La justice française vient de saisir deux comptes appartenant au président gabonais, habitué à l’indulgence de la Françafrique.
L’impunité des dignitaires de la Françafrique n’est plus ce qu’elle était. Deux comptes bancaires d’Omar Bongo, président du Gabon, viennent d’être bloqués sur décision de la justice française. Une affaire invraisemblable, à tout point de vue.
En 1995, René Cardona, homme d’affaires français implanté en Afrique, vend une affaire de pêcherie à la famille Bongo (Omar le patriarche plus trois membres du clan). Un investissement à titre privé, en marge de sa fonction présidentielle. Au risque, en cas de litige, d’une justice bananière. Ça n’a pas manqué.
Dès mars 1996, le citoyen Bongo conteste la cession, affirme que Cardona lui aurait vendu des chalutiers hors d’état de fonctionner. En première instance, le tribunal de Libreville condamne le vendeur à réparer les navires, sanction levée deux mois plus tard par la cour d’appel, la justice gabonaise montrant là une rare indépendance. Mais Bongo change son fusil d’épaule, porte plainte au pénal pour escroquerie. L’affaire est instruite par le juge Mathurin Boungou, le neveu du président. En toute indépendance, il embastille Cardona sans même l’auditionner préalablement.
Couleuvres. Alerté, son fils, Thierry Cardona, signe un chèque de banque en faveur d’Omar Bongo, de 300 millions de francs CFA (450 000 euros). Cinq jours plus tard, Cardona père est libéré. Il n’entendra plus jamais parler du juge-neveu Boungou.
Depuis, la famille Cardona, repliée dans le sud-ouest de la France, exige le remboursement de ce qu’elle appelle une «rançon». Simple «transaction commerciale orale», répond le clan Bongo. A l’entendre plaider devant la justice hexagonale, la libération subite de René Cardona n’aurait rien à voir avec la remise du chèque. Il aurait été libéré pour… «raison humanitaire», le virus Ebola sévissant alors dans les prisons gabonaises.
Les magistrats français, pourtant habitués à avaler les couleuvres françafricaines, ne sont pas prêts à accepter n’importe quoi. Un courrier confidentiel d’un avocat de Bongo évoquait une négociation sur «la libération de M. Cardona et rien de plus». Conclusion de la Cour d’appel de Bordeaux : «L’allégation d’une transaction amiable est anéantie par le contenu de ce courrier.»
«Mauvaise foi». Il en faut plus pour décourager le président gabonais. En 2004, il obtient du tribunal de Libreville un jugement validant – neuf ans après les faits – la «transaction orale» censée avoir été passée entre Bongo et Cardona, le second s’engageant à lui verser un million d’euros en dédommagement. Nouvelle leçon de droit de la cour d’appel de Bordeaux : ce jugement local est «insusceptible de revêtir l’autorité de la chose jugée» , Cardona n’ayant été ni convoqué à l’audience ni averti de la décision – laquelle est introuvable au greffe…
En septembre 2008, la cour de Bordeaux condamnait «monsieur Omar el-Hadj Bongo Ondimba» à rembourser les 450 000 euros, agrémentés d’intérêts de retard pour «mauvaise foi» , soit un million d’euros. Bongo a depuis saisi la Cour de cassation, mais son pourvoi n’est recevable que s’il règle entre-temps l’ardoise. Parce qu’il s’y refuse mordicus, l’avocat de la famille Cardona, Me Jean-Philippe Le Bail, a obtenu la semaine dernière la saisie des comptes français du citoyen Bongo. Et d’ironiser : «A moins qu’il ose soutenir qu’il s’agit de fonds secrets de l’Etat gabonais, il s’agit bien de son argent personnel.»