Les points de vue tranchées et irréconciliables exprimés par les militants des partis membres de la Coalition pour la nouvelle République traduisent une absence de stratégie concertée. Au risque de saper la cohésion de son camp, Jean Ping va-t-il laisser ces débats oiseux se poursuivre ?
En décembre 2016, l’ambiance était différente (lire «Report des législatives»). En juillet 2017 aussi (lire «Nouveau report des législatives» ). Dans la quasi-indifférence des acteurs, en tout cas sans susciter des réactions au sein de l’opposition, la Cour constitutionnelle décidait de surseoir au renouvellement de la chambre des députés. En avançant l’hypothèse d’un troisième report (lire «Vers un report de plus ?»), le rapporteur du comité de suivi du Dialogue politique a ouvert la voie à un autre débat : l’opportunité de la participation de l’opposition aux législatives. Sans le vouloir, il a mis le feu aux poudres.
Promesses de grand soir
Même si aucune date n’a été arrêtée à ce jour, le débat sur les législatives s’emballe. Sur les réseaux sociaux, les arguments chacun y va de ses certitudes mais aussi de ses approximations ou de sa mauvaise foi. Au total, deux camps se dégagent nettement : les anti et les pro. Pour les premiers, la participation de l’opposition aux prochaines législatives équivaudrait à une reddition. Elle aurait, tout au moins, valeur de reconnaissance tacite du pouvoir issu de la présidentielle d’août 2016. Pour les seconds, un éventuel boycott se solderait inéluctablement par un raz-de-marée du Parti démocratique gabonais (PDG) et, par voie de conséquence, par une prise en mains de tous les leviers du pouvoir d’Etat par Ali Bongo. Tranchées et irréconciliables, ces deux positions traduisent une évidence observable à l’œil nu: l’absence de stratégie concertée au sein de l’opposition.
Au-delà de la conjoncture, les législatives auront bien lieu un jour. En décidant de ne pas y aller, l’opposition ferait bouger les lignes si elle s’engage aussi à en empêcher la tenue. En a-t-elle l’envie ? Personne n’en doute. En a-t-elle les moyens ? Nul ne le croit. A contrario, sa participation aurait du sens si elle s’inscrit dans une dynamique unitaire. Y songe-t-elle ? Le maintien du bloc autour de Jean Ping permet de le croire. Y travaille-t-elle ? Même si des bruits de couloir veulent accréditer cette idée, l’écume des choses la contredit. Trop souvent, l’opposition laisse l’impression de naviguer en eaux troubles. Généralement, elle donne le sentiment de réagir au lieu d’agir. A maints égards, sa stratégie semble indéchiffrable, assise sur des lubies et pas toujours comprise par ses différentes composantes. Ni les promesses de grand soir, ni les coups de menton de certains de ses militants, ni les anathèmes meurtriers contre d’autres ne dessinent une vision cohérente et articulée.
Sortir du flou
Au fond, derrière ce débat sur la participation aux législatives se cache un autre, plus politique : l’existence d’un plan de bataille partagé et fondé sur des faits concrets. Lancinante mais tout aussi essentielle, cette question se rapporte à l’organisation et au fonctionnement de la Coalition pour la nouvelle République (CNR). Même si les circonstances de sa naissance en indiquent la raison d’être, les objectifs de la CNR n’ont jamais été clairement définis. Encore moins consignés. Ses instances, modalités de fonctionnement, de prise des décisions ou de financement aussi. Il en va également ainsi de ses valeurs et des engagements de ses constituants. Du coup, le débat sur les législatives se mène à qui pis-pis, les amateurs de piloris s’en donnant à cœur joie. N’empêche, les législatives demeurent une voie démocratique pour structurer les contrepoids au sein de l’appareil d’Etat. Même si certains crieront à la naïveté, elles peuvent se solder par un changement de majorité. On l’a vu sous d’autres cieux. Faut-il se garder d’essayer une fois de plus ? Si oui, quelle stratégie de rechange ? Si non, comment s’y préparer au mieux ? A ces questions, personne ne répond.
Face au déferlement de positions à la lisière du dogme, le mutisme de la CNR n’arrange rien. Certaines formations ont bien essayé de rompre le silence (lire «Nzouba Ndama contre le boycott des législatives» ou «On s’active à l’Union nationale»). Sans grand écho pour l’instant (lire «L’Adere, ni oui ni non»). Comment Jean Ping entend-il gérer tout cela ? Avec quels arguments espère-t-il convaincre l’un ou l’autre des deux camps ? Est-il prêt à frustrer ses alliés du 15 août 2016, à savoir Casimir Oyé Mba, Guy Nzouba Ndama et Léon-Paul Ngoulakia ? Si sa victoire supposée à la présidentielle lui confrère une certaine légitimité, elle ne lui donne pas forcément l’autorité sur ces fortes personnalités. Si son flegme et ses talents de diplomate lui donnent les outils pour ménager la chèvre et le chou, ils ne l’exonèrent pas d’un choix clairement exprimé. Peu importe le moment, il devra bien sortir du flou. Faute de le faire, il pourrait se retrouver condamné à subir les événements. Pour lui-même et son leadership, il ne peut laisser ces querelles byzantines se poursuivre. Parfois, Paris vaut bien une messe.