La crise électorale au Gabon est toujours au cœur de l’actualité. Jean Ping, candidat à la dernière élection présidentielle face à Ali Bongo, conteste encore les résultats proclamés officiellement par la Cour constitutionnelle désignant Ali Bongo comme étant le vainqueur du récent scrutin. Jean Ping, en visite en Europe, nous fait le point sur la situation.
Vous avez été accueilli par quelques centaines de Gabonais en France. Quelle a été votre réaction?
C’est quelque chose d’assez exceptionnel. C’est la première fois de l’histoire de notre pays qu’on voit ça. Ces compatriotes sont d’abord venus m’accueillir à l’aéroport très chaleureusement. Je me suis retrouvé avec eux pour la première fois au pied de la tour Eiffel parce que, jusqu’ici, ces manifestations, qui ont maintenant débuté depuis 10 semaines, on les suivait depuis Libreville. Mais c’était assez lointain. J’ai été surpris par la ferveur et l’enthousiasme de cette rencontre. Ce qui est exceptionnel, c’est que les diasporas des autres pays africains se sont aussi jointes à notre cause. C’est quand même une affaire exceptionnelle.
La crise au Gabon va-t-elle encore perdurer?
On est au début d’un processus qui va durer. Je ne peux pas parler tout à fait du comportement de la population. Je sais simplement qu’elle est mobilisée et qu’elle ne lâchera pas.
Pour le moment, il n’y a que des affrontements entre les forces du régime et la population. Je ne pense pas d’ailleurs qu’Ali Bongo ait des partisans outre que les forces de l’ordre.
Il y a une semaine, Manuel Valls a appelé à un dialogue entre vous et Ali Bongo. Quelle est votre réaction?
Étant en France, je ne peux pas me permettre de commenter outre mesure les déclarations d’une haute personnalité politique française. Sur le fond, il se trompe lourdement. Il fait une fausse analyse.
Il y a pourtant quelques semaines, le ministre français des Affaires étrangères exprimait de sérieuses interrogations sur le résultat de ce scrutin en affirmant que «l’examen des recours n’a pas permis de lever tous les doutes». Manuel Valls disait lui, il y a quelques mois, qu’Ali Bongo n’avait pas été élu «comme on l’entend» en 2009. Deux jours après sa récente tournée en Afrique de l’Ouest ponctuée par une rencontre avec le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, il a effectué ce qui ressemble à une sorte de revirement. Qui a pu influencer le gouvernement français?
Vous pouvez être sûr que ça ne peut pas être Alassane Ouattara à mon humble avis. Parce que l’actuel chef d’État ivoirien ne peut pas oublier, je pense, qu’il s’est retrouvé dans une situation analogue à la mienne aujourd’hui (Ndlr en 2011). Il ne peut pas l’oublier.
La France, les États-Unis, comme le reste de la communauté internationale, peuvent exprimer quelques inquiétudes sur la situation au Gabon. D’autant que plusieurs grands groupes étrangers sont implantés sur place. La France a même enregistré un excédent commercial de 710 milliards de f CFA en 2015 selon les sources officielles, malgré une baisse du résultat. Que leur dites-vous?
Nous leur parlons indirectement. Nous avons demandé à nos partisans de ne pas toucher aux investissements étrangers. J’ai en tout cas fait passer l’ordre, car nous aurons besoin de ces entreprises plus tard quand nous arriverons au pouvoir. Les Américains m’ont d’ailleurs téléphoné, car ils étaient inquiets. Nous avons demandé par ailleurs à nos partisans de ne pas faire comme en 1993 ou en 2009, à savoir brûler les puits de pétrole. Et nous continuons à tenir ce langage.
L’une des principales ressources économiques étant les hydrocarbures dont les prix ont chuté dans un contexte global de tensions régionales au Moyen-Orient, mais aussi à cause de Boko Haram sur le golfe de Guinée qui menace régulièrement les infrastructures pétrolières principalement au Nigéria. Comment comptez-vous vous poser en garant de la stabilité des investissements étrangers alors que sous la présidence d’Ali Bongo la France et les États-Unis affichent de bons résultats commerciaux?
Je leur dis «Attention, regardez là où sont vos intérêts. À moyen et à long terme, ce n’est pas avec Ali Bongo. Sinon, vous vous trompez lourdement». Dans ce contexte, il faut un État fort qui protège les investissements. La plupart des investisseurs l’entendent de cette oreille et s’abstiennent de le soutenir. Sinon, tant pis pour ceux qui continuent de le faire, ils vont être sanctionnés par le public. Ce que je ne souhaite pas. Ceci dit, je peux vous assurer que partout où il y a des sommets internationaux sur le bois, sur le fer ou le pétrole, ils nous disent : «Au Gabon, non. On ne va pas y aller parce que cela ne va pas bien. Nous attendons l’alternance».
Sur le volet diplomatique, l’Union africaine, dont vous étiez le président de la commission exécutive, s’était dite prête à envoyer une délégation de chefs d’État à Libreville en septembre dernier. Votre porte-parole, Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, semblait se montrer optimiste, déclarant que «si la mission peut faire entendre raison à Ali Bongo pour qu’il se plie aux résultats des urnes, ce serait l’idéal pour notre pays. Nous regardons avec beaucoup d’optimisme l’arrivée de cette mission». Quel est votre regard sur l’UA?
L’UA est une organisation intergouvernementale. L’UA ne peut pas prendre des mesures supranationales. Est-ce qu’ils ont pu participer au processus? Non, pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas eu lieu parce qu’Ali Bongo l’a refusé. Alors, on nous a dit : «Ne faites pas trop de bruit. Allez au bout des recours». Tous nous ont recommandé cela : les Américains, les Européens, les Africains. Pour qu’ils ne nous blâment pas, on les a suivis. Mais nous savions que la Cour constitutionnelle, c’est la tour de Pise. Elle penche toujours d’un côté.
Pourtant Idriss Déby, président de l’Union africaine, est venu il y a une dizaine de jours à Libreville officiellement pour une réunion de travail, accueilli chaleureusement par Ali Bongo, soulignant aussi la gestion de la crise électorale au Gabon…
Nous ne demandons rien à Idriss Déby. On connaît très bien le président Déby. Est-ce que c’est surprenant? Je ne le crois pas. Féliciter Ali Bongo signifie-t-il qu’il est pour autant partisan? C’est une analyse que tout le monde va pourtant croire. Mais je ne peux pas me prononcer là-dessus. Ali Bongo ne s’entend avec personne, avec aucun des États voisins. Même pas avec Idriss Déby (Tchad) pour des raisons personnelles.
Enfin, le Gabon organisera la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en février 2017. Le Maroc et l’Algérie se sont positionnés en voie de secours. La compétition se tiendra-t-elle comme prévu au Gabon?
Nous ne nous sommes pas encore prononcés sur la compétition. Parce que la CAN n’aura pas lieu. Le pays se trouve dans une paralysie économique. Et justement, les gens comme Valls ne scrutent pas, ils regardent, rien ne s’y passe, et disent «tout va bien», alors que tout va mal d’autant que le pouvoir demande de l’argent partout, car il n’en a même plus! Or la CAN, c’est bientôt et les stades ne sont pas terminés, les travaux ne sont pas financés. À votre avis, pourquoi l’Algérie et le Maroc s’alignent-ils déjà si on pense que le Gabon l’organisera? Ali Bongo est un rêveur, mégalomane dans tout ce qu’il fait… Il voulait offrir la CAN au Gabon, mais c’était avant les élections.
PROPOS RECUEILLIS PAR RUDY CASBI