Ancien candidat à l’élection présidentielle de 2016 et ancien Secrétaire général du conseil national de sécurité (CNS) lors du premier mandat d’Ali bongo, Léon Paul Ngoulakia a été l’un des principaux soutiens du candidat Jean Ping en faveur duquel il s’était désisté. Silencieux depuis la fin de l’élection présidentielle, Léon Paul Ngoulakia a décidé de sortir de sa reverse. Dans cette interview exclusive accordée à Africapostnews, il livre son analyse de la situation politique du pays, partage son opinion sur le récent dialogue organisé par Ali Bongo et aborde les questions relatives à l’avenir de l’opposition gabonaise.
Africapostnews : Durant la crise post-électorale au Gabon vous avez été arrêté et emprisonné brièvement. Que s’est-il passé?
Léon Paul Ngoulakia : A l’issue d’un contrôle au checkpoint de la Garde Républicaine (GR) au niveau de la CAISTAB, le vendredi 23 septembre à 12h30, il a été retrouvé dans le coffre de mon véhicule des flyers qui se distribuaient dans toute la ville et largement diffusées sur les réseaux sociaux. Ils montraient les images des victimes de violences postélectorales.
C’est ce motif fallacieux que les agents de la Directions générale des recherches (DGR) de la gendarmerie nationale ont utilisé pour m’appréhender et me détenir arbitrairement dans leurs locaux une semaine durant. Présenté au procureur de la République, ensuite au premier juge d’instruction, j’ai été mis en liberté provisoire avec interdiction de sortir du territoire national. Mon passeport a été confisqué jusqu’à ce jour.
Depuis votre libération vous vous êtes montrés assez discret. Les leaders de la coalition autour de Jean Ping ont des positions divergentes sur l’attitude à adopter face à Ali Bongo. Pensez-vous que l’opposition est dans une impasse et qu’il faut dialoguer avec le pouvoir ?
La situation de notre pays mérite que l’on prenne du recul pour l’analyser froidement et sans état d’âme. Il n’y a pas à mon avis de divergences entre Guy Nzoumba Ndama, Jean Ping et Casimir Oye Mba, mais plutôt des approches différentes. Je rappelle que Jean Ping, lui-même, a sollicité une médiation de la communauté internationale.
L’objectif commun c’est l’alternance au pouvoir par des moyens pacifiques.
Le dialogue inclusif d’Ali Bongo auquel vous n’avez pas participé s’est achevé le 25 mai. L’opposition n’a obtenu ni la limitation du nombre de mandats ni la réduction de 7 à 5 ans de sa durée. Globalement, pensez-vous que les résolutions adoptées lors de ce dialogue permettront une avancée démocratique ?
Je ne le pense pas. J’ai l’impression qu’Ali est l’otage de son entourage. Pense-t-il en toute âme et conscience rester président à vie au Gabon ? Trouve-t-il cohérent que le Président de la République procède toujours à la nomination du président Cour constitutionnelle et continue de présider le Conseil supérieur de la magistrature? L’augmentation du nombre des députés est-elle une nécessité ? Croit-il que la répression est la réponse aux revendications sociales et légitimes de ses concitoyens?
La consolidation de la démocratie, à mon avis passera par: le respect de la Constitution, la liberté de penser, la justice égalitaire et protectrice du peuple, la force publique au service des populations, l’accès aux medias et aux places publiques pour tous les acteurs politiques, la libération des prisonniers d’opinion, la cessation des arrestations arbitraires, le respect de la volonté du peuple dans le choix de ses gouvernant. Mais aussi par le dialogue permanent avec le peuple et le respect des us et coutumes et des traditions.
Par conséquent un chef doit être à l’écoute de son peuple. Le Gabon a besoin d’un chef qui rassemble, qui oriente et construit avec son peuple et pour son peuple, un chef sait prendre ses responsabilités lorsque l’unité du pays est remise en question.
Ali est mon frère, mais nous n’avons plus de contact. C’est lui qui fait l’amalgame entre la politique et la famille. Je conteste sa manière de gérer l’Etat.
Aujourd’hui quels sont vos rapports avec Ali Bongo, avec qui vous avez des liens de famille?
Ali est mon frère, mais nous n’avons plus de contact. Je pensais que les divergences d’opinions étaient source d’enrichissement intellectuel et spirituel. C’est lui qui fait l’amalgame entre la politique et la famille. Je conteste sa manière de gérer l’Etat. En son temps, j’avais attiré son attention sur les dérives de son entourage. Malheureusement, je n’ai pas été écouté, et les conséquences sont visibles.
Avec Guy Nzouba Ndama et Akouré Davin vous avez créé ‘‘Les démocrates’’. Bien que silencieux dans les médias, on vous voit chaque semaine sur le terrain à la rencontre des populations. Quelles sont vos ambitions pour ce parti?
La philosophie de notre parti est d’être au plus près des populations pour connaitre au mieux, leurs aspirations profondes. L’ambition de notre parti, avec l’expérience politique de notre Président Guy Nzouba Ndama, est de rassembler le maximum de nos compatriotes autour de nos idéaux, pour qu’ensemble, nous puissions diriger le Gabon autrement.
Le Gabon fait face à une crise économique majeure. L’administration tourne au ralenti à cause de nombreuses grèves. Votre camp politique continue de contester la légitimité du président Ali Bongo. Selon vous, quelles sont les solutions pour ramener la confiance et relancer l’économie du pays?
Toutes les institutions financières attestent que l’économie et les finances de notre pays sont catastrophiques. La communauté financière internationale ne peut avoir confiance que si l’alternance à la tête de l’Etat est effective, si les procédures en matière de passation des marchés sont respectées, si la dette intérieure trouve un début de règlement et si les finances publiques sont utilisées en bon père de famille, afin de permettre aux sociétés de rebooster notre économie.
La bonne gouvernance doit nous guider dans le choix des investissements à réaliser. Ce n’est qu’à ces conditions entre autres, que le Gabon redeviendra crédible pour les bailleurs de fonds. Le Gabon est un pays riche aussi bien par la qualité de ses ressources humaines mal utilisées, que par la viabilité de son sous-sol exploité par des mercantilistes. Malheureusement, les populations n’en bénéficient pas.
La présence de la CPI dans notre pays, prouve à suffisance, que la problématique de la dernière élection présidentielle n’est pas arrivée à son terme.
Alors que le gouvernement parle de plus en plus des élections législatives, comment expliquez-vous que votre coalition politique n’ait toujours pas adopté une position à cet effet ?
Les élections législatives sont après celles du Président de la République l’un des éléments majeur du processus démocratique. Nous constatons, pour le déplorer, que le report de ces élections a été décidé une fois de plus par la Cour constitutionnelle alors que la législature actuelle est illégale.
Il y a nécessité que toutes les conditions soient réunies pour que nous puissions choisir de nouveaux élus représentatifs des populations. L’objectif étant toujours l’alternance au pouvoir, la coalition se prononcera le moment venu sur la méthode et la stratégie à adopter.
Un an après l’élection présidentielle, peut-on considérer que la page d’aout 2016 est définitivement tournée?
La situation de crise que connait notre pays a pour origine justement l’élection présidentielle d’aout 2016. C’est pourquoi certains leaders, y compris Jean Ping, ont fait des propositions afin de trouver les voies et moyens pacifiques pour que le Gabon retrouve sa stabilité. Pour preuve, les rapports des missions d’observation de l’Union européenne, de l’Union africaine et tout récemment de l’OIF et in fine la présence d’une délégation de la CPI dans notre pays, prouvent à suffisance, que la problématique de la dernière élection présidentielle n’est pas arrivée à son terme.
Au Gabon des gabonais semblent ne plus avoir confiance ni en leur institutions et aux responsables politiques. A l’étranger la diaspora traque les responsables gouvernementaux de passage et criant leur absence de légitimité. Qu’est-ce que cela vous inspire?
D’abord hommage patriotique aux compatriotes de la diaspora qui sont au contact du monde libre, et qui souhaitent que notre pays devienne une terre de liberté, de démocratie, de paix et de prospérité. Ce sont les enfants de la maternité allaitant qui veulent protéger la Mère Patrie contre les forces de l’inertie.
Les institutions de notre pays sont satisfaisantes. Cependant les responsables choisis pour les animer, en font des instruments au service de leurs intérêts personnels. C’est pourquoi les gabonais n’ont plus confiance. La preuve nous a été donnée une fois de trop le 27 aout 2016.
Votre mot de fin …
Je me considère comme un Patriote et Républicain. Je crois en la nécessité d’une alternance pacifique, pour que des nouvelles mentalités dirigent notre pays. Les gabonaises et gabonais doivent bénéficier de la richesse de leur terre, vivre décemment et préparer l’avenir de leur enfants en toute sérénité et dans de bonnes conditions, et c’est possible.
L’avènement de la seconde république, que nous appelons de tous nos vœux, doit se faire sur des bases nouvelles saines, d’où l’importance d’une véritable réforme institutionnelle. Nous devons penser « GABON D’ABORD ». Et comme le rappelle l’hymne national, je cite: « Afin qu’aux yeux du monde et des Nations amies, le Gabon immortel reste digne d’envie, oublions nos querelles, ensemble bâtissons l’édifice nouveau auquel nous rêvons ».
Propos recueillis par la rédaction d’Africapostnews