Un an après la réélection contestée d’Ali Bongo, le « dialogue » voulu par le chef de l’Etat est boycotté par son rival, Jean Ping.
Un an après la réélection d’Ali Bongo Odimba à la présidentielle du 27 août 2016 et des violences post-électorales inédites dans ce pays habituellement pacifique, le Gabon reste en position délicate, entre un pouvoir qui tente l’ouverture, un opposant qui conteste sa légitimité et une population préoccupée par le ralentissement de l’économie. « Les élections sont derrière nous », ne cesse de répéter le pouvoir depuis l’investiture d’Ali Bongo, fin septembre 2016, pour un nouveau mandat de sept ans, mais des tensions demeurent.
Mardi 22 août, le camp gouvernemental a redit sa volonté de tourner la page : « Depuis le mois d’août 2016 (…) nous avons fait beaucoup de politique. Je pense qu’il est grand temps de nous recentrer sur l’essentiel », a déclaré le premier ministre, Emmanuel Issoze Ngondet, en présentant un gouvernement « d’ouverture » – le deuxième depuis l’élection – accueillant plusieurs personnalités issues de l’opposition, tandis que Pierre Claver Maganga Moussavou, ancien candidat à l’élection présidentielle, a été nommé vice-président de la République.
Jean, attablé devant un plat d’alokos (bananes frites) dans un maquis de Libreville, commente : « Il faut qu’on dépasse la guéguerre des hommes et qu’on s’y mette tous ensemble pour reconstruire le Gabon. Ce pays a besoin d’aller de l’avant, qu’on retrouve des emplois et de la croissance. » « Quoi qu’ils fassent, ça ne va rien changer », soupire Marie, la trentaine, alors qu’elle apprend la composition du nouveau gouvernement, qui doit traduire en lois les conclusions du « dialogue politique » et préparer les législatives, repoussées à 2018.
Un dialogue « sans tabou »
Le 27 août 2016, quelque 300 000 Gabonais – sur un peu plus de 600 000 inscrits – avaient voté dans le calme pour départager Ali Bongo et Jean Ping, ex-cadre du pouvoir passé dans l’opposition. Des violences sans précédent avaient éclaté dès l’annonce des résultats, le 31 août : manifestations anti-Bongo, interpellations par centaines, Assemblée incendiée, assaut des forces de sécurité contre le QG de Jean Ping… Les troubles ont fait des morts, entre trois, selon les autorités, et une trentaine, selon l’estimation la plus fiable de l’opposition.
La crise avait fortement préoccupé les partenaires du Gabon, pays pétrolier de 1,8 million d’habitants relativement prospère. A commencer par la France, ancienne puissance coloniale, avec ses 10 000 ressortissants sur place, sa base militaire et ses entreprises dans le pétrole ou le BTP. La Cour constitutionnelle avait finalement validé, fin septembre, la réélection de M. Bongo (avec 50,66 % des voix) en rejetant le recours de M. Ping, qui dénonçait des fraudes, notamment dans le fief présidentiel du Haut-Ogooué : 99 % de participation et 95 % des voix au dirigeant sortant.
Le scrutin a été entaché d’« anomalies » qui « mettent en question » le « résultat final », avait estimé en décembre une mission d’observation électorale de l’Union européenne dans son rapport final. A l’annonce de sa réélection, Ali Bongo avait proposé à l’opposition un « dialogue politique », qui s’est tenu entre avril et mai. Ce dialogue « inclusif et sans tabou », qui se voulait être la « brique qui [allait] soutenir la paix au Gabon », a débouché sur de petites réformes institutionnelles.
« Crime de lèse-majesté »
Mais les signes de tensions politiques sont toujours palpables au Gabon. Ainsi, un journal d’opposition, Les Echos du Nord, a été interdit en juin 2017 pour des propos jugés diffamatoires à l’encontre du président et du premier ministre. Il est revenu en kiosques mi-août.
Par ailleurs, Bertrand Zibi Abeghe, un ex-député du parti au pouvoir arrêté le 31 août 2016 au QG de l’opposant M. Ping pour « trouble à l’ordre public », est toujours détenu. « M. Zibi est un prisonnier politique », affirme à l’AFP l’un de ses quatre avocats, Me Jean Paul Imbong Fadi, qui déplore une instruction trop lente.
Landry Amiang Washington, un cyber-activiste arrêté mi-août 2016 à son retour au Gabon, est lui aussi toujours détenu, « sans avoir été jugé et encore moins interrogé », explique son avocat, Me Francois Meye, qui parle d’un « crime de lèse-majesté suite à ses publications sur les réseaux sociaux ».
« Ces dossiers sont en cours d’instruction, répond le procureur de la République, Steeve Ndong Essame Ndong. A ceux qui disent que ces détentions sont arbitraires, il faut établir qu’elles sont tout à fait régulières, conformément à la loi gabonaise. » Selon le code de procédure pénale, la durée de la détention préventive ne peut excéder six mois en matière correctionnelle et un an en matière criminelle. Le code spécifie toutefois que cette durée de détention préventive peut être extensible « si le maintien de la détention apparaît spécialement motivé d’après les éléments de la procédure ».
Vers une enquête de la CPI ?
M. Ping, qui a boycotté le « dialogue politique » voulu par M. Bongo, vient de lancer un appel à la désobéissance civile, resté sans écho majeur pour l’instant. Les deux camps ont les yeux tournés vers La Haye, aux Pays-Bas. En juin, une mission préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) est venue recueillir des témoignages sur les violences post-électorales, à la demande de MM. Bongo et Ping. La CPI se prononcera d’ici à la fin de l’année sur l’ouverture d’une éventuelle enquête.
Tout n’est pas rose dans ce pays couvert à 80 % par la forêt, son autre richesse avec le pétrole : la dette a doublé entre 2015 et 2016, le déficit des comptes courants représente plus de 10 % du PIB en 2016, alors que le pays affichait un excédent de 2010 à 2014, et la croissance du PIB, qui était de 3,9 % en 2015, devrait baisser à 1 % en 2017, selon l’estimation du Fonds monétaire international (FMI). Ce dernier a d’ailleurs jugé que la situation économique restait « délicate » en accordant à Libreville un prêt de 642 millions de dollars (environ 545 millions d’euros) en échange d’un effort d’« assainissement budgétaire ».
Ces indicateurs, conséquences notamment de la chute des prix du pétrole depuis mi-2014, se traduisent par du chômage et des grèves. Le salaire minimum plafonne à 150 000 FCA par mois (225 euros) – quand il est versé. Fatigués des crises, certains Gabonais en viennent à éprouver la nostalgie de l’époque du « père », l’ex-président Omar Bongo, décédé en 2009 après quarante-deux ans au pouvoir.
Le Monde.fr avec AFP