Les résultats officiels de la présidentielle dans la région du Haut-Ogooué, ultra-favorables à Ali Bongo, sont contestés par son rival, Jean Ping. Les opposants ont été violemment réprimés.
C’est une province peu peuplée, minière (on y trouve les principales réserves de manganèse du Gabon) et où 250 fossiles en excellent état de conservation retrouvés en 2010 ont apporté, pour la première fois, la preuve de l’existence d’organismes pluricellulaires durant le protérozoïque, il y a 2,1 milliards d’années. Mais le Haut-Ogooué est surtout la région natale de la famille Bongo. C’est donc ici que se serait concentrée la fraude électorale du scrutin présidentiel du 27 août.
Selon les résultats officiels proclamés par le ministre de l’Intérieur mercredi, les électeurs du Haut-Ogooué auraient voté comme un seul homme en faveur du président sortant, Ali Bongo, qui recueillerait 95,46 % des voix. Mais surtout, ils se seraient mobilisés dans une proportion encore jamais vue : 99,93 % des citoyens inscrits sur les listes électorales auraient fait le déplacement jusqu’aux urnes.
En 2009, ils étaient 65 % selon les chiffres officiels. Et, déjà, la participation était gonflée si l’on en croit un câble de l’ambassadrice américaine de l’époque, révélé par WikiLeaks, qui doute à la fois de la dimension des listes électorales et du taux de votants : celui-ci est «considérablement plus haut (15 points) que dans les huit autres provinces du Gabon. Sans le large nombre de votes du Haut-Ogooué, les 41 % de suffrages d’Ali Bongo baisseraient de façon significative. […] Ramené à un taux de participation plus raisonnable, comparable aux autres provinces, Ali Bongo perdrait 12 points sur le décompte total officiel».
Cette fois-ci, le régime a poussé le bouchon un peu loin. Il faut dire qu’après le dépouillement des votes dans les huit autres provinces (dont l’opposition ne conteste pas les résultats), il avait près de 60 000 voix à rattraper. Ali Bongo s’est donc octroyé 65 073 bulletins en sa faveur (contre 3 071 pour Ping) dans le Haut-Ogooué, d’après le procès-verbal de centralisation rédigé lundi et dont Libération a obtenu copie. Ce résultat improbable a permis au président sortant de revendiquer la victoire finale, en dépassant le score national de Jean Ping de 5 594 voix.
Interrogé sur la crédibilité de ces chiffres, un haut responsable de la Commission électorale, représentant du parti au pouvoir, a commenté ainsi : «Nous sommes à mille kilomètres du Haut-Ogooué. Nous ne pouvons pas savoir quel a été le degré de mobilisation populaire.»
Les partisans du leader de l’opposition ont fait leurs propres calculs. Selon leur décompte, transmis à Libération, 29 114 personnes ont voté dans le Haut-Ogooué (et non 68 399, comme indiqué sur le PV officiel). Ali Bongo arriverait bien en tête avec 24 910 voix (soit 86 % des suffrages exprimés), un score insuffisant pour combler l’écart national avec Jean Ping. Celui-ci remporterait donc l’élection avec 38 000 voix d’avance. «Nous avions des représentants légaux dans chaque bureau de vote, même dans le Haut-Ogooué, précise un responsable européen de l’équipe de campagne de Jean Ping. Nos chiffres sont tout simplement ceux des procès-verbaux que nous avons transmis à la mission européenne d’observation des résultats.» Cette dernière demande au gouvernement gabonais la publication des résultats bureau par bureau. Sans succès pour l’instant.
Célian Macé