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Ma pensée du Jour : L’Afrique, l’Occident, la Russie de Vladimir Poutine et la Souveraineté des Peuples

Dans le débat passionné et parfois fanatisant qui antagonise aujourd’hui les Africains au sujet de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine, j’aimerais bien que nous, Gabonais et Africains, comprenions une chose : Jusqu’au moment où l’Union soviétique, dès 1988, connaît ses premiers soubresauts politiques avant sa désintégration finale en 1991, ni l’OTAN ni les USA n’avaient tiré un seul coup de feu direct contre l’URSS ou ses républiques satellites en Europe. La confrontation entre « l’Est » et « l’Ouest » ne fut donc jamais directe, mais toujours, généralement, par procuration, et souvent sur des théâtres lointains, parce que, en Europe même, il y a toujours eu un Rubicon d’annihilation réciproque et immédiate que personne n’a jamais osé franchir.

Mieux même encore, pendant toute la durée de la Guerre Froide, il n’y eut jamais, en Europe, aucune invasion ni attaque militaire directe par l’OTAN d’aucune des républiques soviétiques, tout comme il n’y eut jamais d’invasion directe de l’URSS d’un pays de l’OTAN. La guerre directe que l’on craignait n’eut donc jamais lieu, tout simplement parce que, en réalité, aujourd’hui comme hier, elle reste impossible. N’en déplaise donc aux va-t-en-guerre qui fantasment là-dessus, la Russie de Poutine n’osera jamais attaquer frontalement un pays de l’OTAN tout comme un pays de l’OTAN n’osera jamais attaquer frontalement la Russie. Les arsenaux nucléaires dissuasifs qu’ils possèdent respectivement continueront à assurer cet équilibre. Toute affirmation contraire dans un sens comme dans l’autre sera et restera, naturellement, un total fantasme tout autant qu’une maladroite vue de l’esprit, jusqu’à preuve du contraire.

Ce que l’on semble aussi oublier est qu’il y eut bel et bien un rival militaire direct à l’OTAN, que l’on appela jadis le « Pacte de Varsovie », pacte militaire dont l’Union soviétique fut le moteur. Or, comme l’URSS elle-même, ce bloc né en 1955 explosa et s’effrita, lui aussi, en 1991 et TOUS, je dis bien tous les pays qui en firent jadis partie – La Fédération de Russie, la Pologne, la Bulgarie, l’Albanie, la Roumanie, la Hongrie, l’Allemagne réunifiée et ce qui reste de l’ancienne Tchécoslovaquie (la République tchèque et la Slovaquie) – s’éloignèrent de l’Union soviétique comme de la peste, et tous sauf la Russie s’en allèrent rejoindre l’OTAN.

Les interprétations simplistes et faciles argueront que ces élargissements de l’OTAN qui ont graduellement empiété sur les anciens espaces satellites de l’URSS devraient pouvoir justifier que la Russie envahît aujourd’hui l’Ukraine pour freiner cette « invasion » de son espace vital, et ceci en rétorque au fait que les États-Unis eussent longtemps fait la même chose dans le monde, à l’instar de la tentative avortée d’invasion de Cuba en 1961, la crise des missiles, aussi à Cuba, en 1962, et l’embargo qui s’ensuivit. Tout cela est, certes, vrai, mais le danger de ce genre de raisonnements basés sur le jeu des équivalences est qu’ils font radicalement fi de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples et permettent la création d’un monde des arbitraires où l’on justifierait les atrocités actuelles des uns par les atrocités passées des autres, alors que la position la plus rationnelle serait de condamner tant les États-Unis que la Russie, dès lors que l’un comme l’autre s’engagerait dans des actes impérialistes inacceptables. Quand c’est mauvais, c’est mauvais !

Il y a également, dans ces interprétations faciles basées sur le jeu des équivalences, comme une approche excessivement infantilisante de la volonté nationaliste qui anima les nouvelles républiques libres qui choisirent de rejoindre l’OTAN : l’on voudrait par exemple nous faire croire que ces républiques n’ont jamais joui d’un quelconque libre arbitre dans leurs décisions de rejoindre l’OTAN et que les USA et les Européens les auraient, soit hypnotisées, soit forcées manu militari à les rejoindre. L’on feindra même aussi d’ignorer que plusieurs de ces anciennes républiques soviétiques, à l’instar de l’Estonie, subirent dans le passé plusieurs occupations russes et soviétiques qui les forcèrent manu militari dans le bloc soviétique après la Seconde Guerre Mondiale, ce qui expliquerait les nationalismes sécessionnistes qui s’exprimèrent aussitôt qu’il était devenu évident que les jours de l’URSS étaient comptés !

L’histoire retient pourtant, par exemple, que les trois républiques baltes que sont l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie passèrent par des manifestations monstres comme celle du 23 août 1989 qui, deux ans avant la désintégration de l’Union soviétique, vit plus de 2 millions d’Estoniens, de Lituaniens et de Lettons se déverser dans les rues pour demander leur indépendance. L’histoire dit aussi qu’en mars 1991, les Lettons tinrent un référendum par lequel le peuple vota à 78,4% pour l’indépendance et, donc, le retrait de l’Union soviétique. Ignorer ces velléités indépendantistes pour ne céder le pas qu’aux impératifs des accords sécuritaires écrits ou non écrits entre l’OTAN et la Russie est, à ce titre, très problématique car cela entérine l’insupportable idée que ces peuples qui aspiraient à la liberté se devaient de sacrifier leur désir de souveraineté et d’autodétermination à l’autel des accords qu’auraient pris, sur leurs dos, les Occidentaux et la Russie, sans qu’ils n’aient eu aucun mot à dire. Ceci me rappelle étrangement la Conférence de Berlin de 1885, où les Européens décidèrent de se partager l’Afrique sans consulter les Africains, ou encore celle de Brazzaville en 1944, où la France décida du sort des Africains qu’elle avait colonisés sans les associer aux discussions. Je ne sais pas quel peuple digne et fier de son identité accepterait que son autodétermination soit unilatéralement délimitée de cette manière par d’autres, et pour leurs intérêts égocentrés, sans son accord.

En lieu et place, donc, des arguments superficiels, nous dirons que la réalité qu’il faut élucider ici est, plutôt, celle-ci : Qu’est-ce qui a fait que, en l’absence de toute confrontation directe entre les puissances nucléaires en Europe, l’Union soviétique, les membres du Pacte de Varsovie et bon nombre de régions du monde jadis influencées par les idées communiso-marxisantes se soient généralement effrités là où, paradoxalement, l’Occident dans son ensemble non seulement continua de prospérer, mais aussi continua de gagner du terrain, allant même jusqu’à tisser sa toile économique dans des pays anciennement ennemis — tels le Vietnam — qu’il ne fut jamais capable de soumettre militairement.

La vérité est que c’est, en réalité, de l’intérieur même du système communiste soviétique que s’est effrité « l’Empire ». Cette désagrégation tient de deux faits simples et concomitants : Le premier est que la longue bataille que fut la Guerre Froide avait fini par asphyxier économiquement une URSS qui, en tant qu’entité communisante, ne pouvait générer autant de richesses et de dynamisme économique que les pays capitalistes (On le voit d’ailleurs toujours un peu en filigrane aujourd’hui par le fait que les USA aient une économie 6 à 15 fois plus forte que l’économie russe selon qu’on les analyserait sur base de PIB PPA ou de PIB nominal) ; le second, qui est corollaire du premier, est que ne pouvant générer suffisamment de puissance économique pour soutenir à la fois, et la Guerre Froide et le bien-être des peuples russes, l’URSS fut confrontée à un choix ingrat : financer indéfiniment la Guerre Froide et ses ambitions impérialistes à travers le monde ou arrêter cette poursuite devenue futile et insoutenable, pour se concentrer sur un développement économique visant au bien-être des peuples de l’Union.

La réponse à cet imbroglio vint, naturellement, des peuples de l’Union eux-mêmes, y compris ceux de ce qui devint « Fédération de Russie » après les dislocations de 1991. En effet, ce que le jeu des équivalences occulte est que la Russie, qui n’est pas à confondre avec l’URSS, est elle-même, paradoxalement aussi, l’une des anciennes républiques de l’espace soviétique à avoir fait sécession, puis proclamé son indépendance de… l’URSS en 1991. C’est d’ailleurs sous l’instigation de Boris Eltsine que cette Russie-là, suite à de nombreux mouvements de rue, quittera elle-même cette « Union » devenue trop lourde à porter et, surtout, trop politiquement et économiquement étouffante. C’est ainsi que, 69 ans après la création de l’Union soviétique en 1922, le glas sonna la fin des totalitarismes russes (ou du moins le croyait-on, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine).

L’histoire, à ce niveau, ne ment donc pas : Des 15 républiques qui composèrent jadis l’Union soviétique, aucune ne voulut plus de cette Union étouffante. Quoique la désintégration juridique finale de l’URSS ne se fit que les 25-31 décembre 1991, il y eut un processus de désintégration graduelle entre septembre et décembre 1991 qui fut, lui-même, précédé de velléités indépendantistes par lesquelles la quasi-totalité des 15 républiques de l’Union soviétique exprimèrent leur besoin d’indépendance. L’on peut, à ce titre, si l’on en croit Wikipédia, noter les étapes indépendantistes chronologiques suivantes :

1- L’ESTONIE : Proclamation de souveraineté dès le 16 novembre 1988, sécession de l’URSS dès le 8 mai 1990 et reconnaissance d’indépendance le 6 septembre 1991.

2- LA LITUANIE : Proclamation de souveraineté dès le 26 mai 1989, sécession de l’URSS dès le 11 mars 1990 et reconnaissance d’indépendance le 6 septembre 1991.

3- LA LETTONIE : Proclamation de souveraineté dès le 26 mai 1989, sécession de l’URSS dès le 11 mars 1990 et reconnaissance d’indépendance le 6 septembre 1991.

4- L’AZERBAÏDJAN : Proclamation de souveraineté dès le 23 septembre 1989, sécession de l’URSS dès le 30 août 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

5- LA GÉORGIE : Proclamation de souveraineté dès le 26 mai 1990, sécession de l’URSS dès le 9 avril 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

6- LA RUSSIE (future « Fédération de Russie ») : Proclamation de souveraineté dès le 12 juin 1990, sécession de l’URSS dès le 12 décembre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

7 – L’OUZBÉKISTAN : Proclamation de souveraineté dès le 20 juin 1990, sécession de l’URSS dès le 31 août 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

8 – LA MOLDAVIE : Proclamation de souveraineté dès le 23 juin 1990, sécession de l’URSS dès le 27 août 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

9 – L’UKRAINE : Proclamation de souveraineté dès le 16 juillet 1990, sécession de l’URSS dès le 24 août 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991 (Il est à noter que la Crimée choisit librement de se rattacher à l’Ukraine en 1992).

10 – LA BIÉLORUSSIE : Proclamation de souveraineté dès le 27 juillet 1990, sécession de l’URSS dès le 10 décembre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

11- LE TURKMÉNISTAN : Proclamation de souveraineté dès le 22 août 1990, sécession de l’URSS dès le 27 octobre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

12- L’ARMÉNIE : Proclamation de souveraineté dès le 23 août 1990, sécession de l’URSS dès le 21 septembre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

13- LE TADJIKISTAN : Proclamation de souveraineté dès le 24 août 1990, sécession de l’URSS dès le 9 septembre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

14 – LE KAZAKHSTAN : Proclamation de souveraineté dès le 25 octobre 1990, sécession de l’URSS dès le 16 décembre 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

15 – LE KIRGHIZISTAN : Proclamation de souveraineté dès le 15 décembre 1990, sécession de l’URSS dès le 31 août 1991 et reconnaissance d’indépendance le 26 décembre 1991.

Prétendre, donc, que toutes ces entités territoriales, ainsi que les huit États membres du Pacte de Varsovie, auraient abandonné l’URSS parce que l’Occident les y aurait « obligées » relèverait, quelque part, de la malhonnêteté intellectuelle car cela voudrait dire que la Fédération de Russie elle-même aurait été « forcée » par l’Occident d’abandonner ses propres satellites. Certes, il y a toujours eu, dans les confins stratégiques de la Guerre Froide, des fondements idéologiques par lesquels chaque camp voulut convaincre l’autre – et le monde – que son modèle politique, économique, sociétal et culturel était le meilleur, mais une guerre d’influence est presque toujours de bonne guerre : c’est au meilleur de gagner en vendant mieux ses idées. On ne pourra donc pas, sur ce plan basique des idées, accuser les Occidentaux d’avoir triché : ils ont tout simplement gagné leur guerre d’influence là où l’URSS a échoué dans la sienne.

Ce qui est, en réalité, commun non seulement à toutes les anciennes républiques soviétiques et aux anciens membres du Pacte de Varsovie, mais aussi à la Russie elle-même sous Boris Eltsine, est qu’ils ont tous opté pour un sevrage des relations contraignantes et asphyxiantes que l’impérialisme soviétique avait tissées, en Europe même, tout au long de leur histoire impériale commune, chacun choisissant, au final, de se construire des élans de souveraineté et d’autodétermination qui lui seraient propres. Ce sont ces élans qui firent que les nouveaux pays nés de cette désintégration comme la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie aient fait, dès 2004, le choix souverain et autodéterminé d’entrer à la fois dans l’Union européenne et dans l’OTAN, tandis que d’autres, tels l’Ukraine et la Géorgie, ne cessèrent jamais d’essayer d’y entrer. Personne ne leur a tordu le bras et personne ne les a envahis pour les y forcer.

Que l’on le veuille donc ou pas, force est de reconnaître qu’aucun de ces nouveaux États n’avait le révolver de l’OTAN ou de l’Occident à la tempe. Boris Eltsine lui-même avait une vision du monde et de la Russie qui était très différente de celle de Vladimir Poutine. Eltsine était un homme foncièrement visionnaire qui en avait eu assez des autoritarismes russo-soviétiques. Il avait compris que le retour de la Russie au statut de superpuissance allait forcément dépendre de sa capacité à transitionner non seulement vers la démocratie, mais aussi vers le modèle d’économie de marché pratiqué en Occident, modèle qui, en plus, venait de faire ses preuves dans sa concurrence avec les idéologies marxisantes. C’est cette transition qu’il s’attela à réaliser dans sa tentative de normaliser les relations entre la Russie et l’Occident, jusqu’au moment où Vladimir Poutine vint mettre un coup d’arrêt idéologique à ce processus d’ouverture vers la démocratie, l’économie de marché et le capitalisme.

La question fondamentale à se poser donc, au final, est la suivante : Pourquoi tous ces pays nés de la débâcle généralisée de l’URSS ont-ils fait si facilement, et avec autant d’empressement, le choix souverain non seulement d’abandonner un ensemble auquel ils avaient appartenu tant culturellement qu’idéologiquement, mais aussi de s’ouvrir au monde occidental qui jadis fut leur ennemi juré à tous ? Vu que ce monde occidental ne leur fit jamais directement la guerre aux fins de leur imposer ses idées par la force du glaive et du canon, qu’est-ce qui fit que quasiment tous ces pays, malgré tout, aient fait le choix de quitter très prestement l’Union soviétique pour ensuite aller, pour bon nombre d’entre eux, intégrer l’OTAN ?

La réponse à cette question est, en réalité simple : le ras-le-bol de leurs propres peuples.

Aussi vrais, donc, que puissent être les arguments sécuritaires que Vladimir Poutine aime à avancer aujourd’hui pour justifier ses invasions et financements de séparatismes ici et là en Ukraine et en Géorgie, il est impossible d’occulter totalement les soulèvements populaires qu’il y eut dans quasiment toutes les républiques soviétiques à partir de la fin des années 1980. Ces soulèvements populaires furent ceux-là mêmes qui visèrent souvent non seulement à l’abolissement du parti communiste (et donc du modèle de parti unique soviétique), mais aussi à une ouverture démocratique que la plupart de ces peuples ressentirent quasiment tous comme la seule voie vers la prospérité offerte par les économies de marché.

Il n’est pas anodin, non plus, que ce fût à cette même époque que les peuples d’Afrique francophone, à commencer par le Bénin en 1989, se déversèrent dans les rues pour demander les réformes démocratisantes qui allaient leur permettre, à eux aussi, de pouvoir goûter aux bienfaits de la démocratie et du développement durable. En Europe de l’Est donc, tout comme en Afrique, les peuples rejetaient, dans le même temps, le parti unique et les idées marxisantes pour embrasser des réformes politiques qui, en filigrane, se construisaient sur la promesse du bien-être économique. Le seul modèle qui, à cette époque, se tenait encore debout devant eux, et qui attirait le monde entier comme un aimant, fut bel et bien, et uniquement, le modèle capitaliste. Et les pays qui, comme la Chine, l’Inde, le Vietnam, la Corée du Sud, le Japon et tant d’autres, surent faire la transition vers l’économie de marché capitaliste connurent de gros essors économiques, tandis que ceux qui, comme la Russie sous Poutine, restèrent enfermés dans les acrimonies de la Guerre Froide se mirent à stagner en dessous de leur vrai potentiel. L’Amérique en profita pour s’établir en unique superpuissance à capacité d’hyperdominance.

L’on pourrait certes débattre ad infinitum du bien fondé de telle ou telle raison sécuritaire qui pousserait Vladimir Poutine, aujourd’hui, à envahir l’Ukraine, mais la réalité est que ce n’est ni l’OTAN ni l’Amérique militaires qui vainquirent l’Union soviétique et ce ne sont pas eux les vrais ennemis de Poutine. Ce qui vainquit l’URSS fut les idées occidentales que les peuples sous dictat soviétique embrassèrent, librement, dans le cadre de la guerre d’influence que se livraient les deux mondes. Ce sont ces mêmes idées qui ont continué à séduire non seulement des pays de l’ancienne URSS devenus indépendants comme l’Ukraine et la Géorgie, parmi d’autres, mais aussi des pays jadis sympathisants de l’URSS comme l’Inde, la Chine, le Vietnam, etc.

Si, donc, guerre il y a eu contre la Russie de Poutine, cette guerre fut forcément celle des idées. Poutine sait très bien que dans le monde nucléarisé d’aujourd’hui, aucune puissance nucléaire n’osera jamais en attaquer une autre. Il sait très bien que ni l’OTAN ni les USA n’oseront jamais entrer en guerre ouverte et frontale contre la Russie, tout comme il sait que la Russie, non plus, ne pourra jamais entrer en guerre ouverte et frontale contre l’OTAN ou les USA. Ce qui fait peur à Poutine, en réalité, c’est la guerre des idées et, donc, la banqueroute de ses vieilles idées de grandeur impérialiste. Il sait que la guerre entre lui et le monde occidental sera et restera toujours celle des idées. Et il sait que ces idées occidentales — capitalisme et démocratie — resteront le champ de bataille sur lequel se jouera l’avenir de la Russie, de son idée de la Russie. Sur ce champ de bataille-là, il est condamné à perdre. Il a déjà perdu.

Mais ce champ de bataille ne se situera nullement hors de la Russie, loin de là. Il se situera, plutôt, à l’intérieur de la Russie. Cette bataille intérieure éclatera au moment où les Russes, tout comme le reste des peuples du monde anciennement soviétique, voudront se débarrasser du goulot d’étranglement que représente encore pour eux, aujourd’hui, l’autoritarisme belliqueux et impérialiste de Vladimir Poutine, un autoritarisme que des démocraties comme l’Ukraine, la Lettonie, la Géorgie, la Lituanie et l’Estonie estiment d’un autre temps.

Il est alors quelque peu dommage que, en se mettant à célébrer – bien prématurément – Vladimir Poutine comme le héros qui demain viendra libérer l’Afrique de l’emprise occidentale, les Africains, surtout francophones, aient oublié pourquoi nous nous déversâmes, nous aussi, dans les rues des capitales africaines à la fin des années 1980 et, surtout, dans le courant des années 1990. Il est dommage que nous ayons apparemment oublié ce que nous demandions et recherchions dans les conférences nationales que nous organisâmes dans nos capitales une fois que les rues avaient parlé. Il est dommage que nous ayons déjà oublié combien, à l’époque, nous jubilions de la chute du mur de Berlin et de l’écroulement de l’Union soviétique, événements qui symbolisèrent, pour nous, pourtant, non seulement la fin des dictatures et des partis uniques marxisants qui avaient asphyxié nos devenirs, mais aussi, pour les Francophones, la potentielle fin de la Françafrique. Il est dommage que nous ayons, aussi, déjà oublié les élections volées qui, depuis, ont continué à priver nos peuples de leurs souveraines autodéterminations.

Ce que nous cherchions et recherchions pourtant, il me semble, c’était, fondamentalement, la fin non seulement des dictatures qui nous étouffaient, mais aussi la fin des ingérences géopolitiques et géostratégiques des Occidentaux qui emprisonnaient les destinées de nos pays dans leurs notions néocolonialistes de « chasses gardées », avec la complicité de nos dictateurs. Rien que par ce souvenir, aucun Africain qui gardât encore en lui le souvenir de nos révolutions des années 1989-1990 n’oserait logiquement se situer du côté de ceux qui, pour quelque raison que ce soit, portent aujourd’hui atteinte non seulement à la souveraineté, mais aussi à l’autodétermination des peuples. Sur ce terrain, le combat des Maliens, Guinéens, Burkinabés, Ivoiriens, Gabonais et tant d’autres peuples d’Afrique pour la souveraineté et l’autodétermination face aux ingérences impérialistes est, exactement, le même que celui des Ukrainiens face aux ingérences impérialistes, non pas des Russes et de la Russie, mais de Vladimir Poutine.

Poutine gagnera sans doute sa guerre contre l’Ukraine. Et il installera sans doute aussi un homme de paille à la tête de l’Ukraine. Cet acte, cependant, ne sera pas différent de ce que ferait et a toujours fait une France qui, en Afrique, a imposé aux Congolais, Ivoiriens et Gabonais des serviteurs dociles tels Sassou Nguesso, Alassane Ouattara et les Bongo. Nonobstant les raisons sécuritaires et géostratégiques fantaisistes que les nations impérialistes pourraient avancer pour justifier leurs ingérences chez nous, le combat des Congolais, des Ivoiriens et des Gabonais est, à ce titre, le même que celui des Ukrainiens, Libyens, Irakiens, Palestiniens et autres peuples sous dictat impérialiste direct ou indirect. Dans tous ces cas parmi tant d’autres, c’est la souveraineté et l’autodétermination des peuples qui sont bafouées. Dans tous ces cas, les Africains doivent condamner tous les actes d’ingérences car le combat des Ukrainiens face à Poutine est exactement le même que celui des Africains face aux Occidentaux. C’est un combat pour l’autodétermination et la souveraineté et il n’y a aucune raison géostratégique ou historique qui fût suffisamment convaincante pour justifier la falsification du droit des peuples, quels qu’ils soient, à l’autodétermination et à la souveraineté.

Non, l’Occident n’a pas vaincu l’URSS. Ce sont les élans d’autodétermination, et donc, les peuples de l’Union soviétique et de toutes ces républiques qui ont, eux-mêmes, vaincu l’URSS… avec les idées occidentales et l’incapacité concomitante qui fut celle de l’URSS de continuer de mener une Guerre Froide qui avait fini par l’asphyxier économiquement, à cause, justement, d’un modèle économique qui se révéla trop utopique pour être soutenable. Ce sont ces mêmes réalités économiques, mais aussi politiques, qui, demain, de la Russie à l’Ukraine en passant par les Pays Baltes et la Géorgie, verront ces mêmes peuples assoifés de liberté et de progrès se débarrasser de Vladimir Poutine et de son autoritarisme… avec les mêmes idées — capitalistes et démocratiques — que l’on croit, à tort, occidentales, alors que, en réalité, ce sont là les aspirations les plus universelles, mais aussi les plus fondamentalement naturelles, de tous les peuples du monde qui se recherchent une dignité, Blancs comme Noirs, Jaunes comme Rouges.

Pr Daniel Mengara
Président, Bongo Doit Partir-Modwoam

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