L’opposition gabonaise, divisée, tente vainement de tirer profit de l’absence depuis près de deux mois du président Ali Bongo Ondimba qui, victime d’un accident vasculaire cérébral, est en convalescence au Maroc pour une période indéterminée.
Les manifestations récemment organisées par des opposants, dont le principal d’entre eux, Jean Ping, rival malheureux d’Ali Bongo à la présidentielle de 2016, ont toutes été interdites et ont peu mobilisé.
Mardi matin encore, la confédération syndicale Dynamique unitaire (DU), proche de l’opposition, a tenté de braver l’interdiction, mais seule une centaine de manifestants se sont rassemblés à Libreville face à de nombreux policiers qui les ont dispersés.
Jean Ping, qui se proclame « président élu » depuis 2016, avait appelé samedi lors d’un meeting à Libreville « à la confrontation » avec le régime pour faire reconnaître sa « victoire ».
Un net revirement après avoir appelé le 3 novembre au « rassemblement » de tous dans un Gabon traversant selon lui « les pires turbulences » de son histoire.
Une marche improvisée a suivi son meeting samedi, rassemblant quelques centaines de personnes, vite dispersée à l’aide de gaz lacrymogène par les policiers. Plusieurs marcheurs ont été arrêtés – une cinquantaine selon l’opposition, sept d’après la police – dont six ont été déférés devant la justice.
Depuis la présidentielle d’août 2016, qui avait vu le rassemblement des opposants derrière la candidature de Jean Ping, l’opposition s’est morcelée et n’arrive plus à mobiliser.
« Ping coincé »
De plus, le gouvernement d’Ali Bongo a réussi à attirer des opposants lors d’un « dialogue national » en 2017, ainsi que lors de la formation d’un nouveau gouvernement en mai 2018.
Les élections législatives et municipales d’octobre, largement remportées par le Parti démocratique gabonais (PDG) de M. Bongo, ont parachevé la division des opposants: certains, dont Jean Ping, avaient appelé à boycotter ce scrutin, les autres à y participer.
« Ping est allé jusqu’à mettre des bâtons dans les roues des opposants voulant se présenter » à ce scrutin, affirme, sous couvert d’anonymat, un acteur de la société civile.
Jean Ping « ne fait plus l’unanimité », analyse le politologue gabonais André Adjo, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (Cenarest) de Libreville.
Ses anciens amis lui reprochent « ses tergiversations depuis deux ans », ou encore sa « timidité » dans l’action, selon M. Adjo, qui ajoute qu’il a plusieurs fois appelé les Gabonais à descendre dans la rue, sans effet.
« Il faut reconnaître que Ping est souvent coincé par un certain nombre d’éléments, comme le fait qu’il soit interdit de sortie du territoire, ou que certains de ses soutiens ont été arrêtés », admet le politologue.
Pourtant, l’absence de son pays d’Ali Bongo, victime d’un accident vasculaire cérébral le 24 octobre alors qu’il se trouvait en Arabie saoudite, et aujourd’hui en convalescence au Maroc, aurait pu permettre à l’opposition de redresser la tête.
« On ne croit plus en rien »
Mais, « avec la situation incertaine du président Bongo, le pouvoir a redoublé de vigilance pour tout ce qu’il considère comme une ‘menace' », constate André Adjo, affirmant que les réseaux sociaux sont par exemple de plus en plus surveillés.
Au-delà de la division de l’opposition et de l’interdiction des manifestations, le politologue juge que les Gabonais portent un regard de plus en plus « sceptique » sur « toute la classe politique ».
Ils savent que les caciques de l’opposition, dont Jean Ping, viennent pour la plupart de la majorité du temps d’Omar Bongo, père d’Ali et qui a dirigé le pays de 1967 à sa mort en 2009, année à laquelle son fils lui a succédé.
Le scepticisme s’étend à « l’élite en général », selon M. Adjo, dans un pays où « toute revendication est rapidement politisée » et où « faire de la politique est un des principaux moyens d’avoir accès à une rente ». « C’est emblématique d’un manque de perspective » au Gabon, ajoute-t-il.
Les Gabonais ressentent également les effets d’une situation économique qui s’est détériorée dans ce pays pétrolier, frappé par la chute des prix du baril en 2014.
« Aujourd’hui on ne croit plus en rien ni en personne », affirme Gaspard, Librevillois d’une soixantaine d’années.
Sentiment partagé par André Adjo qui note que, sans leader et sans perspective, il ne voit « pas les gens aller massivement dans la rue dans les jours qui viennent ».