La réaction du pouvoir gabonais suite au reportage de France2 sur les biens immobiliers de Omar Bongo Ondimba est suspecte et disproportionnée. En principe, un simple reportage sur la fortune d’un chef d’Etat ne devrait pas susciter une tellle levée de boucliers si tant est qu’elle ait été honnêtement acquise.
La réussite doit aussi se montrer, pour servir d’exemple et de modèle pour ceux qui croient ne jamais pouvoir s’en à sortir dans la vie. Aux Etats-Unis, artistes, hommes d’affaires, intellectuels et sportifs n’hésitent pas à ouvrir les portes de leurs luxueuses villas aux caméras de télévision, fiers qu’ils sont d’exalter l’american way of life et l’histoire de leur vie.
Le président gabonais n’est pas une star de la scène ou de basketball américaine pour exhiber ses richesses, on le concède. Et généralement, la richesse en Afrique relève plutôt de l’ordre du secret, du tabou. Jusque récemmment, la société elle-même ne semblait pas tolérer qu’un riche vive sa réussite de façon ostentatoire. Mais le président gabonais commet un impair en dramatisant un reportage qui fait le tour de ses propriétés françaises. Il a donné une ampleur à un document de télévision en en faisant une affaire d’Etat. Pourquoi le pouvoir gabonais est-il autant irrité par le document de France2 qui est en fait un secret de Polichinelle? Des associations comme Survie et le journal Le Monde ont déjà évoqué la question sans que Libreville ne réagisse aussi violemment.
Sans doute Bongo veut-il envoyer un message aux chantres de la rupture française, en leur disant de savoir contôler leurs médias. Mais il semble ignorer que la liberté de la presse en France n’est pas un vain mot et qu’un dirigeant ne peut pas dicter la conduite à tenir à des journalistes jaloux de leur indépendance.
Au Gabon, on peut emprisonner des journalistes ou censurer des organes de presse trop curieux, sans risque de provoquer un séisme politique. Rien de tel en France où les médias ont une grande liberté d’expression. Si donc Bongo n’a rien à se reprocher, il devrait avoir une autre approche plus pédagogique, en s’employant à justifier ses biens. Or, sans jamais démentir la justesse de l’information, le camp présidentiel s’est au contraire lancé dans des amalgames dont le but est de semer la confusion et de distraire sur la réalité des faits. Oui ou non le président Bongo dispose-t-il de résidences en France? Si oui (comme tout porte à le croire), comment les a-t-il acquises’ Voilà les premières réponses qu’un dirigeant soucieux de la gestion transparente des deniers publics devrait donner à son opinion et à celle internationale.
Il n’est pas interdit à un Africain d’investir dans l’immobilier en France ou ailleurs si ses moyens le lui permettent. Même les Etats peuvent le faire, puisqu’une résidence officielle peut toujours servir à héberger des personnalités de passage et amoindrir ainsi certains frais d’hôtel. Si la presse s’intéresse aux biens de Bongo et pas à ceux d’autres personnalités ou dirigeants, ce n’est pas forcément par volonté de nuire. Et la classe dirigeante gabonaise doit le comprendre ainsi. Un journaliste français passerait à côté de son sujet si, par ces temps dits de vie chère en Afrique, il ne s’intéressait pas au rythme de vie de certains ressortissants du continent en France. Or le constat est que la misère des populations n’empêche pas les gouvernants de se construire des châteaux et de mener un train de vie digne des mille et une nuits, en Europe.
Les médias français, à la suite de certaines organisations sociales comme Survie, ne peuvent pas fermer les yeux sur ces dérives, d’autant qu’elles se passent chez eux et que, de surcroît, l’argent du contribuable français est en jeu. Les sommes englouties par les « pied-à-terre » des hommes politiques africains peuvent en effet provenir en partie de l’aide au développement. Comme si on prenait l’argent du contribuable français pour venir le narguer chez lui. C’est inacceptable.
Mais paradoxalement, ces pratiques délictueuses sont encouragées par le silence des dirigeants occidentaux qui laissent faire. Depuis qu’on parle des fortunes de dirigeants africains bien gardées au chaud dans les coffres-forts, depuis qu’on montre leurs villas cossues, très peu de réactions sont venues des capitales européennes. Comme un pacte qu’ils ont scellé, dirigeants occidentaux et africains évitent d’évoquer ces dossiers visiblement embarrassants. Il suffit de voir la vive réaction du Gabon pour comprendre qu’en la matière, tout n’est pas bon à dire.
Mais l’opinion française est en avance sur sa classe politique et c’est tant mieux. Il faut cependant remarquer que les Africains eux-mêmes, pourtant concernés au premier chef, sont, comme d’habitude, à la remorque du mouvement pour une transparence des investissements immobiliers des chefs d’Etat africains. C’est pourtant une exigence démocratique qu’ils sachent ce qui se passe, car il est aberrant qu’un président d’un pays pauvre soit plus fortuné que celui d’un pays riche.