océan Atlantique, les propos étaient plus virulents. Devant les portes du bureau n °5 du quartier Lalala, Esso Ngyala, diplômé en marketing au chômage, comme tant de jeunes Gabonais, s’emporte. « Il y a sept ans, Ali déclarait qu’il ne serait heureux que lorsque nous serons heureux. Aujourd’hui on est fatigués. Il a fait des routes mais nous, nous n’avons rien, on est dans la misère », explique-t-il, le regard désespéré en retournant les poches vides de son pantalon.
Durant sa campagne, le candidat-président a promis, en cas de victoire, de consacrer son nouveau mandat à la jeunesse, de résorber le chômage et d’améliorer la formation professionnelle. Chantal Moya, mère de famille de quarante ans, n’y croit plus : « Depuis 1967, on n’a connu qu’une seule famille, les Bongo, elle a montré ses limites. Qu’elle parte. » « S’il ne le fait pas il trouvera la population sur sa route, ça va mal tourner », renchérit Cédric, lui aussi jeune chômeur.
« Le déroulé est satisfaisant et positif »
La proclamation des résultats s’annonce donc comme un moment délicat à passer. Si aucune tendance n’était disponible dimanche, chaque camp se dit en effet convaincu de sa victoire et s’accuse mutuellement de tricherie. Un communiqué du ministère de l’intérieur juge pourtant qu’« en dépit des fraudes constatées dans certains bureaux, le déroulé est satisfaisant et positif pour l’ensemble des observateurs comme pour les institutions. Les résultats finaux sont en cours de récupération par la CENAP [Commission électorale nationale et permanente] et il est prévu qu’une déclaration ait lieu le 30 août à 17 heures ».
Jean Ping ne semblerait pas vouloir attendre ce délai. Il a appelé ses partisans à se rassembler dimanche après-midi dans le centre de la capitale. « Nous sommes assez remontés », confiait un membre de son entourage. Le pouvoir a averti qu’il ne tolérerait aucun débordement.
Christophe Châtelot
Libreville, envoyé spécial