Le Pr Daniel Mengara identifie les 24 péchés mortels – les imbroglios juridiques – de la Charte de la Transition mise en place par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) qui risquent de « tuer » la Transition du Général Brice Clotaire Oligui Nguéma, président de la Transition, Chef de l’État.
IMBROGLIO 1 : L’Article 60 de la Charte de la Transition dit que « la présente Charte entre en vigueur dès son adoption par les Forces vives de la Nation », mais la Charte a paradoxalement commencé à être appliquée sans quitus des fameuses forces vives de la Nation, et en date du 11 octobre, aucune force vive de la nation ne s’était encore réunie pour adopter, et encore moins promulguer, la fameuse Charte.
IMBROGLIO 2 : Le premier communiqué du C.T.R.I du 30 août 2023 dit que la Constitution et toutes les institutions y attenantes sont suspendues, mais, curieusement, les articles 1er, 36, 42, 51, 53, et 61 ravivent la Constitution du 26 mars . . .1991, créant ainsi des contradictions intenables entre les deux documents, l’un étant d’exception et d’autoritarisme militaire, l’autre résultant d’un débat populaire démocratique.
IMBROGLIO 3 : L’article 61 de la Charte de la Transition stipule que, « en cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 26 mars 1991, les dispositions de la présente Charte s’appliquent »; ceci crée une contradiction fondamentalement irréconciliable par laquelle le pouvoir et la volonté du peuple contenus dans la Constitution du 26 mars 1991 doivent se soumettre à la volonté et au pouvoir autoritariste d’un seul homme qu’entérine la Charte de la Transition du 4 septembre 2023.
IMBROGLIO 4 : Il y a dans la Charte de la Transition le fait paradoxal qui veut que l’Article 42 mentionne l’existence d’un Conseil National de la Transition (CNT) composé uniquement des forces de défense et de sécurité. Ce Conseil exercerait ainsi « les prérogatives définies par la présente Charte et la Constitution du 26 mars 1991 ». Sauf qu’aucun de ces deux documents ne définit nulle part les prérogatives d’un tel Conseil National de la Transition, en dehors d’une vague allusion à sa fonction d’assistance du « président de la Transition dans la détermination de la politique de la nation », ce qui pose alors la question de savoir à quoi sert le gouvernement si c’est le CNT qui est, en réalité, chargé de déterminer la politique de la Nation ?
IMBROGLIO 5 : Il n’existe dans la Charte de la Transition aucune indication du rôle du gouvernement. Tandis que l’Article 42 donne au Conseil National de la Transition (CNT) une vague fonction d’assistance du « président de la Transition dans la détermination de la politique de la nation », les articles 43, 44 et 45 portant mise en place du gouvernement ne donnent à ce gouvernement aucune fonction, aucun rôle, aucune prérogative. Ses membres sont tout simplement « nommés par le Président de la Transition » et « placés sous l’autorité du Président de la Transition à qui ils rendent directement compte ». Rien d’autre.
IMBROGLIO 6 : L’article 55 de la Charte de la Transition stipule que « l’accès des femmes aux fonctions électives et nominatives PEUT être favorisé par des mesures particulières prévues par la loi ». L’usage d’un langage aussi paternaliste – ce fameux « PEUT » – envers les femmes est offensif. Au 21e siècle, l’on ne peut plus parler de manière aussi condescendante des femmes, comme si leur intégration dans les arcanes du pouvoir était une faveur et non un droit leur dû au même titre que les hommes. Le verbe « PEUT » ici n’a pas de place. Cet article doit, plutôt, dire quelque chose comme « l’égal accès des femmes aux fonctions électives et nominatives EST GARANTI par la loi ».
IMBROGLIO 7 : L’Article 4 de la Charte de la Transition avait initialement semblé changer la topologie du drapeau gabonais, qui était devenu un « drapeau tricolore, vert, jaune et bleu de bandes verticales et de dimensions égales ». Ceci fut finalement rectifié.
IMBROGLIO 8 : L’Article 36 de la Charte de la Transition stipule que « Les pouvoirs et prérogatives du Président de la Transition sont définis dans la présente Charte et la Constitution du 26 mars 1991 », sauf que les pouvoirs d’exception et, donc, de dictat militaire que confère la Charte au « président de la Transition » et les pouvoirs de président élu par le peuple que confère au « président de la République » la Constitution du 26 mars 1991 sont juridiquement et, donc, radicalement incompatibles tant dans la forme que dans le fond.
IMBROGLIO 9 : Il ne fait probablement pas très bon ménage que le président de la Transition, qui a déjà, au titre de l’Article 61 de la Charte de la Transition, le pouvoir de supplanter et, donc, de s’imposer sur la Constitution du 26 mars 1991 issue de la volonté du peuple, soit aussi, au titre de l’Article 35, à la fois Chef de l’État et puis encore ministre de la Défense et de la Sécurité, avec le bizarre fait paradoxal que le président de la Transition ait le devoir de veiller au respect de la Constitution et de la Charte de la Transition, tout en disposant concomitamment du pouvoir absolu de bafouer lui-même cette même Constitution et cette même Charte.
IMBROGLIO 10 : La majorité des postes nominatifs définis par la Charte de la Transition commande, au titre de l’Article 39, que le président de la Transition et tous les autres membres des organes de la Transition doivent soumettre publiquement, dans un délai d’abord de 48 heures, puis ensuite dans un délai d’un mois au maximum, la déclaration écrite de leurs biens et fortunes au président de la Cour constitutionnelle, avant publication de tout cela au Journal Officiel. Plus de 40 jours après le coup d’État, aucune documentation ni cérémonie n’existe toujours nulle part qui puisse attester d’une remise publique (ou privée) des déclarations écrites de fortunes à qui que ce soit par qui que ce soit…
IMBROGLIO 11 : Les articles 1er, 38, et 44 de la Charte de la Transition font allusion aux impératifs de bonne moralité qui doivent guider les nominations et auxquels doivent se soumettre les membres des institutions de la Transition, mais, à ce jour, il n’existe nulle part aucune trace de l’existence d’enquêtes de moralité qui aient été faites sur qui que ce soit ; il n’y a non plus nulle part aucun signe attestant de la création ou de l’existence à quelque moment que ce soit d’un organe indépendant ayant établi, indépendamment, la moralité des divers nommés au gouvernement, à la Cour constitutionnelle et au parlement AVANT leur nomination.
IMBROGLIO 12 : Au titre des articles 40, 41, 44, 52, et 54 de la Charte de la Transition, le Vice-Président de la Transition, le Secrétaire Général de la présidence de la Transition, les membres du gouvernement, les présidents des deux chambres du parlement et le président de la Cour constitutionnelle ne sont pas éligibles à l’élection présidentielle qui sera organisée à la fin de la Transition, mais, curieusement, il y a un flou aux articles 35, 36, 37, 38 et 39 de la Charte qui semble vouloir dispenser le président de la Transition de cette même obligation, et ce alors même que, au titre de l’Article 35, le président de la Transition est également membre du gouvernement en tant que ministre de la Défense et de la Sécurité.
IMBROGLIO 13 : L’ambiguïté déconcertante notée ci-dessus se retrouve par ailleurs réaffirmée dans les déclarations faites par le président de la Transition lui-même dans une interview accordée à Jeune Afriquedatant du 20 septembre 2023, où il déclare que « l’esprit de la Charte est de s’assurer que toutes les personnalités ayant un rôle prépondérant dans la restauration des institutions et l’écriture de la Constitution ou la révision du code électoral ne soient pas tentées d’écrire en leur faveur les éléments susceptibles de biaiser une fois de plus le processus électoral. Le président de la Transition n’étant pas un des acteurs de la mise en œuvre du nouveau code électoral et de la nouvelle Constitution, il n’est donc pas soumis à cette restriction ».
Sauf qu’il n’existe nulle part dans la Charte quelque article que ce soit qui affirmât ces troublantes paroles du président de la Transition. Une manière de dire qu’il n’y a aucun pays de droit au monde où le président de la Transition pourrait se présenter aux prochaines élections avec dans la Charte la présence d’un article comme l’Article 35, qui fait de lui un membre du gouvernement au même titre que le Premier ministre et les autres ministres.
IMBROGLIO 14 : Autrement dit, le président de la Transition est, sur la base de ce qui précède, DOUBLEMENT impliqué dans la restauration des institutions : Il l’est d’abord en tant que membre du gouvernement à part entière ayant, sur la base de ses propres paroles, « un rôle prépondérant dans la restauration des institutions et l’écriture de la Constitution ou la révision du code électoral », c’est-à-dire un ministre qui, à ce titre, pourrait comme tous les autres être tenté « d’écrire en [sa] faveur les éléments susceptibles de biaiser une fois de plus le processus électoral » ; il l’est ensuite en tant que président de la Transition car, au titre de l’Article 2 de la Charte de la Transition, les missions de la Transition dont il est le président consistent, justement, entre autres, à restaurer les institutions, réécrire la Constitution et réviser le Code électoral ; il s’en suit automatiquement que le président de la Transition, au titre de l’Article 35 de la Charte, est forcément appelé à jouer un rôle prépondérant dans ces réformes en tant qu’autorité suprême chargée de veiller non seulement « au respect de la Constitution et de la Charte de la Transition », mais aussi à l’accomplissement des missions réformistes de la Transition proclamées à l’Article 2.
IMBROGLIO 15 : L’Article 49 stipule que « chaque Chambre du Parlement de la Transition adopte son Règlement Intérieur lors de sa session inaugurale », ce qui suppose que chaque chambre devrait également jouir du droit de créer indépendamment non seulement la structure de son leadership, mais aussi les modalités de l’élection et les conditions d’éligibilité de leurs présidents et vice-présidents. Or, de par le contenu des articles 46, 47 et 48 de la Charte de la Transition, c’est le président de la Transition qui nomme non seulement tous les membres du parlement, mais aussi tout le leadership des deux chambres (présidents et vice-présidents), rendant ainsi caduque le principe même d’un Règlement intérieur par lequel les parlementaires désigneraient eux- mêmes leurs présidents et vice-présidents. Ceci suggèrerait également l’incapacité des parlementaires de remettre indépendamment en cause leur leadership puisque c’est le président de la Transition qui les nomme, ce qui contredit les principes même de la Constitution du 26 mars 1991 sur laquelle s’adosse la Charte de la Transition.
IMBROGLIO 16 : Outre ce qui précède, le fait que l’entièreté du parlement soit, au titre des articles 46, 47 et 48, nommée par le président de la Transition, pose la question de l’indépendance même de ce parlement de nommés qui est supposé jouer le rôle d’organe législatif de la Transition. La question se pose, surtout quand on constate, au titre de l’article 50 de la Charte de la Transition, que le parlement est appelé à simplement « subir » la feuille de route de la Transition dictée par le président de la Transition.
IMBROGLIO 17 : Le principe de l’existence même d’un Parlement tel que stipulé au Chapitre IV de la Charte de la Transition est troublant. Un parlement dont les membres sont tous nommés par le président de la Transition dans le cadre d’un régime d’exception transitionnel semble quelque peu antinomique de l’idée d’un Parlement libre et indépendant qui se devrait d’être, a priori, une émanation directe de la volonté démocratique du Peuple. Aucun parlement ne devrait, en principe, être nommé dans son entièreté par un président, qu’il soit de Transition ou de la République, surtout quand on considère la contradiction créée par les articles 1er, 36, 42, 51, 53, et 61 de la Charte de la Transition, qui ravivent la Constitution du 26 mars 1991 pour en faire le fondement juridique d’un régime d’exception qui, par définition, est autoritaire et, donc, juridiquement illégitime.
IMBROGLIO 18 : Alors qu’aucun article ne leur en donne l’autorité, les présidents et vice-présidents des deux chambres du parlement de la Transition se sont réunis nuitamment vendredi 6 octobre pour (1) changer le nombre des députés et sénateurs attendus au parlement de Transition de 70 à 98 pour l’Assemblée nationale de Transition et de 50 à 70 pour le Sénat de Transition et (2) créer un Conseil économique social et environnemental de Transition (CESET), en violation flagrante de l’Article 58 de la Charte de la Transition, qui ne donne le droit de révision de la Charte qu’au tiers (1/3) des membres du parlement de la Transition qui doivent, par la suite, lorsque réunis dans leur entièreté, adopter la proposition à la majorité des 4/5ème. Or, au moment de la supposée adoption de ces révisions le 6 octobre 2023, en dehors des présidents et vice-présidents, aucun des autres 120 membres initiaux du parlement n’avait encore été nommé.
IMBROGLIO 21 : Ce qui précède est d’autant plus surprenant que l’Article 62 de la Charte de la Transition, pourtant, donne le pouvoir au Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) de prendre « les mesures nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics, à la vie de la Nation, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés » en ATTENDANT « la mise en place des organes de la Transition ». Le président de la Transition n’était donc pas obligé de participer à cette mascarade par laquelle l’on a fait prématurément, mais aussi illégalement, voter au leadership du parlement une modification de la Charte de la Transition alors même que le Parlement n’existait pas encore légalement, faute de membres à même de représenter le tiers, puis la majorité des 4/5ème nécessaire pour l’adoption d’amendements portant modification de la Charte de la Transition.
IMBROGLIO 22 : Le Préambule de la Charte de la Transition affirme une association des forces vives de la nation avec le CTRI qui n’est ni chronologiquement ni historiquement avérée nulle part. Ce Préambule fait, par exemple, référence à des « conclusions des concertations nationales inclusives, tenues à Libreville au Palais Rénovation, avec les représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des confessions religieuses, des coordinations régionales, des organisations de femmes et de jeunes, des gabonais de l’étranger, des centrales et fédérations syndicales, du secteur informel, des organisations patronales, des organisations et ordres socioprofessionnels, des chambres consulaires, des organismes de presse et de toutes les autres forces vives de la Nation ». Sauf que ces fameuses consultations n’ont jamais eu lieu et, certainement, n’ont pas eu lieu avant la promulgation de la Charte de la Transition le 4 septembre 2023. Il n’y a pas non plus ni propositions ni « positions et recommandations des différentes composantes des forces vives de la Nation » dont le CTRI aurait pu « prendre acte » avant la promulgation de la Charte et sa publication au Journal Officiel le 4 septembre 2023.
IMBROGLIO 23 : La durée de la Transition, qui n’est nulle part précisée dans la Charte de la Transition, reste vague et malgré les affirmations tant du Premier ministre que du président de la Transition qu’il appartiendra aux forces vives de la Nation de fixer la durée de la Transition, cette modalité n’est juridiquement affirmée nulle part dans la Charte de la Transition.
IMBROGLIO 24 : Tous ces imbroglios, incohérences et contradictions sont si profonds, systématiques et systémiques que l’on a, à ce jour, enregistré tellement de violations de la Charte de la Transition par les autorités de la Transition elle-même que cette Charte est devenue, depuis sa promulgation, un véritable chiffon que plus personne ne respecte. Le CTRI semble fonctionner, finalement, comme s’il n’y avait jamais eu de Charte, ce qui explique le tollé de déceptions et de confusions qui semblent aujourd’hui refroidir les Gabonais qui, pourtant, avaient massivement cru au CTRI non seulement comme une force d’alternance et de rupture, mais aussi comme une structure capable d’instaurer l’État de droit et, donc, la culture du respect des textes là où, pendant 56 ans, les Bongo en ont bafoué tant l’esprit que les injonctions.
CONCLUSION :
Tous ces imbroglios ont pour cause, essentiellement, ce qui semble être la tendance des autorités de la Transition de s’éparpiller dans une stratégie visant à se construire un régime, plutôt que de s’en tenir aux objectifs de réforme de la Transition. Le CTRI donne ainsi l’impression de gouverner à vue, sans vision et de manière chaotique et désordonnée, car voulant contenter tout le monde et voulant tout faire en même temps pour tout le monde au lieu de se concentrer sur son objectif premier, qui est les réformes.
Les manières de nommer du CTRI, par exemple, ne sont guère, à ce titre, différentes des méthodes bongoïstes déjà avérées pendant 42 ans sous Omar Bongo et pendant 14 ans sous Ali Bongo. Les nominations, sous le système Bongo, ne furent jamais faites pour des raisons d’efficacité gouvernementale ; elles furent souvent faites, plutôt, pour des raisons clientélistes dont l’ultime visée fut la corruption des élites et leur cooptation dans les circuits de préservation et de consolidation du pouvoir.
Les méthodes du CTRI ressemblent ainsi comme deux gouttes d’eau à celles des Bongo : Elles semblent aller plus dans le sens de la construction et de la consolidation d’un régime politique plutôt que dans le sens de faire de la Transition l’instrument de la Réforme, conformément à l’Article 2 de la Charte de la Transition qui affirme pourtant que « Les missions de la Transition consacrées par la présente Charte sont notamment : 1) La refondation de l’État afin de bâtir des Institutions fortes, crédibles et légitimes garantissant un État de droit, un processus démocratique transparent et inclusif, apaisé et durable, seules garanties pour un développement véritable du Gabon ; 2) La préservation de l’intégrité du territoire national et de la sécurité des personnes et de leurs biens ; 3) L’engagement de réformes majeures sur les plans politique, économique, culturel, administratif et électoral ; 4) Le renforcement de l’indépendance de la Justice et la lutte contre l’impunité ; 5) La promotion et la protection des Droits de l’Homme et des libertés publiques ; 6) L’instauration d’une culture de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable ; 7) L’élaboration d’une nouvelle Constitution et son adoption par référendum ; et 8) L’organisation des élections locales et nationales libres, démocratiques et transparentes.
Est-il encore possible pour le CTRI de redresser le tir ? Certes. Mais cela va demander une volonté de fer de la part du président de la Transition pour se désempêtrer de ce qui semble déjà être un véritable bourbier politique, en seulement 40 jours d’exercice du pouvoir. La seule manière d’y arriver est de commencer à se conformer à l’esprit des lois plutôt qu’à l’esprit des hommes.
Pr Daniel Mengara
Président, Bongo Doit Partir
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