En Afrique, c’est toujours une triste réalité que de piper mot sur la fortune ou la maladie d’un « naaba » (1) moderne, pour ne pas dire d’un président de la République, car cela relève d’un crime de lèse-majesté ; pis, quand il s’agit en plus d’un doyen.
La diffusion, le 3 mars 2008, d’un reportage sur la chaîne de télévision publique France 2 et dans le quotidien Le Monde sur le luxueux patrimoine immobilier du président gabonais, Omar Ondimba Bongo, dans l’Hexagone, est venu compliquer davantage les relations, déjà crispées, entre le Gabon et la France par suite de l’expulsion d’étudiants gabonais de la France.
En rappel, le pays d’Ondimba avait lui également refoulé un Français, qui serait en situation irrégulière. Depuis la médiatisation française des biens de Bongo, constitués, selon les procès-verbaux d’enquête de la police française, de 33 résidences dont un hôtel particulier acheté en 2007 pour 18,8 millions d’euros à Paris, la fièvre est montée dans le pays du doyen des présidents africains, fervent défenseur de la Françafrique. En effet, l’Assemblée et le Sénat ont vite fait de dénoncer le mardi 6 mars dernier « une campagne de dénigrement » à l’endroit du dirigeant de leur pays.
Le Parlement, dans une résolution adoptée, dit-on, à l’unanimité, a qualifié « d’irrévérencieuse et de diffamatoire, cette campagne de dénigrement, qui vise à ternir l’image du chef de l’Etat et à déstabiliser les institutions de la République ». Le ministère gabonais des Affaires étrangères s’en est mêlé en affirmant réfléchir « à la suite à donner aux relations franco-gabonaises » tandis que le CNC (Conseil national de la communication), organe de régulation des médias au Gabon, n’a pas hésité à ouvrir le feu sur le bimensuel privé Tendance Gabon, en le suspendant pour 3 mois, pour avoir reproduit l’article sur le patrimoine immobilier du président Bongo.
Pauvre canard ! Que peut-il faire si Sarkozy et son équipe sont décidés à revoir et à assainir leurs relations avec l’Afrique ? Déjà, la première brouille entre les deux pays s’était fait jour quand le secrétaire d’Etat à la coopération et à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, a déclaré en mi-janvier au Monde : « La Françafrique est moribonde.
Je veux signer son acte de décès », tout en insistant pour dire que la France doit conditionner ses aides à la bonne gouvernance. Libreville, qui s’est sentie morveuse, n’avait pas manqué de se moucher bruyamment à travers un communiqué, dans lequel le gouvernement « s’étonne de cette attitude d’autant plus inacceptable quand on sait les avantages que tirent la France et les autres Etats occidentaux de leurs rapports économiques avec notre pays, depuis toujours, avantages mutuels par ailleurs ».
Avec les récentes empoignades politico-médiatiques entre Français et Gabonais, Paris vient d’envoyer un message clair aux dirigeants africains qui, depuis des décennies de règne, ont des résidences et des comptes dorés mal acquis dans l’Hexagone, s’ils n’ont pas aussi de multiples sociétés sous le couvert d’amis ou de frères au sein de leur propre pays. C’est tout un symbole que de commencer par administrer la gifle au doyen Bongo, même si Sarkozy a oublié au passage que le droit d’aînesse compte beaucoup pour les Africains. Enfin, si ça peut faire bouger les choses dans les pays où les populations crient « viima ya kanga » (2)… !