Le président français a profité de l’exposition « Pierre le Grand, un tsar en France » pour recevoir son homologue russe. Ce dernier a rappelé les « points de friction » entre les deux pays.
Un accueil en majesté, avec tous les honneurs, dans la cour royale du château de Versailles. Il fait une chaleur étouffante, en ce début d’après-midi du 29 mai, quand la limousine noire de Vladimir Poutine s’arrête au pied du tapis rouge. Quelques marches plus haut, dans la cour de marbre damée de noir et blanc, Emmanuel Macron attend le président russe, encadré de gardes républicains aux casques étincelants. L’image est belle, soignée.
C’est la première fois que le jeune président français reçoit son homologue russe, de vingt-cinq ans son aîné. Scrutée, cette invitation est aussi sa toute première initiative diplomatique.
Il y a la symbolique du lieu et du moment, trois cents ans après la venue à la cour française du tsar Pierre Le Grand, qui fut séduit par le jeune roi Louis XV, âgé de 7 ans seulement. « Pierre Le Grand est le symbole de cette Russie qui veut s’ouvrir sur l’Europe et en tirer tout ce qu’elle a de grand et de fort », a souligné Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse commune tenue dans la galerie des batailles, habillée de grandes toiles célébrant les victoires militaires françaises de Clovis à Napoléon. Même subliminal, le message est clair.
« Nous nous sommes tout dit »
Certes, Emmanuel Macron a rappelé que « pour tous les enjeux le dialogue avec la Russie est essentiel ». Mais le dialogue entre les deux hommes, qui a duré plus d’une heure, semble avoir été pour le moins musclé. En cela, le langage des corps était plus parlant que les mots. Aux côtés d’un président français sûr de lui et rayonnant, l’homme fort du Kremlin paraissait plus tendu, le visage fermé. « La diplomatie n’est pas une affaire de chimie personnelle mais elle consiste à apporter des solutions à des problèmes concrets. (…) Nous avons eu un dialogue direct et franc. Nous nous sommes tout dit », a affirmé M. Macron, interrogé sur le « climat » de la rencontre. De son côté, M. Poutine a évoqué « des points de friction » qui seront selon lui dépassés par les intérêts communs et en premier lieu les investissements.
Cette première rencontre entre le président français et son homologue russe se voulait avant tout « une visite de travail », simple et sans mondanités, malgré le prestige du cadre. Recevoir Poutine à Versailles, c’était souligner l’importance du face-à-face, tout en évitant de lui donner un caractère trop officiel.
Après leur tête-à-tête et le déjeuner avec les délégations, les deux présidents ont visité au Grand Trianon l’exposition « Pierre le Grand, un tsar en France », qui commémore cet événement fondateur des « liens anciens et particuliers » entre les deux pays, comme l’avait rappelé M. Macron lors d’un entretien téléphonique avec M. Poutine, au lendemain de sa victoire.
Comme prévu, le président français n’a pas accompagné en fin de journée l’homme fort du Kremlin au centre culturel orthodoxe parisien que Vladimir Poutine n’avait pu inaugurer en octobre 2016. François Hollande lui avait alors fait comprendre le caractère inopportun d’un tel séjour à Paris, alors que son aviation pilonnait l’est d’Alep et que ses diplomates bloquaient toute résolution sur la Syrie au conseil de sécurité de l’ONU.
« Lignes rouges »
Les relations franco-russes ont été mises à mal, ces dernières années, par l’annexion de la Crimée par Moscou et sa déstabilisation de l’est de l’Ukraine – qui ont notamment entraîné des sanctions européennes –, puis par l’engagement militaire russe aux côtés de Damas. La dernière visite bilatérale remonte à 2012 même si le président russe s’est rendu plusieurs fois en France depuis, mais dans un cadre avant tout multilatéral.
Pour cette première rencontre, M. Macron n’a pas ménagé son interlocuteur sur les sujets les plus difficiles aussi bien les droits de l’homme en Russie que les grands dossiers internationaux.
« Si nous n’avons pas un accord franc et sincère nous n’arriverons à rien en Ukraine et en Syrie », a-t-il expliqué en annonçant une réunion « ces prochains jours ou ces prochaines semaines » au « format Normandie » – c’est-à-dire sous le parrainage de Paris et de Berlin et avec les présidents russe et ukrainien – afin de relancer les accords de Minsk de février 2015 qui avaient permis un trop fragile cessez-le-feu sans pour autant déboucher sur une solution politique du conflit dans l’est de l’Ukraine. Sans cela, il ne pourra y avoir de levée des sanctions.
Sur la Syrie, le chef de l’Etat a été aussi très ferme rappelant « les lignes rouges » de Paris. « Toute utilisation d’armes chimiques, par quelque force que ce soit fera l’objet de représailles en tout cas de la part des Français », a-t-il averti, tout en soulignant la nécessité d’une solution politique « inclusive », capable de tenir dans la durée, « qui implique de discuter avec l’ensemble des parties, y compris Assad ». « Il s’agit d’éviter la désagrégation de l’Etat syrien et la fragilisation de la région », a-t-il précisé, rappelant « la priorité commune » qui est celle d’éradiquer l’organisation Etat islamique et le terrorisme.
Longue séquence diplomatique
Avec cette rencontre à Versailles – et avant celle samedi avec le premier ministre indien Modi –, Emmanuel Macron achève une longue séquence diplomatique. Du sommet de l’OTAN à Bruxelles au G7 de Taormine, elle lui a permis de connaître personnellement ses principaux homologues – ou parfois de les revoir comme pour Angela Merkel. Face à de tels interlocuteurs comme Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan ou Donald Trump « qui sont dans le rapport de force », il avait confié au Journal du dimanche sa volonté « de ne rien laisser passer lors des échanges bilatéraux car c’est le seul moyen de se faire respecter ».
Il l’a montré lors de ce face-à-face en affrontant les questions qui irritent le plus le Kremlin. Il a notamment insisté sur « l’importance aux yeux de la France du respect des droits de toutes les personnes, de toutes les minorités, de toutes les sensibilités », évoquant notamment les persécutions contre les homosexuels en Tchétchénie et la répression contre les organisations non-gouvernementales (ONG).
La cellule diplomatique de l’Elysée avait pris l’initiative d’inviter le 24 mai une demi-douzaine d’ONG engagées dans la défense des droits de l’homme pour dresser un état des lieux. Au moment où se tenait la rencontre de Versailles, l’association SOS-Homophobie annonçait que la France accueillait son premier réfugié gay tchétchène.
Aux côtés de son homologue, Emmanuel Macron n’a pas hésité non plus à fustiger RT et Sputnik, deux médias russes financés par le Kremlin, qu’il a qualifié « d’organes d’influence et de propagande mensongère » à l’origine de « contre-vérités infamantes ». Ces derniers avaient évoqué durant la campagne « ses origines Rothschild » ou ses « affinités homosexuelles » et ils avaient été de ce fait écartés de la campagne. Vladimir Poutine est resté de marbre.