- Au fil des mois de l’épidémie de coronavirus, le professeur Didier Raoult s’est fendu de plusieurs analyses sur l’évolution probable de la pandémie.
- Du nombre de morts au taux de mortalité en passant par la possibilité d’une deuxième vague ou de la saisonnalité du virus, le controversé directeur de l’IHU de Marseille s’est penché sur différents aspects de la situation.
- Avant l’audition de Didier Raoult devant la commission d’enquête sur l’épidémie de coronavirus, 20 Minutes revient sur ces affirmations, pour voir si elles se sont vérifiées.
Didier Raoult est le premier à le répéter : il n’est pas « devin ». Ce qui n’a pas empêché le controversé spécialiste des maladies infectieuses et directeur de l’IHU Méditerranée Infection de formuler de nombreuses hypothèses, au fil des mois, sur l’évolution probable de l’épidémie de Covid-19, avec parfois avec beaucoup d’assurance.
Le professeur Raoult avait-il vu juste ? 20 Minutes revient, avant son audition devant la commission d’enquête sur l’épidémie de coronavirus, sur deux des analyses les plus marquantes de celui qui affirmait, sur l’antenne de BFMTV, le 3 juin : « Quand je dis quelque chose, ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir l’entendre dix ans après – ça va devenir de plus en plus difficile avec le temps – et de ne pas avoir honte de ce que j’ai dit. Ce qu’on dit au jour le jour ou ce qu’on pense au jour le jour ne me touche pas […], ce qui m’intéresse c’est d’être en accord avec moi-même dix ans plus tard. »
FAKE OFF
« Le taux de mortalité, aujourd’hui d’environ 2 %, va probablement diminuer » et « On va voir si [le coronavirus] arrive à tuer 10.000 [personnes], mais ça m’étonnerait »
Au tout début du mois de février, deux semaines avant qu’un premier mort du Covid-19 ne soit recensé dans l’Hexagone, et à un peu plus d’un mois de la circulation active du virus sur le territoire français, Didier Raoult se voulait rassurant sur le taux de mortalité du virus, au gré de ses premières apparitions médiatiques.
Il affirmait notamment, en réponse à une question du Journal du dimanche sur l’éventuelle exagération du gouvernement autour du danger du coronavirus : « Ce virus n’est pas si méchant, ce n’est pas un meurtrier aveugle. Le taux de mortalité, estimé aujourd’hui aux environs de 2 %, c’est-à-dire équivalent à celui de toutes les pneumonies virales présentes à l’hôpital, va probablement diminuer une fois que les cas qui n’ont pas donné de symptômes seront pris en compte. » Tout en reconnaissant dans la foulée : « Oui, des papés vont probablement mourir d’une pneumonie à cause de ce nouveau virus, comme en Chine ».
Un mois et demi plus tard, dans les colonnes de La Provence, Didier Raoult se montrait sceptique sur le futur nombre de décès provoqués par l’épidémie : « 10.000 morts, c’est beaucoup. Mais là, on en est à moins de 500. On va voir si on arrive à en tuer 10.000, mais ça m’étonnerait ».
Pour vérifier si Didier Raoult avait oui ou non vu juste, il faut d’abord faire la différence entre le taux de mortalité (le nombre de morts du coronavirus rapporté à la population d’un pays) et le taux de létalité (le nombre de décès du coronavirus par rapport au nombre de cas testés, connu sous le nom de « case fatality rate » ou CFR en anglais). Si Didier Raoult parlait bien dans le JDD de « taux de mortalité, il faisait en réalité référence au taux de létalité – comme de nombreux médias utilisant à l’époque à tort la première expression pour désigner le deuxième cas de figure.
Le taux de létalité réel a bien diminué (mais il y a eu plus de 10.000 morts en France)
Début février, le taux de létalité du coronavirus dans le monde était en effet évalué entre 2 % et 3 % par la communauté scientifique, avec une estimation d’un peu plus de 200 morts pour 10.000 cas. Si le dépistage était rare à cette période, la hausse des tests pratiqués a conduit à une augmentatio du nombre de cas tandis que le taux de létalité baissait logiquement. Début février, il serait ainsi passé de 3 % à 0,3 % ou 0,4 % une fois rapporté au nombre réel de cas dans le monde selon une modélisation.
Un mois plus tard, le taux de CFR du Covid-19 s’élevait à 3,4 % selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui notait : « A l’échelle mondiale, environ 3,4 % des personnes atteintes [du Covid-19] dont le cas a été notifié sont décédées. À titre de comparaison, la grippe saisonnière tue généralement moins de 1 % des personnes infectées... » Et en date du 23 juin, avec 469.159 morts pour 8,9 millions de cas, le taux de létalité mondial du coronavirus est d’environ 5 %.
Rapporté à l’échelle de la France à ce jour, avec les dernières données disponibles au 23 juin – 154.567 cas pour 29.571 morts –, le taux de létalité national s’élève à 19 %. Un pourcentage similaire à celui observé en mai. Toutefois, l’OMS base ses chiffres sur les cas testés positivement, sans prendre en compte les personnes présentant peu ou pas de symptômes qu’évoquait Didier Raoult pour expliquer la future baisse du pourcentage. En incluant ceux-ci, là encore grâce à des modélisations, on obtient le taux de létalité réel (ou IFR). C’est ce qu’a fait l’institut Pasteur, aboutissant, dans une étude publiée mi-mai, à un taux d’IFR de 0,7 % pour la France.
« 0,7 % c’est un taux qui correspond à un scénario de pandémie très sévère. Dans un scénario où on ne fait rien, 50 % de la population pourrait être infectée. Et si on applique un taux de 0,7 %, ça fait des centaines de milliers de morts », expliquait l’épidémiologiste Simon Cauchemez de l’institut Pasteur à nos confrères de Checknews, fin mai, en rappelant la nette supériorité de ce taux par rapport à la grippe H1N1 de 2009, dont la létalité était de 0,02 %.
Si Didier Raoult avait donc raison d’anticiper une baisse du taux de létalité, il s’est montré trop optimiste sur le nombre total de morts du Covid-19 en France, celui-ci ayant largement franchi la barre des 10.000 décès. Une erreur reconnue par l’intéressé dans Paris Match début mai : « Oui, j’ai dit que je doutais qu’il y aurait plus de 10.000 morts. J’aurais dû dire : « Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant que ça. » »
« Il est possible que d’ici un mois il n’y ait plus de cas du tout dans la plupart des pays tempérés » et une seconde vague qui relèverait « de [la] fantaisie, de la science-fiction »
Fin avril, dans son point de situation hebdomadaire sur YouTube, Didier Raoult affirmait : « Je ne prédis pas l’avenir, mais si les choses continuent comme ça, on a bien l’impression que ce qui était l’une des possibilités de cette maladie, c’est-à-dire une maladie saisonnière, est en train de se réaliser. Il est possible que d’ici un mois, il n’y ait plus de cas du tout dans la plupart des pays tempérés. »
Une semaine plus tard, dans une vidéo intitulée « Risque-t-on vraiment une deuxième vague ? », il ajoutait : « [La courbe du Covid-19] est une courbe en cloche, la courbe typique des épidémies. L’histoire de rebond, c’est une fantaisie qui a été inventée à partir de la grippe espagnole. […] Les épidémies ont disparu dans le temps bien avant qu’on ait les moyens de les contenir. Elles commencent, s’accélèrent, culminent, […] et elles diminuent et elles disparaissent, on ne sait pas pourquoi. »
Enfin, dans ce qui reste sa déclaration la plus médiatisée sur le sujet, lors d’un entretien sur BFMTV réalisé à la même période (à partir de 39’41 ci-dessous) Didier Raoult se montrait plus que sceptique sur la possibilité d’une seconde vague de l’épidémie : « Je ne sais pas d’où c’est sorti ça encore, c’est une fantaisie… On peut tout imaginer, on peut avoir de l’imagination sur tout, mais c’est de la science-fiction. […] Des infections respiratoires dans lesquelles il y a des secondes vagues, il n’y en a pas, donc je ne vois pas pourquoi il y en aurait pour celle-là. » Tout en reconnaissant, au cours du même entretien (à 20’25) avoir parfois « analysé les choses trop rapidement, comme tout le monde » au cours de l’épidémie.
Dès février, il rappelait par ailleurs à 20 Minutes, en réponse à une affirmation de Trump sur la possible disparition du virus au printemps, une caractéristique récurrente pour ce type de virus : « Presque tous les virus respiratoires ont une saisonnalité donc on peut imaginer que c’est le cas du coronavirus. Il est, en tout cas, raisonnable de l’envisager pour une maladie respiratoire.
Fin mai, les connaissances sur la saisonnalité du Covid-19 n’avaient pas beaucoup évolué, comme le notait l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : « Notre connaissance du SARS-CoV-2 reste pour le moment encore trop parcellaire pour se prononcer avec certitude sur sa saisonnalité, mais tous les travaux rappellent l’importance des mesures de prévention. » L’institution soulignait toutefois les résultats d’une étude suggérant « que ce virus est en mesure de causer des épidémies à tout moment de l’année en l’absence de mesures de distanciation sociale ou d’une immunité durable, mais que l’automne et l’hiver sont des saisons plus propices à une recrudescence importante du nombre de cas. »
Sur le premier point, Didier Raoult s’était montré trop optimiste : il y avait bien encore des cas de coronavirus dans plusieurs pays tempérés fin mai et c’est toujours le cas aujourd’hui. Mais si le nombre de clusters a augmenté en France ces derniers jours, que la Chine a adopté des mesures de reconfinement pour endiguer une inquiétante hausse des contaminations et que l’Allemagne a reconfiné au niveau local afin de faire face à une hausse importante du taux de reproduction du virus, il n’est pas pour autant question – à ce stade – de deuxième vague, conformément à son analyse d’un tel scénario.
Si Didier Raoult s’est montré assez catégorique sur la non-possibilité d’une seconde vague lors de son passage sur BFMTV en avril, il se défend en outre d’avoir exclu catégoriquement cette possibilité, comme il l’a notamment rappelé à L’Express fin mai : « Je n’ai jamais dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague. J’ai rappelé que, pour l’instant, cela n’est jamais arrivé. C’est comme si vous me demandiez s’il faut jouer à l’Euromillions. Je le déconseille, mais finalement il y en a qui gagnent. Tout est possible. Une deuxième vague n’est pas à exclure ».
Et il a lui-même nuancé ses estimations, dans son point YouTube hebdomadaire du 16 juin (à partir de 11’40 ci-dessous) : « Personne n’est capable de prédire l’avenir. Il se peut qu’il y ait un nouveau pic épidémique au moment de la saison hiverna-printanière, il se peut qu’elle disparaisse, ça dépendra de la distribution dans la zone inter-tropicale et du fait qu’il existera des gens qui seront porteurs chroniques ».
Tout en indiquant, dans cette vidéo puis plus récemment dans Le Parisien, qu’il fallait « surveiller » de « très près » la Nouvelle-Zélande pour pouvoir anticiper la survenue d’un éventuel nouveau pic de l’épidémie : « C’est un pays tempéré, climatiquement proche du nôtre. Ce week-end, nous sommes entrés dans l’été, eux, dans l’hiver. Comme nous le faisons pour la grippe, on va essayer de déduire ce qui peut arriver en regardant comment le virus se comporte là-bas. Il y a un effet miroir. Si le nombre de cas y flambe, il faudra craindre à l’automne un retour de l’épidémie en France. »