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L’Afrique brisée dans son élan par le Covid-19

La crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie du Covid menace d’interrompre l’intégration régionale en Afrique et la redéfinition du lien entre le continent et le reste du monde.

Le XXIe siècle devait être le siècle de l’Afrique. « La nouvelle année 2020 marque le début d’une décennie prometteuse pour l’Afrique », proclamait en janvier la Brookings Institution. Un siècle qui devait voir une redéfinition des relations des pays africains avec le reste du monde pour passer de la dépendance à l’aide au développement au partenariat avec les anciennes puissances coloniales, la Chine et les Etats-Unis.

Mais l’Afrique, avant d’être elle-même touchée violemment par la pandémie du Covid-19, a payé un lourd tribut économique et social à la crise sanitaire avec la fermeture de la plupart des grandes économies – européenne et américaine, voire chinoise – et la paralysie des transports.

La Banque africaine de développement (BAD) anticipe ainsi une contraction de 1,7 à 3,4 % du produit intérieur brut des 54 pays africains. Le Nigeria, fortement dépendant des exportations d’hydrocarbures, a été très touché par la crise, en raison de la chute du prix du baril, souligne Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques).

La plus forte récession depuis un quart de siècle

Cette contraction est déjà considérée comme la plus forte récession depuis au moins un quart de siècle, affirmait Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, lors d’une vidéoconférence organisée par l’AFD (Agence française de développement).

Quelque 50 millions d’Africains pourraient, selon la BAD, sombrer dans l’extrême pauvreté sur un continent qui compte déjà 425 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (défini comme moins de 1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat).

Le risque est de voir cette crise sanitaire et économique se transformer en crise alimentaire en raison de la forte dépendance à l’égard des importations de denrées comme le riz. L’Afrique de l’Ouest importe ainsi 5 millions de tonnes de riz blanc, alors que la production locale couvre à peine 60 % de ses besoins. Les cours, selon Caroline Roussy, pourraient s’envoler « et préfigurer des situations de famine dans les pays où, par héritage colonial, cette céréale s’est imposée comme denrée alimentaire de base ».

Intégration régionale retardée

La crise pourrait aussi avoir des conséquences géopolitiques inattendues et remettre en cause des changements qui s’opèrent depuis quelques années.

Initialement, selon le directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, face à la pandémie l’Afrique s’est distinguée dans le monde par une réponse coordonnée. Mais le mouvement vers une plus profonde intégration, notamment au niveau des institutions régionales africaines comme le promeut depuis des années l’Union africaine, risque de faire long feu.

La mise en oeuvre effective de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) a dû être retardée. L’accord pour ce marché commun africain, qui doit éliminer les droits de douane pour le commerce interafricain, avait été pourtant signé par les 54 pays africains et ratifié par 28. Dur premier coup de canif dans l’accord : le Nigeria, qui avait finalement accepté avec une certaine réticence de se joindre à la zone, a décidé de fermer unilatéralement ses frontières à ses voisins, note Caroline Roussy.

Moratoire sur la dette

Mais il y a une autre interrogation. L’Afrique pourra-t-elle sortir de la crise sanitaire sans une aide financière massive de l’extérieur ? Les ministres des Finances africains ont demandé un moratoire sur les dettes extérieures , et non pas comme il y a dix ou quinze ans des annulations de dettes. Car, d’après l’économiste Vera Songwe, il ne s’agit pas d’une crise de la dette, mais d’une crise de liquidité largement due à l’effondrement des recettes budgétaires. Selon ses estimations, il faudrait 100 milliards de dollars pour la relance du secteur public en Afrique dont 44 milliards grâce au moratoire sur la dette, le reste étant financé par le secteur privé. Mais qui pourra financer ces montants alors que les envois d’argent de la diaspora africaine ont été fortement réduits ?

L’autre grande limite à l’intégration est d’ordre sécuritaire. L’Afrique est le théâtre d’actes de violence extrême et doit faire appel encore à des troupes étrangères, notamment françaises. Mais plus de sept ans après l’intervention militaire française, le Mali sombre pourtant dans le chaos et le « cancer terroriste » se métastase en Afrique de l’Ouest, comme le redoutait le président du Niger Mahamadou Issoufou . Et si l’armée française a été bien accueillie en 2013, un sentiment anti-français s’est développé avec ce que certains en Afrique veulent considérer comme des forces d’occupation.

La fin du franc CFA

Ce sentiment anti-français a été aggravé par l’annonce à la fin décembre par le président Emmanuel Macron de l’abandon du franc CFA, et sa prochaine substitution par l’eco, en référence à Ecowas (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, en anglais). Une annonce qui a choqué. Certains en Afrique voient « la France comme briseuse du panafricanisme ». Car, comme le souligne Caroline Roussy, « le nouveau narratif » entre l’Afrique et la France donne l’impression de s’écrire… sans les Africains. Dans le monde d’après, c’est plus sûrement la Chine, avec ses routes de la soie, qui restructurera les relations de l’Afrique avec le monde extérieur.

Jacques Hubert-Rodier (Editorialiste de politique internationale aux « Echos »)

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