Le Messager (Douala)
SHANDA TONME
On a longtemps spéculé sur les fondements juridiques et morales des mutations sociales et politiques violentes, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’Afrique, pour essayer d’apporter une réponse à l’instabilité des pouvoirs sur le continent. En réalité, même les plus habiles des optimistes, qui recourent à la loi des processus de croissance imparfaits pour tenter une explication, ne sont plus crédibles. L’irrationalité semble donc être le trait premier des événements.
Notre démarche refuse de s’enfermer dans une quelconque logique, et proscrit d’avance, tout cantonnement dans une lecture des faits qui tend à ignorer les revers dialectiques de ce qui se fait chez nous et de ce qui se fait ailleurs.
Que l’on nous comprenne donc ! il n’y a en notre sens, aucune différence ni aucune rupture de conséquences, entre l’impossible transition dans une entreprise publique comme la Cameroon Radio and Television ( Crtv), et l’impossible transition au sommet du pouvoir d’Etat au Burkina Faso ou au Gabon. Partout, le processus d’expression du corps managérial, relève d’une même logique, celle qui implique la confiscation du pouvoir par un clan, qu’il soit ethnique, ésotérique, ou familial, et induit une absence complète de transparence dans les comptes, les règles, et les promotions.
Lorsque nous traitions il n’y a pas si longtemps dans ces mêmes colonnes, des démocraties de brousse, nous tracions déjà, les lignes de fractures incontournables qui au bout de l’analyse, produisent une division du monde puis l’explosion à terme.
Nous devons à la vérité, faire d’abord l’auto-critique de l’intellectuel, du citoyen, de l’Africain, et sans doute du Camerounais tout court. Nous qui avions ressenti avec tant de peine ces adjectifs de sauvage, et avions cru de notre devoir de protester avec véhémence, avons maintenant, l’obligation morale de reconnaître, que nous méritions, sans doute, ces quelques injures des illuminés coloniaux. Il ne s’agit point de trouver des bases morales à cette colonisation, il s’agit de nous reconnaître d’abord attardés, avant d’engager la seule lutte qui compte : la lutte de la dignité. Cette lutte, nous l’avions aussi abondamment souligné, ne va pas chercher à New York ou à Paris, elle se déroule ici chez nous, sur de petites choses, et dans le champs clos que représente notre quotidien réel.
Nous parlions tantôt de la Crtv. Il ne faudrait pas que les quelques brillances, et il en existe, qui y ont établi leurs quartiers professionnels, se sentent, frustrés, à nous entendre réduire la logique qui fonde la gestion et la projection de leur maison dans la cité camerounaise, à des règles sauvages. En somme, celui qui nous en voudrait, perdrait tout le fil de notre lutte âpre pour un Cameroun meilleur, une société plus juste, et une répartition des richesses plus équitable et transparente.
Voici en effet arrivé monsieur Vamoulké, cavalier porteur des aspirations évidents de changement, qui rêve, comme Gorbatchev mais sans son pouvoir ou sans tout le pouvoir, d’un monde meilleur. En l’espace de quelques mois, intellectuels, professionnels de la communication et simples citoyens, croient au miracle d’une révolution sans coup de feu, dans la galaxie de l’appareil d’Etat. Hélas, au bout du compte, l’opération qui en appelait au mérite et à la compétence, dans une recherche effrénée d’indépendance vis-à-vis de l’idéologie du parti unique, est contrariée, bloquée, et tuée par la pratique sauvage du régime.
Mais qui a pensé le changement d’un démembrement d’une institution, sans le changement des fondements et des principes moteurs de la dite institution ? Dans le cas de l’appareil de radio et de télévision du Cameroun, c’est tout le corps existentiel, de la tête aux pieds, du régime, qui vibre dans une machine de propagande. Cette machine ne fonctionne-t-elle pas à abrutir les citoyens, et à leur enseigner que la famille présidentielle descend de la même lignée sanguine que Jésus Christ ? Comment aurait-on pu, si facilement et si insolemment, congédier ceux qui en sont les instruments d’avant-garde et les clairons ? Tous ou presque, sont restés en poste, avec juste quelques variations. Les exclus de toujours demeurent exclus, et les privilégiés de toujours demeurent privilégiés. Le cavalier du changement n’aura eu que la concession, toute petite, mais acceptable selon les règles sauvages du régime, de faire appel à quelques cousins ethniques, pour des postes où l’on doit lui rendre souvent compte, les ressources humaines et l’administration générale. Vive donc l’Extrême Nord, mais petitement, et surtout sans toucher à l’hégémonie, la dictature du Centre-Sud.
Ce qui nous préoccupe, d’ici, et de là-bas, c’est la difficulté qu’il y a finalement, à admettre, que nous avons une logique. Personne ne s’offusquerait plus vraiment ici, en apprenant que le modèle de crispation et de confiscation du pouvoir, que l’on observe, à la tête d’une entreprise ou à la tête d’un Etat, est typique des sauvages. Le discours sur la démocratie et la transparence, ne sert que le temps d’une kermesse aux enjeux bien limités, sinon stériles.
Nous voulons surtout que l’on sache, qu’il n’est point de démocratie et de transparence, qui soit une pure disposition littéraire ou juridique. Tout est question de culture, et nul ne prétendrait plus, sous peine de ridicule, que la colonisation nous a enlevé, jusqu’à la capacité de maturité institutionnelle.
Il faut, dans ces conditions, reconnaître, c’est devenu impératif, que notre sort, n’a plus rien de commun, avec celui d’un peuple allemand par exemple, où l’on voit le chancelier quitter ses fonctions avec tous les honneurs. La gloire des peuples sauvages réside dans confrontation des extrêmes, et jusqu’à la mort des faibles. Nous n’inventons rien, car l’histoire enseigne que toutes les sociétés aujourd’hui dites développées, sont passées par cette guerre entre les sauvages qui gouvernaient alors leurs destins. Les monarques européens de la féodalité furent des cruels, et tous ceux qui ont fait un peu d’histoire, savent ce que représentait l’absolutisme royal. Beaucoup furent mis à mort. Qu’en pensent les nôtres ?
En revenant à la démonstration de base, avec quels instruments scientifiques, aurions-nous des chances de comprendre les Bongo, Compaoré, et autres ? L’Occident a fait le pari de nous laisser dans ce qu’elle considère, comme des moeurs de sauvages. Imaginez que le coup d’Etat se produit dans quelques mois au Burkina Faso et que Compaoré en meurt ! On commentera dans les chancelleries occidentales et dans leurs médias, que c’était prévisible. En attendant, et pour l’heure, on présente ce sanguinaire des temps modernes, comme le victorieux d’une extraordinaire élection présidentielle démocratique. On dira de même de Bongo dans quelques jours.
Dans le jeu d’extrapolation malicieux de ce qui se vit et se fait en Afrique, l’on admet que la situation échappe à toute logique propre, démocratique, raisonnable, mais, l’on s’abandonne aussitôt, à des formes d’égoïsme qui tendent à décréter, que les peuples qui n’ont pas su ou pu se libérer par eux-mêmes, n’ont qu’à rester où ils sont et comme ils sont.
La conclusion s’impose simplement, c’est-à-dire que personne ne change les sauvages, sinon les sauvages, et par l’unique truchement de leurs violences. Ce n’est pas une conclusion qui procède du défaitisme, bien au contraire, elle procède de la lucidité et du réalisme. Dans le cas d’une entreprise publique à l’instar de la radio et de la télévision camerounaise, comment s’attendait-on, raisonnablement, à voir des changements importants, simplement parce que l’on a nommé un nouveau directeur général ? Le régime étant dominé par une ethnie qui en deux décennies et demi, a transformé la seule école de journalisme digne de nom du pays, en centre de formation des cadres propagandistes chargés de promouvoir le pouvoir du village et le régime du village, il n’y a rien à attendre avant un changement des institutions et un changement de pouvoir.
Or lorsque l’on analyse le mode opératoire des régimes, on s’aperçoit, que le fait pour Bongo, pour Compaoré ou pour tout autre potentat, de rassembler les moyens de l’Etat, les ressources de l’Etat, pour conduire sa campagne, ne gêne plus les partenaires étrangers. On en vient à masquer, que ces prétendus président-candidats, ne sont autre chose, que des truands sans honneurs, sans loi ni foi, qui altèrent les constitutions au gré de leurs hallucinations totalitaires. A écouter les journalistes étrangers, Compaoré aurait gagné par un raz de marrée. Mais où en Occident accepterait-on ce genre d’individu, et comment qualifiait-on ce genre d’individu dans leur riche histoire ?
On ne change donc pas et on ne peut pas changer les sauvages. Notre peur, relative bien sûr, c’est que le seul processus libérateur en face de sauvages, soit celui qui les anéantit, leur enlève la vie. Parce que cette logique est inscrite dans l’histoire contemporaine de l’Afrique lettres de sang, nous en sommes encore à nous demander, s’il est toujours bien de la convoquer. Le petit sergent Doe procéda à une véritable boucherie lors du renversement du président Willian Tolbert au Libéria, mais il connut lui aussi, un sort des plus cruels. Chacun voulait se venger à sa manière, entre sauvages.
Et le Burkina d’apparence si calme, n’est pas loin des turbulences, tant les souvenirs de la mort de Sankara, font planer des exigences de vengeance dans la population. On en dira de même du Cameroun où le fantôme de l’ancien président, ajouté aux tueriez consécutives au coup d’Etat manqué de 1984, crée une sorte de doute permanent sur l’équilibre psychologique de plus d’un acteur politique.
C’est cela, tout le contexte, qui renvoie à une société de sauvages, où les tenants du pouvoir pèchent par le trop grand manque d’humilité, d’honnêteté, et de retenue, ouvrant la voie, à des violences induites et sauvages, en guise de réponse à leurs propres pratiques sauvages.