Le JDD révèle dimanche que les services secrets d’Ali Bongo ont écouté les observateurs chargés par l’Union européenne de veiller à la régularité de l’élection présidentielle. Voici ce que contiennent ces enregistrements.
Sur écoute pendant un mois
Le JDD de dimanche révèle une vingtaine d’enregistrements clandestins ordonnés par Ali Bongo, un échantillon puisé dans un ensemble certainement plus vaste, qui dévoilent l’existence de ce Watergate gabonais. Entre le 27 août, date de l’élection, et le 23 septembre, jour de la proclamation des résultats, les services secrets du président gabonais savaient tout des faits et gestes des observateurs de l’Union européenne, mais aussi de leur conviction : l’élection a été truquée.
La principale cible des services gabonais s’appelle Pierre B. Cet ancien militaire a été nommé responsable de la sécurité de la délégation européenne, dont l’eurodéputée bulgare Mariya Gabriel a pris la tête. À l’invitation du Gabon, les premiers analystes sont arrivés à Libreville le 12 juillet. Début août, 22 observateurs sont déployés dans les neuf provinces du pays, bientôt rejoints par 22 autres. Au total, une soixantaine de délégués ont été dépêchés.
Des soupçons dès le jour de l’élection
Si en conférence de presse, quelques jours après l’élection, l’Union européenne a admis que « les conditions du vote et la conduite du dépouillement ont été jugées satisfaisantes » dans la majorité des provinces, il n’en est rien en ce qui concerne le Haut-Ogooué, le fief de Bongo. « Là-bas, nos observateurs ont été sortis au moment des opérations de dépouillement », précise au JDD un membre de la mission européenne. Après le scrutin, les jours passent et l’annonce des résultats se fait attendre. « Bongo sait qu’il a perdu, mais comment il va faire pour annoncer qu’il a gagné? », plaisante Jean-Jacques, un des membres de la mission placés sur écoute. En clair, les observateurs européens penchent pour une défaite d’Ali Bongo et redoutent une manipulation à venir.
Des modifications de chiffres sur Wikipédia
Sur les écoutes, les membres de la mission de l’UE croient savoir qu’il y a « 3.000 voix d’écart qui seraient annoncées pour Bongo, alors qu’à l’origine y’avait 60.000 voix d’écart pour Ping », son adversaire. Au cours d’une discussion, Pierre et son collègue Xavier semblent convaincus de la défaite d’Ali Bongo. « C’est tellement gros que tout le monde se demande ce qu’ils peuvent faire! Et ce qu’on sait, tout le monde le sait… C’est clair comme de l’eau de roche, c’est complètement fou! », confie Xavier.
Au cours d’une discussion téléphonique, l’un des membres de la mission s’inquiète de « modifications de chiffres […] sur Wikipédia ». « Ils ont gonflé la population du Haut-Ogooué! C’est pas un signe encourageant », déplore-t-il. Effectivement, sur l’historique de la notice Wikipédia consacrée au fief du camp Bongo, la population a augmenté de 22.000 personnes en une nuit! Et au cours de la nuit suivante, plusieurs dizaines de modifications interviendront.
Des accusation violentes
Le lendemain de ces conversations, dès le 31 août au matin, plusieurs médias de Libreville commencent à tirer à boulets rouges sur les observateurs européens : « Scandale de corruption au sein de l’Union européenne », titre l’un d’eux. Tous ciblent Xavier, un des observateurs qu’ils accusent d’avoir passé « quatre heures avec un candidat de l’opposition », en s’appuyant sur « des sources des services gabonais ». Est-ce sur la base des écoutes? Probable… Sur Twitter, Xavier est attaqué nommément via des tweets et par des hommes du régime.
Le même jour, les résultats de l’élection sont annoncés. « L’AFP donne les chiffres, la différence est de 5.500 voix, l’opposition va refuser ces chiffres et va faire appel », annonce annonce au téléphone la chef adjointe de la mission. Dans le Haut-Ogooué, avec une participation de plus 97% (contre 59,5% au niveau national), Ali Bongo est crédité de 95,46% des voix, soit plus de 68.000 bulletins litigieux d’avance… « Ils ont fait exactement ce que j’espérais qu’ils n’allaient pas faire… », poursuit la chef adjointe de la mission.
Les débordements et le départ de la mission
Dans la nuit du 1er septembre, Helmut Kulitz, l’ambassadeur de l’Union européenne, téléphone à Pierre. « Le quartier général de Jean Ping est attaqué depuis une heure par un hélicoptère et des gens sont à terre avec des tirs réels. La situation est chaotique… » S’ensuivront plusieurs jours d’affrontements. Durant cette période, entre l’élection et la proclamation des résultats, les services gabonais écoutent le téléphone d’un autre membre de la mission, une femme prénommée Anne. Son inquiétude concerne les documents. « Si vous avez des documents officiels, prenez des photos, déchirez-les et mettez-les à l’hôtel dans la poubelle. Pour éviter qu’à l’aéroport, ils vous fassent ouvrir la valise et vous les prennent. »
Rédaction – leJDD.fr