Diffusé sur France 5 mardi soir, le film de Mustapha Kessous a déchaîné les passions sur les réseaux sociaux. Une diversion bienvenue pour le gouvernement algérien au moment où il accroît la répression contre le mouvement de contestation.
Un documentaire télévisé qui provoque une crise diplomatique. «Ce n’est pas une fake news ni une blague», écrit Abdou Semmar, directeur du site d’information Algérie Part à propos de la décision d’Alger, mercredi soir, de rappeler «immédiatement» son ambassadeur à Paris pour consultations, après la diffusion mardi sur France 5 du film Algérie mon amour. Réalisé par le journaliste Mustapha Kessous, le documentaire présente le mouvement de protestation algérien inédit qui a débuté en février 2019 à travers les témoignages de cinq jeunes qui ont participé au Hirak. «Sous le prétexte de la liberté d’expression, ce sont en fait des attaques contre le peuple algérien et ses institutions, fustige le ministère des Affaires étrangères algérien dans un communiqué. Cet activisme où l’inimitié le dispute à la rancœur, dévoile les intentions malveillantes et durables de certains milieux qui ne souhaitent pas l’avènement de relations apaisées entre l’Algérie et la France.»
«Un long combat décrédibilisé»
La réaction du gouvernement algérien est intervenue après vingt-quatre heures d’un déchaînement de passions sur les réseaux sociaux algériens. «54 semaines de Hirak, des milliers d’Algériens dans les rues, des revendications contre un système corrompu et un long combat de la part du peuple souillés et décrédibilisés par 5 jeunes en pleine crise identitaire», lit-on dans un tweet signé «Jugurtha». «En supposant que plus d’un an de Hirak et de revendications de tout un peuple dans les rues puissent être souillés par une heure de reportage sur cinq jeunes destiné au public français, c’est déjà admettre que le Hirak n’est pas crédible», réplique l’internaute «Solitary Female».
Cet échange, parmi les plus rationnels et mesurés dans le déferlement de haine, de cris au complot, recours en justice et même menaces de mort, souligne le même sujet d’indignation parmi les Algériens. Le choix de donner la parole à cinq jeunes francophones éduqués, qui évoquent librement la révolte contre le système politique, mais aussi le poids des contraintes sociales et familiales dont ils souffrent, a été très mal reçu. Une scène en particulier cristallise la colère, celle d’une soirée sur une terrasse d’Alger où quelques jeunes boivent de l’alcool et parlent de leur sexualité. «Ont-ils l’air de sortir pour de l’alcool et le concubinage !? Je crois que vous vous êtes trompés de #Hirak. Le nôtre, pour rappel, revendique un état de droit en TOUTE SOUVERAINETÉ loin de TOUTE INGÉRENCE MALSAINE», écrit ainsi un internaute.
«One-two-thrisme»
«Pour comprendre la violence de leurs réactions, il faut mesurer l’immense attente des Algériens avant la diffusion de ce documentaire, qui est pratiquement le premier sur le Hirak», souligne Akram Belkaïd, auteur de l’Algérie en 100 questions (éd. Tallandier, 2019) et journaliste au Monde diplomatique. «Avec le titre Algérie, mon amour, ils espéraient voir un film à la gloire du mouvement de révolte et du pays. Mais les gens ne se sont pas reconnus dans les personnages qui ne reflètent pas la diversité du Hirak, en particulier parmi les milieux populaires qui restent très conservateurs», ajoute-t-il. «On m’a demandé des comptes sur « l’image » qui a été donnée du Hirak. Comme si j’étais devenue la réalisatrice du documentaire ou la porte-parole du Hirak, a réagi Sonia Siam, jeune psychiatre et l’une des protagonistes du film. Beaucoup l’ont vu, beaucoup d’autres ne l’ont pas vu, mais tous l’ont critiqué.»
La polémique autour du documentaire offre au pouvoir algérien une bonne diversion au moment où il accroît la pression et la répression. D’où le choix de l’escalade diplomatique contre la France, toujours payant pour ranimer la fierté nationaliste, le «one-two-thrisme» comme on l’appelle, incarné par le cri des supporteurs de l’équipe de foot, «one two three, viva l’Algérie». Mais selon Akram Belkaïd, «la bonne nouvelle c’est que la capacité de mobilisation des Algériens n’a pas faibli après des semaines de confinement, sans possibilité de manifester. Le documentaire fait les frais de la frustration des gens du Hirak, qui peut rebondir le moment venu».
Hala Kodmani