Si les Organisations non gouvernementales (ONG) gabonaises étaient des partis politiques, elles iraient aux urnes avec l’assurance de bousculer le puissant Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) lors des élections municipales et locales d’avril prochain. Leur forte mobilisation durant le montage du dossier d’exploitation du gisement de fer de Belinga (Nord-Est) a poussé le gouvernement à revoir à la hausse sa participation dans la Compagnie minière de Belinga (Comibel) et à corriger des erreurs susceptibles d’entraver ce que le président Omar Bongo Ondimba (OBO) qualifiait lui-même de « projet du siècle ».
Les organisations écologistes disposent même de représentants au sein de la Comibel : en novembre 2007, elles ont obtenu que deux personnalités de la région soient nommées aux postes de président du conseil d’administration et de directeur général adjoint. Malgré l’exaspération des politiques, Publish What You Pay (« Publiez ce que vous payez », PWYP) et la Coalition contre la vie chère au Gabon ont demandé, quant à elles, que la justice se saisisse du dossier pour sanctionner les responsables gabonais qui ont « bradé » le fer de Belinga aux Chinois.
Au Gabon, désormais, les ONG font entendre leur voix et se mêlent de tout. PWYP a adressé une lettre ouverte au chef de l’État pour protester contre la nomination de Jeanne Ngoleine Ossouka au poste d’ambassadeur extraordinaire auprès de l’ONU à Genève, alors qu’elle est poursuivie par la justice pour des malversations présumées au sein du Fonds d’expansion et de développement des petites et moyennes entreprises (Fodex), dont elle était l’administratrice. Face à la bronca, le Palais du bord de mer a dû nommer Guy Blaise Nambo-Wezet à sa place. Une victoire pour ces organisations, qui apparaissent de plus en plus dans le débat politique comme des contradicteurs crédibles du gouvernement. Leurs représentants les plus en vue, tels que Marc Ona Essangui de Brainforest ou Théophile Jimmy Mapango du Mouvement pour le développement de l’Ogooué-Ivindo (Modoi), jouissent d’une popularité qui fait d’eux des trublions redoutés du pouvoir, en lieu et place d’une opposition inaudible.
Le ministre de l’Intérieur André Mba Obame, qui a observé non sans inquiétude la montée en puissance de ces « agitateurs » sur le terrain politique, a tenté d’endiguer la menace. En tant que ministre de tutelle des associations, il a suspendu « à titre provisoire » ces ONG, « jusqu’à ce qu’elles aient clairement défini, avec les services compétents de [son] ministère, leurs missions réelles de structure associative ». Mais sous la pression de la société civile et de la communauté internationale, la mesure a fait long feu. « Nous sommes conscients de déborder quelquefois le cadre légal du champ de nos attributions, reconnaît Théophile Jimmy Mapango, militant écologiste passé par SOS Racisme en France. Mais seul l’intérêt de notre pays compte. » Et il n’a visiblement pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Son mouvement, le Modoi, est en train de concocter un plan de développement de l’Ogooué-Ivindo pour tirer un maximum de bénéfices de l’exploitation du gisement de fer. Preuve, selon lui, que les responsables des ONG « ne font pas que critiquer ».
Certains d’entre eux s’apprêtent d’ailleurs à profiter de leur popularité pour entrer de plain-pied dans la politique. Fidèle Waura, lui aussi du Modoi, ingénieur économiste et ancien de Elf Gabon, envisage de se présenter dans le 1er arrondissement de Libreville lors des municipales d’avril, sous les couleurs de l’Union du peuple gabonais (UPG), parti d’opposition de Pierre Mamboundou.
L’opposition, justement, d’aucuns se demandent où elle a bien pu passer. « Elle n’existe plus en tant que groupe suffisamment organisé pour avoir une prise réelle sur la société », analyse un politologue de l’université Omar-Bongo de Libreville. De fait, certains électeurs n’ont que très peu apprécié la participation des opposants aux différents gouvernements au nom de la fameuse politique du consensus à la gabonaise. Ce qui explique en partie leur perte d’influence. Aujourd’hui, Paul Mba Abessole, adversaire historique d’OBO, n’a plus rien du leader charismatique qui animait la Conférence nationale souveraine. Ayant fait le constat de l’incapacité de ses confrères à constituer une véritable plate-forme de revendications, dotée d’un fondement idéologique qui ne se réduise pas qu’au slogan « Bongo doit partir », il s’est rallié au PDG avant d’entrer au gouvernement, en 2002. Depuis, l’ancien maire de Libreville, devenu vice-Premier ministre chargé de la Culture, des Arts, de l’Éducation populaire, de la Refondation et des Droits de l’homme, s’est racheté une conduite et ne fait plus de vagues.
Quant à Pierre Mamboundou, arrivé deuxième lors de la dernière élection présidentielle, en novembre 2005, il est de moins en moins visible au sein de cette tribu. Elle semble bien loin l’époque où le leader de l’UPG jurait de ne serrer la main au président de la République que le jour de la « passation de service ». Grand pourfendeur des gouvernements de consensus par le passé, cet ingénieur des télécommunications de 62 ans a négocié, en décembre 2007, son entrée au sein de l’équipe remaniée du Premier ministre Jean Eyeghe Ndong. En vain. « Nous ne sommes pas parvenus à nous entendre sur les moyens que l’État était prêt à mettre à notre disposition pour réaliser les objectifs fixés par notre programme », explique un proche de l’opposant. De plus, les maroquins qu’on lui proposait [Télécommunications, Enseignement supérieur] étaient trop exposés. »
Rapprochement avec le palais
Inenvisageables il y a encore quelques années, les bonnes relations entre OBO et Mamboundou en ont désarçonné plus d’un. Alors que tout le pays spécule sur la fin prochaine du règne du doyen des chefs d’État africains (plus de quarante ans au pouvoir), certains soupçonnent le chef de file de l’UPG d’opérer un rapprochement tactique avec le Palais du bord de mer dans l’espoir que le président lui laisse un jour les rênes du pays. Crédité de 13,57 % des voix lors de la présidentielle (79,22 % pour OBO), « l’homme de Ndendé » (Sud-Ouest) s’était autoproclamé vainqueur avant d’appeler le peuple à descendre dans la rue pour obtenir le respect des urnes. Le bras de fer avait pris fin le 21 mars 2006, lorsque les forces de police ont donné l’assaut du siège de l’UPG. L’opposant s’était alors réfugié à l’ambassade d’Afrique du Sud. Avant d’en ressortir le 19 avril – KO debout – pour rencontrer le chef de l’État. « On nous le reproche, mais nous n’avions pas le choix, tente de justifier son état-major. Il fallait y aller ou c’était l’exil et la mort de l’UPG. »
Depuis, les deux hommes se parlent au téléphone et se rencontrent « tous les deux mois », selon les proches de Mamboundou. Cette nouvelle idylle alimente toutefois bien des conversations. À Libreville, des mauvaises langues n’hésitent pas à dire qu’OBO aurait proposé à son ancien rival une villa afin de compenser la mise à sac du siège de l’UPG. Quoi qu’il en soit, en août 2006, Mamboundou a présenté au chef de l’État – qui l’a approuvé – un projet global de développement de la ville de Ndendé et a obtenu une promesse de financement à hauteur de 11 320 milliards de F CFA (17 millions d’euros). Mais selon l’UPG, le ministère de l’Économie et des Finances n’a débloqué jusqu’ici que 1,9 milliard de F CFA, sur l’avance de 3 milliards prévue par le budget 2007.
Fidèles… infidèles
Entre les changements de cap et les promesses non tenues, c’est le désenchantement du côté des militants, dont on ne connaît d’ailleurs pas le nombre exact. « Les archives du parti ont été emportées par la police lors de l’attaque du 21 mars 2006. Par conséquent, nous ne savons plus combien de personnes nous comptons dans nos rangs », soupire un cadre de l’UPG. Cela n’empêchera pas le parti de présenter, lors des municipales d’avril, des listes dans 80 % des communes du pays. Les urnes diront alors si le rapprochement avec le Palais a éloigné l’UPG de sa base…
Paradoxalement, alors que les opposants changent de bord, certains barons du régime prennent le chemin inverse. Et endossent, avec plus ou moins de crédibilité, le rôle d’adversaire politique. Fidèle d’entre les fidèles, Me Louis Gaston Mayila a décidé de quitter le PDG en juillet dernier et, partant, son poste de vice-Premier ministre chargé des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, pour créer son parti, l’Union pour la nouvelle république (UPNR). « Je reste dans la majorité présidentielle pour assumer ce que nous avons fait de bien et de mal », s’est toutefois empressé de préciser cet ancien directeur de cabinet du président de la République. Vachard, Pierre Mamboundou croit plutôt savoir que Mayila briguerait, en avril prochain, le fauteuil de maire de Fougamou (dans la province de la Ngounié) ainsi que « le poste de président du Sénat ». Entendez le poste de successeur constitutionnel du président de la République.
Mayila n’est pas le premier à tenter ce genre de manœuvre. L’ancien ministre Zacharie Myboto s’est fait le spécialiste des retournements de veste au sein de la galaxie Bongo Ondimba. En janvier 2001, il démissionne du gouvernement qu’il avait rejoint en 1978. Mais ne quitte le PDG qu’en 2005, année de la présidentielle, à laquelle il se présente. Il obtient 6,58 % des suffrages, se positionnant au troisième rang derrière OBO et Pierre Mamboundou. Ce Nzebi de la région uranifère de Mounana (Sud-Est) reste cependant étroitement lié au pouvoir pour en avoir été longtemps l’un des caciques. Lors des tractations qui ont précédé la formation du gouvernement en décembre dernier, son parti, l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), s’est vu offrir deux postes. Mais ils ne se sont pas accordés sur le choix des personnes à nommer. L’entrée au gouvernement de l’UGDD pourrait être remise à plus tard. À l’issue des municipales, par exemple…
« En réalité, c’est Omar Bongo Ondimba qui est, de fait, le chef de l’opposition gabonaise, persifle un homme politique. La force du président tient en partie des faiblesses de ses opposants », conclut-il. La « démocratie conviviale » qui a phagocyté les adversaires du chef de l’État parviendra-t-elle cependant à endiguer l’essor des ONG ?
Georges Dougueli, envoyé spécial
Source : Jeune Afrique l’Intelligent – N° 2460* – Du 2 Mars au 8 Mars 2008
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