Rejetant les résultats officiels qui confirment la réélection du président sortant Ali Bongo, le plus proche challenger de ce dernier, Jean Ping, s’est autoproclamé vainqueur de la présidentielle du 27 août 2016, au Gabon. En rupture avec la dynastie Bongo, dont il est issu, le prétendant malheureux est loin d’être un nouveau venu dans la vie politique de son pays. Portrait.
Au Gabon, l’alternance n’est manifestement pas pour 2016. Ceux qui rêvaient de voir le clan Bongo tirer sa révérence et l’opposition prendre place au Palais du bord de mer de Libreville, devront attendre. Pour ses partisans, si l’élection s’était déroulée normalement, c’est leur candidat, Jean Ping, 73 ans, qui aurait été proclamé par la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cénap) du Gabon le quatrième président de la république gabonaise, succédant à la dynastie Bongo. Celle-ci a présidé pendant 49 ans sur la destinée de ce petit pays de près de 2 millions d’habitants et riche en ressources minérales, notamment en pétrole.
Liens étroits et familiaux
Pour des milliers de Gabonais, Jean Ping, parti le premier en campagne, a incarné l’alternance. Pourtant, son nom demeure étroitement associé à la famille Bongo. L’homme fut pendant longtemps le bras droit d’Omar Bongo, père du chef de l’Etat sortant et fondateur de la dynastie Bongo. Né d’une mère gabonaise et d’un père chinois arrivé au Gabon dans les années 1920, ce haut fonctionnaire, économiste de formation, avait été coopté par le régime à la fin des années 1980. On ne compte pas le nombre de postes ministériels que celui-ci a occupés depuis, avant d’être imposé par son mentor, Bongo père, à la tête de la Commission de l’Union africaine en 2008.
Jean Ping entretient aussi des liens familiaux avec les Bongo. Il a été marié à la fille d’Omar Bongo, Pascaline qui, en tant que directrice de cabinet de son père, fut l’une des personnalités les plus puissantes du régime. Les enfants du couple, séparé aujourd’hui, servent d’intermédiaires entre leur père et sa belle-famille. Certains affirment qu’Ali Bongo a eu recours à ce canal familial privilégié pour tenter de dissuader son ex-beau-frère de se présenter à la présidentielle contre lui. Interrogé par les journalistes pendant la campagne électorale sur ses liens étroits avec le régime qu’il a qualifié dans ses meetings de « dictature pure et simple entre les mains d’une famille », l’opposant a volontiers reconnu son rôle dans la perpétuation du régime. « Bien sûr ! Absolument ! J’y ai participé mais j’ai demandé pardon », a-t-il répondu.
C’est en 2014 que Jean Ping a basculé dans l’opposition. Président de la commission de l’Union africaine depuis 2008, l’homme entretenait de très bonnes relations avec le successeur d’Omar Bongo qu’il recevait chez lui à Addis-Abeba. Mais en 2012, Ali Bongo, déterminé à prendre ses distances par rapport aux caciques du régime de son père, décide de ne pas soutenir le renouvellement du mandat de Jean Ping à la tête de la Commission africaine. Un affront pour ce dernier qui décide, alors, de rejoindre les rangs de l’opposition.
Un long cheminement
Le cheminement sera long, car, dans un premier temps, l’entrée en dissidence de cet ancien pilier du régime paraît peu crédible aux yeux des opposants de longue date. Le pouvoir, pour sa part, n’aura de cesse de le décrédibiliser en attribuant son départ à la perte des prébendes et des avantages sous une nouvelle administration soucieuse de mettre fin aux pratiques corrompues de l’époque de son prédécesseur. Devant les journalistes, Ali Bongo s’est fait un malin plaisir de pointer du doigt l’absence de « projet politique » de ce nouvel opposant, rappelant que c’est grâce à son entremise que Jean Ping était devenu directeur de cabinet d’Omar Bongo.
Le désormais opposant n’en a cure. Il est déterminé à renverser la dynastie. L’un des premiers à entrer en campagne pour le scrutin présidentiel d’août 2016, il a parcouru inlassablement le pays, de long en large, se proclamant « le Général qui mènera le combat de la libération ». Dans ses meetings, il a parlé d’un « Gabon à l’abri du besoin et de la peur », promettant d’en faire un « pays de justice sociale et d’équité, avec des citoyennes et citoyens égaux en droit ».
« Comment se fait-il, s’interroge le candidat, qu’ « avec 1,5 millions d’habitants et toutes les ressources que nous avons, nous ne puissions pas subvenir aux besoins élémentaires de la population ? Comment se fait-il que les gens fouillent dans les poubelles pour manger et ne vont pas à l’école ? » Ces interpellations n’ont, au départ, guère ému le pouvoir en place qui tablait sur les habituelles divisions de l’opposition pour remporter le scrutin sans coup férir. Le président sortant Ali Bongo ne doutait pas, jusqu’à encore récemment, de sa réélection face à une opposition éclatée, tout comme en 2009 où il avait remporté le scrutin avec 42% des suffrages, le reste étant réparti entre les 22 autres candidats.
Coup de tonnerre
Or, cette fois, les négociations au sein de l’opposition ont fini par porter leurs fruits. Le 16 août, à dix jours du scrutin, trois candidats de poids ont décidé de réunir leurs forces et ont annoncé leur désistement en faveur de celui qui apparaissait comme le plus à même de battre Ali Bongo. L’annonce a été vécue comme un coup de tonnerre par le pouvoir qui a cherché à en minimiser les conséquences en qualifiant l’alliance des opposants de résultat d’un « marchandage d’épiciers » et de « non-événement ». C’est un tournant dans une campagne électorale où le pouvoir avait, jusque-là, toutes les cartes en main, y compris celle des moyens qui avait permis à Ali Bongo de couvrir les murs de Libreville avec ses posters géants, laissant peu de place à ses adversaires.
Selon le spécialiste du Gabon, Mays Mouissi, le désistement des poids lourds de l’opposition n’est pas la seule raison de l’enthousiasme qu’a suscité la candidature de Jean Ping, principal challenger d’Ali Bongo. « J’y vois trois autres raisons, explique l’économiste : l’aspiration profonde de la population pour l’alternance, la campagne discrète mais efficace faite par les élites, proches parfois du Parti démocratique gabonais (PDG) d’Ali Bongo, pour le changement et, last but not least, la situation économique dans laquelle notre pays se bat depuis quelques années, notamment depuis la chute vertigineuse des prix du pétrole. »
La situation au Gabon est aujourd’hui bloquée, avec, d’une part, Jean Ping, qui se dit le véritable vainqueur de l’élection et demande que les suffrages soient recomptés et, de l’autre, le pouvoir qui s’obstine dans son refus du recomptage. Ironie de l’histoire, en 2011, l’opposant, alors chef de la Commission de l’Union africaine, avait refusé le recomptage des voix réclamé par le camp de Laurent Gbagbo, à la suite de l’élection présidentielle contestée en Côte d’Ivoire. Au Gabon aujourd’hui, comme en Côte d’Ivoire hier, obtenir le recomptage des suffrages semble mission impossible. Et si Jean Ping n’obtient pas gain de cause, il lui faudra attendre la prochaine échéance présidentielle, en 2024. Il aura alors 80 ans.