Chef du Bureau des Nations-unies pour l’Afrique centrale (Unoca), Abdoulaye Bathily quitte le Gabon après plus de deux ans à la tête de cette institution onusienne. Il achève en même temps, son mandat en Afrique centrale, en tant que Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies. Avant de quitter le Gabon, il a rencontré les médias ce 31 octobre 2016, à Libreville, pour faire le point sur sa mission dans cette partie du continent et sur le Gabon.
Gabonreview : Une information ou une rumeur circule sur les réseaux sociaux indiquant que l’Unoca a rédigé un rapport donnant Jean Ping vainqueur de l’élection présidentielle du mois d’août dernier. Pouvez-vous le confirmer ?
Abdoulaye Bathily : Ce rapport n’existe pas. Il n’existe nulle part. L’Unoca n’a pas à observer les élections. Ce n’était pas notre mission. Nous n’avons pas décidé d’une mission d’observation des Nations unies. Notre rôle est très clair : ce sont les bons offices du Secrétaire général en vue d’un dialogue pour la paix et la stabilité dans tous les processus électoraux qui se sont déroulés. Que ce soit au Congo, au Tchad, à Sao Tomé & Principe, en Guinée Équatoriale. Notre rôle n’est pas d’observer les élections. Nous ne sommes pas allés dans les bureaux de vote pour savoir ce qui s’est passé ou pour regarder les procès-verbaux afin de savoir qui a gagné. N’ayant pas observé, il ne nous appartient pas de dire qui a gagné. En toute circonstance, c’est lorsqu’il y a des contentieux, des conflits qui risquent de déboucher sur un conflit politique que nous intervenons pour appeler les acteurs à se parler, à trouver un terrain d’entente, à faire des compromis dynamiques. Nous n’avons nulle part écrit ce rapport. Ça n’entre pas dans le cadre de notre mandat, d’une part et d’autre part, nous n’avons même pas les instruments pour dire que tel a gagné ou que tel a perdu.
Face à sa réélection contestée, Ali Bongo demande un dialogue politique inclusif que Jean Ping refuse. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
La question de la paix et de la sécurité est un travail de longue haleine. En ce qui concerne le Gabon, nous avons traversé une période très difficile et vous avez suivi avec moi, depuis les événements de décembre 2014. Suite à la manifestation qui a eu lieu et les événements qui s’en sont suivis, je n’ai cessé d’appeler au dialogue parce que je savais bien que les élections risquaient de déboucher, s’il n’y avait pas de dialogue, sur un conflit. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour amoindrir les effets de cette crise. Vous avez pu vous rendre compte qu’au plus fort de la crise, en particulier vers le 30, 31 août 2016, à la suite de la proclamation des résultats de la présidentielle par la Cenap, et après les émeutes, nous avons évidemment pris notre bâton de pèlerins. Nuit et jour, il faut le dire, nous avons bénéficié de l’écoute et de l’attention de tous les acteurs, de part et d’autre. J’ai fait les navettes entre le président de la République, ses collaborateurs immédiats, d’un côté et de l’autre côté, monsieur Ping et les autres membres de la direction de l’opposition, notamment lorsqu’il y a eu les événements au quartier général électoral de monsieur Ping. Nous nous sommes employés à faire libérer ceux qui étaient retenus au quartier général. Je dois dire que j’ai bénéficié vraiment d’une écoute et je voudrais exprimer toute ma gratitude à l’ensemble des acteurs.
Vous savez, ce sont des choses qui arrivent. Moi-même j’ai vécu des situations similaires pendant ma longue carrière politique. La démocratie sénégalaise dont-on parle a eu un prix à payer. Il y a eu un prix à ça. J’ai fait la prison sept fois au Sénégal à travers des manifestations. Ce sont des situations que je connais très bien. Il fallait faire l’effort à partir de cette expérience que j’ai vécue personnellement et me mettre à la place de ceux qui sont au pouvoir, mais également à la place de ceux qui sont de l’autre côté de la barrière. Grâce à cette façon de voir les choses, j’ai pu parler aux uns et aux autres et fort heureusement, ils nous ont écouté. Maintenant, il reste encore du travail à faire. Le dialogue, il appartient aux Gabonais eux-mêmes, avec toute leur expérience de créer les conditions d’une entente. Le dialogue est absolument nécessaire. Même après les guerres mondiales, les gens se mettent autour de la table. Je ne vois pas pourquoi après un conflit politique les gens ne se mettraient pas autour de la table. C’est quelque chose d’inévitable. Le plus tôt cela aurait lieu, mieux ça vaudra pour le pays.
Dans une période particulièrement difficile à l’interne : la crise économique, la crise financière, mais aussi les menaces aux frontières ; tout cela nécessite aujourd’hui que les Gabonais se parlent et trouvent des voies nouvelles pour le processus démocratique et la consolidation de ce processus. Je souhaite ardemment que ce dialogue s’enclenche entre les fils et les filles de ce pays. Les institutions sortiront confortées de ce dialogue puisque c’est de cette manière que le processus démocratique avance. Il faut nécessairement qu’il y ait des concessions réciproques, il faut ce qu’on peut appeler des compromis dynamiques pour faire avancer un processus démocratique. Là encore, c’est une expérience que j’ai vécue. Dans un processus politique, il faut bien que les acteurs se disent : «j’ai des aspirations fortes, j’ai des revendications», mais il faut comprendre aussi que l’autre a les mêmes aspirations, les mêmes revendications et il faut qu’il y ait une rencontre de part et d’autre et que de cette rencontre, sorte un compromis dynamique qui fera avancer le processus démocratique. C’est ce que je souhaite pour le Gabon.
Etes-vous candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) ?
Oui je suis candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Mais il est souhaitable ne pas en parler parce que c’est hors de mon mandat en tant que Représentant du SG de l’Onu en Afrique centrale. Peut-être, en d’autres occasions on pourra en parler.