La dynastie Bongo règne sur ce pays d’Afrique équatoriale depuis près d’un demi-siècle. Mais son autorité est remise en cause par un ancien cacique du régime. Les Gabonais attendent les résultats avec inquiétude : le perdant acceptera-t-il sa défaite ?
Depuis samedi soir, les Gabonais retiennent leur souffle à l’issue d’une présidentielle qui pourrait bien changer l’histoire du pays. D’un côté, Ali Bongo, héritier d’une famille au pouvoir depuis 1967. De l’autre, Jean Ping, ancien cacique du clan, qui tente de créer l’alternance. Depuis le vote de cette élection à un tour, samedi 27 août, les deux camps se sont lancés dans une bataille de déclarations, chacun revendiquant la victoire et dénonçant les fraudes de l’autre. Le perdant acceptera-t-il sa défaite ? Franceinfo vous explique les enjeux de cette élection en trois questions.
Pourquoi ce pays peu peuplé est-il si stratégique ?
Le Gabon est plus grand que le Royaume-Uni, mais il ne compte que 1,7 million d’habitants, dont une large part d’étrangers. C’est un pays couvert de forêts denses, parcouru de fleuves boueux et puissants, en plein sur l’équateur. Les populations se concentrent surtout sur les côtes du golfe de Guinée, à Libreville et Port-Gentil. Mais ce confetti démographique est un poids lourd des matières premières. Pétrole, manganèse, bois : de Total à Eramet, en passant par Olam, de grandes compagnies (notamment françaises) exploitent ses immenses richesses.
Le Gabon est aussi un îlot de stabilité dans une Afrique centrale troublée. Son frère jumeau congolais (la République du Congo, avec qui il partage une longue frontière) a ainsi connu une guerre civile meurtrière dans les années 1990. Au Gabon, le dernier coup de force a eu lieu quatre ans après l’indépendance, en 1960 : le président Léon Mba est renversé, mais les parachutistes français le réinstallent dans son palais du bord de mer. C’est que pendant longtemps, le Gabon, qui avait réclamé de rester un département français, a été un pilier de la « Françafrique », la chasse gardée d’Elf et des entreprises françaises, avec la bienveillance d’Omar Bongo. Dix mille Français vivent encore sur place.
Qui sont les deux principaux concurrents ?
Deux fortes personnalités effacent les neuf autres candidats. D’un côté, le président sortant, Ali Bongo (57 ans), est le fils d’Omar Bongo. Tenté dans sa jeunesse par une carrière de chanteur disco, il émerge d’une fratrie de 53 enfants (reconnus) pour s’imposer comme l’héritier naturel du patriarche, simple employé des PTT qui a tenu quarante-et-un ans le pouvoir (seul Fidel Castro a fait plus). Ministre de la Défense, le fils est élu en 2009 après la mort de son père.
Sa filiation fait cependant l’objet d’un très vif débat. Alain-Bernard Bongo, devenu Ali Bongo après sa conversion à l’islam, est accusé par l’opposition d’être un « Biafrais » (Nigérian) adopté. En 2014, le journaliste français Pierre Péan affirme qu’Ali Bongo a falsifié son acte de naissance. Selon la Constitution, il faut être né gabonais pour pouvoir briguer la magistrature suprême.
Au Gabon, la politique passe toujours par les Bongo et prend des airs de Dallas. Ainsi, Jean Ping (73 ans) n’est pas de la famille, mais presque. Son père, un riche fermier chinois, devenu artisan en France, puis colporteur, atterrit au Gabon pour affaires. Jean Ping raconte la suite dans un portrait du Monde : « Mon père loupe le bateau qui ne repasse qu’un mois plus tard. Etait-il au bordel ? Etait-il trop saoul ? Il reste. Achète une boulangerie à un colon français. Et devient boulanger. Puis pêcheur. Puis spécialiste en salaison. Ensuite, exploitant forestier. Il accumule du capital, devient Charles Ping pour l’administration française. » Il se marie à la fille d’un chef traditionnel et envoie son fils étudier en France.
Jean Ping aborde les Bongo par Pascaline, l’aînée d’Omar, ancienne directrice de cabinet de son père, devenue rivale d’Ali Bongo et exécutrice du testament paternel. Ils ont plusieurs enfants ensemble, se séparent. Jean Ping est entré dans l’appareil. « Il fut tour à tour chef de cabinet d’Omar Bongo et tellement de fois ministre qu’il faudrait un boulier pour compter les maroquins dont il a eu la charge », écrit Le Monde. Quand Ali Bongo est élu, Jean Ping est le grand patron de l’Union africaine (UA), organisation qui regroupe la quasi-totalité des pays du continent. A la fin de son mandat, il ne lui reste que le palais du bord de mer à conquérir pour terminer sa carrière en apothéose. Il rompt avec Ali Bongo et fédère une génération de caciques passés à l’opposition pour cette délicate élection à un tour, où l’éparpillement des voix avait profité à Ali Bongo en 2009.
Pourquoi ces élections sont-elles tendues ?
Signe du climat tendu, de nombreux étrangers ont décalé leurs congés ou sont rentrés dans leur pays d’origine durant la période électorale. Après l’élection d’Ali Bongo en 2009, des émeutes avaient éclaté à Port-Gentil (morts, pillages, couvre-feu, consultat de France incendié…). Plus que jamais, Port-Gentil est au centre des attentions. Cette ville est un vieux bastion de l’opposition. Capitale économique et pétrolière, elle est aujourd’hui frappée par la crise du pétrole. Mais c’est tout le système Bongo qui est fragilisé par la baisse des cours du brut. Malgré ses ressources pétrolières, et malgré une population peu nombreuse, 30% des Gabonais vivaient sous le seuil de pauvreté en 2014, selon RFI.
« La capacité organisationnelle du régime faiblit », écrivait Khalid Tinasti, docteur en sciences politiques, dans Le Monde. « L’industrie extractive souffre du prix bas du pétrole, les infrastructures promises tardent à se concrétiser, les agences publiques supposées accélérer l’émergence du pays semblent être un double peu performant de l’administration, la fonction publique a été traumatisée par le TsunAli de 2010 [audit de la fonction publique pour débusquer les postes fictifs], et Jean Ping, lui-même issu du PDG [parti au pouvoir], s’est placé très tôt comme l’opposant principal d’Ali Bongo. »
Des Gabonais font la queue pour acheter du pain et le stocker, le 30 août 2016, à Libreville, en attendant la proclamation des résultats de l’élection présidentielle.
Des Gabonais font la queue pour acheter du pain et le stocker, le 30 août 2016, à Libreville, en attendant la proclamation des résultats de l’élection présidentielle. (MARCO LONGARI / AFP)
La campagne s’est déroulée dans un climat délétère. Les échanges verbaux ont été particulièrement virulents. L’opposition a harcelé Ali Bongo sur sa filiation. Dans l’autre camp, des partisans du président ne se sont pas privés d’attaquer Jean Ping sur ses origines chinoises, sous-entendant lourdement qu’il servait pour son bénéfice personnel de cheval de Troie aux intérêts de Pékin.
Chacun a accusé l’autre de chercher à voler l’élection. Deux jours après le vote, les observateurs de l’Union européenne ont affirmé que le processus électoral au Gabon « a manqué de transparence ». Quant au Parti socialiste français, il ne s’est pas embarrassé de pincettes pour affirmer « que les premières estimations indiquent que le président sortant Ali Bongo serait battu au profit de Jean Ping » et qu' »une alternance serait signe de bonne santé démocratique et un exemple ».
L’ONU a appelé, à la veille du scrutin, les Gabonais à voter dans le calme et à s’abstenir de toute violence ou provocation. Pas sûre qu’elle soit entendue. « Au pouvoir, beaucoup de gens ont trop à perdre de ce système familial et ne veulent pas partir. Quant aux quartiers populaires et défavorisés acquis à l’opposition, ils risquent de ne pas comprendre l’annonce des résultats si on proclame Ali Bongo vainqueur. Dans ces cas-là, il pourrait y avoir de nouveau des violences politiques, des pillages et des règlements de comptes », s’inquiète un diplomate européen dans les colonnes du Monde. En attendant, les forces de sécurité sont déployées dans la capitale.