Libreville – Malgré la libération d’une vingtaine de leaders de l’opposition, le Gabon se trouvait toujours vendredi sous haute tension avec de nouveaux civils tués et des pénuries de nourriture qui menaçaient dans tout le pays, alors que le pouvoir refuse tout nouveau décompte des voix après la réélection contestée du président sortant Ali Bongo.
Les autorités gabonaises ont autorisé vendredi soir à rentrer chez eux les représentants de l’opposition et de la société civile retenus depuis jeudi matin au quartier général de Jean Ping, principal rival d’Ali Bongo.
Quelques minutes plus tôt, la France avait demandé à Libreville de rendre « leur liberté de mouvement » aux 27 responsables de l’opposition – dont un ancien vice-président et deux anciens ministres – retenus par les forces de sécurité au QG de Jean Ping.
Plus tôt vendredi, les « 27 » avaient lancé, par l’entremise de leur avocat en France, Me Eric Moutet, un appel à la communauté internationale dénonçant « leurs conditions de séquestration » et « le hold-up électoral » commis par le régime.
« Ils sont sortis, je pense que les pressions ont fini par payer », s’est réjoui Me Moutet. « J’espère que les centaines d’autres qui ont été arrêtés connaîtront le même dénouement heureux dans les prochaines heures. »
« Nous allons saisir la Cour constitutionnelle et demander à la Cenap (la commission électorale, ndlr) de recompter les voix », a annoncé à l’AFP, dès sa sortie, l’un des opposants, Paul-Marie Gondjout, tout en remerciant la communauté internationale pour sa mobilisation.
Les opposants libérés se sont ensuite rendus au domicile de Jean Ping qui, après avoir disparu durant deux jours, les y attendait pour tenir une conférence de presse.
La tension restait forte à Libreville : deux hommes de 27 et 28 ans ont été tués par balles dans le quartier de Nzeng Ayong, lors d’affrontements jeudi soir entre manifestants et forces de l’ordre, selon deux journalistes de l’AFP.
« Ils ont trouvé mon fils devant la porte, sur la route. Une voiture noire est arrivée. Ils ont baissé la vitre, ils étaient deux, ils ont tiré deux coups », a déclaré la mère de l’un d’entre eux à l’AFPTV.
– 5 civils tués –
Ces deux décès portent à cinq le nombre de victimes recensées depuis le début des troubles mercredi après-midi, juste après l’annonce de la réélection contestée d’Ali Bongo.
Les affrontements ont fait trois blessés parmi les forces de l’ordre et « entre trois et cinq morts » parmi les manifestants, a reconnu vendredi soir le porte-parole du gouvernement gabonais, Alain-Claude Bilie-By-Nze, de passage à Paris. Jusqu’à présent le gouvernement gabonais n’avait confirmé que trois décès.
Par ailleurs, entre 800 et 1.100 personnes ont été interpellées dans l’ensemble du pays, avait indiqué jeudi le ministre de l’Intérieur.
La situation est aussi tendue dans les PK, les quartiers périphériques qui s’étendent le long de l’unique route nationale reliant Libreville au reste du pays.
« On a entendu des coups de feu toute la nuit. Les stations-service sont fermées, gardées par des militaires. Devant une boulangerie, des militaires assurent la sécurité pour qu’on ait un peu de pain », a détaillé à l’AFP Nicolas, un menuisier de la périphérie de la capitale.
La pénurie de pain menace à Libreville et les autres villes du pays, tout comme celle de produits frais, les transports étant paralysés. Une situation aggravée par les pillages massifs de commerces.
Depuis mercredi soir, plusieurs villes de province comme Oyem, Port-Gentil ou Bitam, ont elles aussi connu des troubles, notamment dans le nord, proche du Cameroun, où la situation est « particulièrement tendue », selon une source sécuritaire.
A Oyem, principale ville du nord du Gabon, « un policier a été blessé à la tête par un tir de fusil de chasse », selon cette source qui parle d’un pronostic vital engagé. M. Bilie-By-Nze affirmait lui vendredi soir que « ses jours ne sont pas en danger ».
Dans la ville de Bitam, près de la frontière camerounaise, des postes de contrôle de gendarmerie sont tenus par les habitants qui attendent que Jean Ping prenne la parole et un nouveau décompte des voix, a affirmé à l’AFP le député d’opposition Patrick Eyogo.
« Le calme est revenu à Port-Gentil », la capitale économique, ainsi qu’à Bitam, près de la frontière camerounaise, a assuré pour sa part M. Bilie-By-Nze.
Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne ont demandé la publication des résultats de l’élection à un tour bureau par bureau, comme l’a réaffirmé vendredi sur RFI la responsable de la mission électorale de l’UE, Mariya Gabriel.
Le pouvoir gabonais refuse catégoriquement, invoquant la loi électorale du pays, qui ne prévoit pas cette procédure.