A l’issue du Colloque international sur la traite négrière qui s’est tenu à Libreville du 17 au 19 mai, le Président a proposé d’offrir la nationalité gabonaise à toutes les personnes dont les ancêtres ont été déportés. Un projet complexe à mettre en place et aux airs d’écran de fumée.
«Nous demandons le droit de retour, nous demandons le droit de choisir notre nationalité, de ne pas nous voir imposer une nationalité», a revendiqué la Française Marie-Evelyne Petrus-Barry, représentante du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Gabon, dans son allocution au Colloque international sur la traite négrière. Un vœu que souhaite exaucer, à la surprise générale, le président gabonais Ali Bongo. Sa proposition s’adresse aux afro-descendants, ces ressortissants des Antilles françaises et hollandaises, des Etats-Unis, du Brésil ou de Cuba dont les aïeux ont été déportés comme esclaves lors de la traite transatlantique. Ils pourraient prétendre à la nationalité gabonaise s’ils en ressentent le besoin et s’ils en font la demande, a affirmé le Président lors du colloque, qui s’est tenu la semaine dernière avec le soutien de l’ONU.
La décision présidentielle a surtout une portée culturelle, indique l’historien gabonais Samperode Mba Allogo. «Les Gabonais ont conservé la mémoire de la traite négrière et se souviennent notamment que la capitale, Libreville, a été partiellement fondée par le « rapatriement » d’esclaves», affirme-t-il. La présence d’une population d’afro-descendants française, haïtienne, américaine ou anglaise «particulièrement visible à Libreville» a pu également motiver le projet, selon l’historien.
«Indécent d’instrumentaliser la mémoire noire»
Mais pour Anaclet Bissielo, sociologue au Centre de recherche et d’études sociologiques de Libreville, proche de l’opposition, «la déclaration du Président n’est qu’un effet d’annonce pour détourner l’attention de la communauté internationale du coup d’Etat [l’élection d’Ali Bongo entachée de fraude massive en août 2016, ndlr]. Il n’y a aucune stratégie économique en vue d’attirer une main-d’œuvre qualifiée au Gabon. Cette proposition sur les afro-descendants est en décalage total avec la situation politique, institutionnelle ou économique du pays.»
«Aucun débat n’a été mené parmi les intellectuels et aucune consultation populaire n’a au lieu», ajoute le sociologue. Il n’y a pas eu plus de concertation avec les autres pays africains, alors que «le président Bongo n’a pas l’autorité morale pour engager le Gabon dans un débat qui concerne l’ensemble de l’Afrique», insiste le chercheur. «C’est indécent d’instrumentaliser la mémoire noire à des fins politiques.» Le comble de l’absurde, pour Anaclet Bissielo, est qu’«une dictature propose la nationalité à des ressortissants de pays démocratiques».
Bouleversement démographique
La mesure semble en tout cas très complexe à mettre en place d’un point de vue légal. Le projet du président Bongo nécessite au préalable de réviser le code de la nationalité, car octroyer la citoyenneté aux afro-descendants déroge largement à ce que permet actuellement la loi gabonaise, restrictive en matière de naturalisation. Selon Matthieu Fau-Nougaret, chercheur au laboratoire «les Afriques dans le monde», une telle modification «constituerait une révolution»: «Le pays ne reconnaît pas la double nationalité. Les Franco-gabonais vivant au Gabon ne peuvent ainsi se prévaloir de la nationalité française.»
Le projet Bongo constituerait un bouleversement législatif mais aussi démographique. Marie-Evelyne Petrus-Barry évalue à 300 millions le nombre de descendants de victimes de la traite négrière dans le monde. La naturalisation d’une partie d’entre eux, même infime, viendrait considérablement grossir les rangs de ce pays d’Afrique centrale d’1,7 million d’habitants, à peine plus grand que le Royaume-Uni. Matthieu Fau-Nougaret rappelle cependant que ce chiffre de 300 millions n’est qu’une approximation, basée sur la taille des populations noires et métisses américaines et caribéennes, puisqu’il n’existe aucune définition juridique des afro-descendants. Selon le chercheur, cette absence de caractérisation est le véritable point d’achoppement du projet d’Ali Bongo, car il est impossible de modifier les textes législatifs sans pouvoir en déterminer les termes.
Cécile Brajeul