Intervention de Mme Félicité Vincent lors de la tenue du premier meeting constitutif de la Coalition Gabonaise du Refus et de Salut National à Paris les 20, 21 et 22 février 2009. Ce discours fut prononcé le vendredi 20 février au matin lors de la cérémonie d’ouverture des travaux de la Coalition.
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Je suis très heureuse d’être ici ce matin. J’ai été très, très heureuse d’entendre surtout les coalisés qui se sont exprimés formidablement bien ici à cette tribune. Je trouve que c’est une chance, une opportunité formidable d’avoir ces figures nouvelles dans la capitale de France, la ville de Paris, figurent libres, indépendantes, autonomes.
Je veux simplement vous dire que j’ai absolument confiance, vous allez faire un travail formidable parce qu’il y a un besoin, une envie de renouveau, de renouvellement, d’air, d’oxygène dans la vie politique Gabonaise et qu’heureusement que vous êtes toutes et tous là. Merci de votre présence.
Nous sommes en esprit de conquête et c’est cela qui fera la différence et non pas en esprit de gestion. On n’est pas en train de gérer une part de plus en plus petite du gâteau comme certains malheureusement le font.
Nous sommes dans l’esprit de reconquête et je voudrais vous dire quelques mots de l’esprit du projet de la coalition gabonaise du refus et de salut national que nous portons toutes et tous dans nos veines, car il y a quelque chose qui nous relie toutes et tous, les uns aux autres, que, nous sommes présents. Nous avons, je crois, une inspiration commune dans le projet que nous défendons.
La première de cette inspiration, c’est que, pour nous, cette charte. On a envie de mieux vivre dans le Gabon Nouveau. On a envie que le Gabon Nouveau soit plus humaine, on a envie qu’il soit plus agréable. Alors, je n’ignore pas, je fais du terrain, ce que nous entendons sur le terrain. Je n’ignore pas la désillusion, le désenchantement, les yeux qui s’ouvrent. Je reprends l’expression de commerçants qui m’ont dit cela hier, ils commencent à voir, ils commencent à entendre, ils y avaient cru, ils sont déçus, ils n’y croient plus.
Bien plus, je peux faire des propositions pour la renaissance de notre peuple, par exemple :
– comment apporter un espoir à une population qui n’aura connu que l’illusion véhiculée par un discours mensonger qui enlève aux mots indépendance, liberté et souveraineté leur contenu ?
– comment rendre leur dignité à des hommes et des femmes sur qui s’abattent la honte, la misère morale et matérielle, et qui continuent à vivre sous la servitude ?
– comment ouvrir un chemin pour sortir de cette voie de sous-développement moral, spirituel et matériel dans laquelle s’enfonce chaque jour notre peuple et qui apparaît aujourd’hui sans aucune issue en vue ?
Il faut pour ainsi dire penser et proposer un projet qui réponde concrètement aux problèmes et aux aspirations de l’homme gabonais dans sa réalité objective.
En chacun de nous palpite la nécessité de transmettre à nos descendants ce que nous avons reçu dans son intégralité.” A la question : “Mais ce qui allait de soi dans des sociétés traditionnelles est-il toujours d’actualité ? » Je réponds :
– Bien sûr mais en y apportant quelques réserves ! Cette question de la transmission traverse toute l’humanité. Le Deutéronome le disait déjà fort bien : « Pensez aux jours d’autrefois, remontez le cours des années ; demandez à vos parents et aux vieillards de vous raconter le passé », car il n’y a pas de sujet qui ne soit inséré dans une histoire. Un homme, une femme sans passé, cela n’existe pas. Un humain auquel on barrerait l’accès à sa généalogie culturelle serait un humain en souffrance. D’autant plus lorsque ce sont des groupes qui à un moment donné de leur histoire sont obligés de se disperser, soit à l’intérieur d’un pays, soit en s’expatriant. La transmission est une impérieuse nécessité pour qu’un minimum de continuité, d’appartenance à un groupe, soit assuré. La mémoire du passé, de la culture, c’est ce qui distingue l’humain de l’animal !
Le Gabonais, en général, et le jeune Fang en particulier, est, à l’heure actuelle, à ce point de vue incontestablement un humain en souffrance. Le système sous lequel il vit lui ayant barré l’accès à sa généalogie culturelle et même biologique. C’est ce qui constitue la grande crise de l’identité nationale dans notre pays, et qui ébranle l’armature de nos institutions politiques, civiles et même religieuses. Cette crise redouble les difficultés nées de la crise sociale et civique. C’est le moment que nous vivons avec les problèmes auxquels nous devons faire face.
« La Mémoire »
« Celui qui ne se souvient pas du passé est condamné à le reproduire. » (George Santayana)
Le Docteur Jacques Hassoun, psychanalyste présente avec acuité l’importance de la mémoire historique pour un peuple ou une nation. Ce texte vaut d’être reproduit ici tel quel :
– Un peuple sans mémoire, si tant est qu’il puisse exister, est un peuple mort. Un sujet sans mémoire est celui qui est pris dans un temps phénoménal, un temps figé sans passé ni futur. Vivant dans l’instant, hors de toute éthique, il ne vise qu’à sa survie.
Mais la mémoire ne saurait non plus être statique, elle ne saurait représenter ce trésor infiniment précieux qui doit rester intact, propre à créer des clones qui, indéfiniment, ne cessent de répéter les mêmes gestes. Cette mémoire, à l’instar d’une traduction littérale, barre la route à la transmission par le souci qu’elle recèle de trop vouloir se présenter comme immuable et non susceptible d’interprétation
Aussi ai-je, pour ma part, la plus grande sympathie pour le verset 7 du chapitre 32 du Deutéronome qui énonce :
« Rappelle à ton souvenir les anciens jours,
Passe en revue les années de génération en génération,
Interroge ton père et il te l’apprendra,
Tes vieillards et ils te le diront. »
J’ai tendance à interpréter cette injonction comme la nécessité logique, structurelle, de passer en revue les heures et les malheurs, les fidélités et les trahisons qui continuent une histoire et non pas seulement les instants héroïques que celle-ci serait réputée receler.
Bien plus, ce « père », ces « vieillards » invoqués semblent avoir pour impératif d’ouvrir un espace qui permet à l’enfant d’interroger la mémoire. Cette condition me semble nécessaire pour que celle-ci se constitue en une question, en un texte vivant et non pas en une enclave mortifère propre à susciter un ressassement infini autour d’un secret intime.
D’où la nécessité de considérer deux formes de mémoires : celle mélancolique, qui semble s’épuiser dans le ressentiment ou la quérulence et qui ne cesse de trouver argument dans le passé pour justifier le sentiment de tort immense ou d’héroïsme infini dont les porteurs de ce fardeau semblent être la proie.
Mais il existe aussi une « autre mémoire », celle qui ne craint pas que l’oubli puisse se constituer en savoir. Entendons-nous sur ce terme : il est évident qu’une nation qui suppose qu’une page peut être tournée sans tenter de mesurer les fautes qui ont été commises se voit condamnée à répéter les mêmes erreurs. (…)
Il ne s’agit donc pas d’énoncer que « cette » page tragique ou indigne est tournée, dans la mesure où elle ne cesse de se répéter…, mais de dire que cette page fait partie de la mémoire de la nation. C’est donc à partir de ce constat que nous pouvons mettre au travail ce qui a été au principe de ce qui s’est constitué en « faute ». Ceci suppose à la fois l’actualisation de celle-ci et dans le même temps la possibilité de pouvoir s’en détacher non pas pour le denier, mais bien au contraire pour la constituer en Histoire.
C’est alors, et alors seulement, que la victime et le bourreau (et leurs enfants) peuvent considérer (en des positions symétriques) que leur mémoire blessée, dès lors qu’elle est reprise par le collectif, peut se constituer en savoir partageable par le plus grand nombre.
A ce titre, l’impératif de transmettre une mémoire se situe à l’intersection du subjectif et du social. Aussi, cette transmission se constitue-t-elle comme un objet, lieu commun de ceux qui transmettent et de ceux qui reçoivent les avatars d’une histoire familiale ou sociale.
Acquérir ce qui a été transmis pour le posséder, n’est-ce pas ce qui peut nous permettre de constituer ce que j’ai été tenté d’appeler dans ces lignes « une mémoire vivante » ? –
Et la mémoire vivante, c’est aussi ce qui nous permet de vivre l’instant présent, et de nous projeter vers l’avenir. C’est elle qui nous permet de faire la différence et d’opérer des choix. La mémoire des couleurs, des odeurs ou des idées.
Nul pays ne peut progresser s’il méprise son propre passé, lequel détermine le cours ultérieur de son développement. Ces considérations d’ordre historique sont également importantes pour les sciences sociales. Toute réflexion dans le domaine des sciences sociales qui n’accorderait aucune attention à l’histoire, si valable ne soit-elle, comme première approximation de la réalité est dangereuse.