De nouveaux documents publiés par Mediapart semblent révéler que le transfert à La Haye de l’ancien président ivoirien est le fruit de collusions politiques entre le procureur de la CPI et des diplomates français et onusiens. Joseph Bemba, spécialiste du droit international, nous livre son analyse de ce rebondissement.
Alors que depuis un an et demi Laurent Gbagbo doit répondre de crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), Mediapart publie une série de documents sur les conditions de l’arrestation, le 11 avril 2011, et du transfert de l’ancien président ivoirien à La Haye.
Le site d’information français dénonce notamment des collusions entre le procureur de l’institution de l’époque, Luis Moreno-Ocampo, des diplomates français et onusiens et Alassane Ouattara. Une affaire qui pourrait ternir l’image d’une CPI déjà sous le feu des critiques en Afrique.
Joseph Bemba, spécialiste du droit international et auteur de Le procès de Laurent Gbagbo devant la Cour Pénale Internationale (L’Harmattan, 2016) réagit à ces nouvelles révélations.
Jeune Afrique : Un courrier électronique révélant l’existence d’échanges entre Luis Moreno Ocampo, à l’époque procureur de la CPI, une diplomate française et Alassane Ouattara, le président ivoirien, au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo ont été publiés par Mediapart. En quoi cet email est problématique ?
Joseph Bemba : Ce document semble révéler que la Cour pénale internationale a été soumise à des pressions politiques. C’est grave. Si c’est le cas, cela veut dire qu’elle n’agit plus strictement dans le cadre du droit mais après des tractations politiques. Rappelons pourtant que, dans ses statuts, il est bien clair que cette Cour doit être indépendante et impartiale.
Le procureur de la CPI s’appuyait-il néanmoins sur des éléments juridiques pour demander l’arrestation et le transfert de l’ancien président de Korhogo, où il était détenu, à la prison de la Cour aux Pays-Bas ?
Théoriquement, cette arrestation est bien fondée sur une base légale. En effet, la reconnaissance de la compétence de la CPI a été faite par Laurent Gbagbo lui-même en 2003.
Lorsqu’Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir, il a confirmé cette reconnaissance de la Cour en disant qu’il consentait à ce que les événements de la crise électorale soient examinés.
Depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo, le procureur a des difficultés à réunir des preuves
Selon vous, le procureur de la CPI avait-il suffisamment d’éléments pour délivrer un mandat d’arrêt contre Laurent Gbagbo ?
Ce que l’on observe, c’est que depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo, le procureur a des difficultés à réunir des preuves contre l’ancien président ivoirien. Dès l’origine, il semble que le dossier n’a pas été bien ficelé.
Cette difficulté est en train d’irriguer tout le procès, puisque, aujourd’hui encore, les audiences montrent que le parquet a du mal à établir la culpabilité de Laurent Gbagbo.
Il y a un autre problème qui est que seul un camp a été, pour l’heure, traduit devant la CPI
Alors que la Cour pénale internationale est de plus en plus critiquée en Afrique, pensez-vous que ces nouvelles révélations vont ternir son image ?
Ces nouveaux éléments risquent d’accentuer la défiance contre la Cour Pénale Internationale. Dans le procès Gbagbo, il y a un autre problème qui est que seul un camp a été, pour l’heure, traduit devant la CPI, alors même que des rapports des Nations Unies ont dénoncé des crimes ont été commis dans les deux camps. C’est ressenti comme une injustice. Ces choses-là donnent le sentiment que la Cour est partiale et rend une justice à deux vitesses. Et ceci est regrettable.
Par Anna Sylvestre-Treiner