L’ex-président burkinabè Blaise Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire, et les ministres de son dernier gouvernement seront jugés à partir du 27 avril, a annoncé lundi 10 avril la Haute Cour de justice. Ils devront répondre d’« assassinat, complicité d’assassinat, coups et blessures » pour la répression de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.
Tout a basculé le 30 octobre 2014, lorsque l’insurrection a éclaté au Burkina Faso pour empêcher la révision de l’article 37 de la Constitution. Si elle avait été votée par l’Assemblée nationale ce jour-là comme prévu, elle aurait permis à Blaise Compaoré de briguer un cinquième mandat présidentiel. Des dizaines de milliers de manifestants sont sortis dans la rue, incendiant l’hémicycle. Le soulèvement a emporté le régime de Blaise Compaoré en deux jours seulement. Mais à quel prix : officiellement, la répression a fait 33 morts et 625 blessés, essentiellement par balles.
L’accusation se fonde sur le Conseil extraordinaire des ministres du 29 octobre 2014, la veille du vote par l’Assemblée nationale et alors qu’un climat insurrectionnel s’est déjà installé dans le pays. Lors de ce Conseil des ministres, il est décidé de faire appel à l’armée pour réprimer les manifestants. Le procureur Armand Ouédraogo parle même d’« une réquisition complémentaire spéciale » qui autorise les militaires à faire usage de leurs armes à feu. Pour le parquet, « les ministres ont donné les moyens à ceux qui ont commis ces assassinats durant les journées troubles de le faire ». « Pour cela, ils sont mis en cause lors de ce procès. Pour cela et pour rien d’autre », explique un avocat burkinabè.
Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire
En tout, 32 ministres vont être jugés. Parmi eux, le Premier ministre Luc Adolphe Tiao qui attend son procès en liberté provisoire, comme Jérôme Bougouma, le ministre de l’Administration territoriale, et Alain-Edouard Traoré, porte-parole à l’époque du gouvernement. Salif Kaboré, le ministre des Mines, est lui en exil comme d’autres anciens ministres.
Blaise Compaoré a même pris la nationalité ivoirienne. Il sera donc jugé par contumace. Mais il sera jugé. Une première. Il avait d’abord été question de poursuivre l’ancien président pour « haute trahison » ou « attentat à la Constitution ». Cette procédure a été avortée à cause, officiellement, d’un vide juridique. « Un problème d’achèvement des lois », avait expliqué le procureur de la Haute Cour de justice en septembre dernier. Cette fois, c’est donc en tant que ministre de la Défense – il cumulait les deux fonctions – que Blaise Compaoré sera jugé puisqu’il a assisté au fameux Conseil de ministres du 29 octobre 2014. En tant qu’ancien chef d’Etat, il est couvert par l’immunité, mais pas en tant que ministre de la Défense. S’il devait être condamné, rien ne dit cependant que la Côte d’Ivoire accepterait de l’extrader.
Un parfum d’inachevé
Avant même de commencer, ce procès a déjà un parfum d’inachevé. En raison de cette absence du président Compaoré, mais surtout parce que ce procès devant la Haute Cour de Justice se fera sans les victimes. En effet, les victimes ne peuvent pas se porter parties civiles devant cette juridiction. Elles attendent donc beaucoup des autres procédures ouvertes devant le tribunal de grande instance de Ouagadougou. Cela prend plus de temps, car la justice doit entendre plus de monde : des politiques, des militaires et bien sûr les victimes. Selon différentes sources, un procès pourrait avoir lieu en fin d’année et en début d’année prochaine. « Ce sera vraiment là le grand moment de vérité », estime Me Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen, l’un des fers de lance de l’insurrection populaire.
Ce procès devant la Haute Cour de Justice est néanmoins très attendu, notamment dans le cadre de la lutte contre l’impunité. Selon Guy Hervé Kam, « au-delà de la responsabilité pénale, ce procès va ouvrir la voie à la responsabilité politique des gouvernants pour les actes qu’ils posent quand ils sont en fonction ». Les partisans de l’ancien régime dénoncent déjà quant à eux un « procès politique », un « procès joué d’avance » qui tient plus d’un « esprit de revanche » que d’un désir de justice.