Les Gabonais qui ont perturbé le meeting du candidat à la primaire mercredi n’ont pas oublié les compromissions de l’ancien président avec le régime Bongo.
Mais pourquoi les étudiants gabonais en veulent-ils à Sarkozy ?
C’est moche de se faire interrompre, hors propos et hors cadre, alors qu’on est engagé dans une compétition sérieuse (les primaires à droite). Nicolas Sarkozy n’a visiblement guère apprécié que des étudiants gabonais viennent perturber, mercredi soir, son meeting à Marcq-en-Barœul (Nord) en scandant : «Sarko, viens chercher Ali !» Une référence très explicite au président gabonais, Ali Bongo, qui ces jours-ci essaye de persuader ses concitoyens et le monde entier qu’il a bien gagné pour la deuxième fois l’élection présidentielle du 27 août. Sollicitée sur les cas de fraude dénoncés par l’opposition, la Cour constitutionnelle, présidée par une belle-mère d’Ali (ex-maîtresse de son père Omar), doit d’ailleurs rendre son verdict d’ici à ce vendredi.
Mais quel rapport avec la course de la primaire à droite, ou encore avec l’entreprise Holder (boulangeries Paul) que le candidat à la primaire venait de visiter ? «Ici c’est la France, ce n’est pas le Gabon», a rétorqué Sarkozy face aux agitateurs, rapidement expulsés, et auxquels l’ancien président a conseillé de «rentrer chez eux». Sous les applaudissements de ses supporteurs.
Rappeler à Sarkozy quelques mauvais souvenirs
Ce n’est pourtant pas la première fois que la diaspora gabonaise, majoritairement proche de l’opposition locale, s’attaque à Sarkozy. Au début du mois, elle avait de la même façon organisé une manifestation devant le siège des Républicains à Paris. Et semble bien décidée à rappeler à Nicolas Sarkozy quelques mauvais souvenirs.
En septembre 2009, lors de la précédente présidentielle au Gabon, Nicolas Sarkozy était lui-même président de la France. A ce titre, il avait fait preuve d’une célérité impressionnante pour féliciter Ali Bongo, élu alors pour la première fois, lors de ce scrutin qui se tenait quelques mois après le décès de son père Omar. Lequel régna pendant quarante-deux ans sur ce petit émirat pétrolier. La passation de relais dynastique du père au fils avait même été qualifiée, sans rire, de «rupture» par le secrétaire d’Etat à la Coopération Alain Joyandet.
Une situation qui avait d’ailleurs beaucoup amusé l’humoriste Stéphane Guillon, à l’époque sur France Inter: «Il y a des émeutes à Port-Gentil [la capitale économique du Gabon, ndlr], la terreur régne. Et Sarko envoie un télégramme de félicitations ?» avait-il fait mine de s’interroger, avant de poursuivre : «C’est quand même bizarre que les Gabonais se disent : le père nous a ruinés, élisons le fils !» Allusion à la fameuse «rupture» évoquée par le secrétaire d’Etat à la Coopération.
«La Françafrique moribonde»
Rappelons qu’Alain Joyandet a été nommé en 2008. Juste après que son prédécesseur, Jean-Marie Bockel, se soit fait débarquer du même poste. Sur demande expresse d’Omar Bongo, lequel n’avait guère apprécié les propos de Bockel sur «la Françafrique moribonde». Sarkozy avait alors dépêché Claude Gueant et le fidèle Joyandet à peine nommé, au Palais du bord de mer à Libreville, faire amende honorable auprès d’Omar Bongo.
Dont on sait qu’il fut non seulement le symbole de la Françafrique mais aussi le pourvoyeur de fonds de tous les partis politiques français. C’est une vieille histoire, révélée et confirmée par tant d’intermédiaires et de courtisans qu’il n’y a même plus débat.
Amis d’hier, fantômes d’aujourd’hui
Sauf qu’en 2011, certains transfuges vont également accuser Nicolas Sarkozy d’avoir profité des fonds de ce pays riche en pétrole, manganèse et uranium – mais qui manque de routes, d’hôpitaux et d’écoles. Un ancien conseiller personnel d’Omar Bongo, Mike Jocktane, va révéler que Sarkozy aurait bénéficié de remises d’espèces pour financer sa campagne de 2007. Expliquant au passage que les remises de malettes étaient filmées à la présidence gabonaise, sans que les intermédiaires français soient au courant. Ambiance.
Aujourd’hui, certes, Sarkozy est moins proche d’Ali Bongo. Comme beaucoup d’anciens briscards de la Françafrique, à commencer par l’avocat Robert Bourgi très lié à Sarkozy, et longtemps aussi à Ali Bongo. Jusqu’à leur rupture récente. Les amis d’hier, les fantômes d’aujourd’hui. Les mauvais souvenirs reviennent toujours en boomerang. Pour nous rappeler aussi les fausses promesses envolées : «La Françafrique, c’est fini», avait déclaré Sarkozy à la veille de son élection. Mais sur ce sujet-là, il est vrai, le parjure frappe tous les présidents français.
Maria Malagardis