« L’un des premiers freins au développement, c’est la mauvaise gouvernance, le gaspillage des fonds publics, l’incurie de structures administratives défaillantes, la prédation de certains dirigeants, la Françafrique est moribonde. Je veux signer son acte de décès ». Paroles martelées le 15 janvier 2008 par Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’Etat à la Coopération de France. Et ce n’était pas tout : plusieurs semaines après, 2 étudiants gabonais étaient expulsés, et, surtout, France 2, l’une des chaînes publiques, diffusait une élément sur les biens immobiliers d’Omar Bongo Ondimba, un documentaire repris du reste par TV5.
De même, Denis Sassou N’Guesso ne sera pas épargné, puisque lui aussi aura droit à la médiatisation de son patrimoine immobilier en Hexagone. Ce furent le discours et l’acte de trop de l’occupant du 20, rue Monsieur, qui perdit son portefeuille à la faveur du léger remaniement survenu aux lendemains des municipales et des cantonales.
Dans l’immédiat, on a minimisé l’événement, en arguant qu’il n’y a pas de cause à effet entre la position de Bockel sur la Françafrique et ce décagnotage. L’infortuné transfuge du PS lâchera même : « Je me sens bien chez les anciens combattants », puisqu’il seconde désormais Hervé Morin, ministre de la Défense.
N’empêche avec le recul et les langues qui se sont déliées par la suite, il est pratiquement établi que ce sont les Bongo et Cie qui ont demandé et obtenu la tête du « traître » du PS. Non seulement « cette rétrogradation », Bockel l’a apprise par surprise au téléphone, de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, son patron d’alors, mais aussi, il était « furax » qu’on l’amène chez les anciens combattants.
Exit donc ce pourfendeur des tenants du pouvoir dans le « pré carré français », qui a « cogné sa tête à plus fort que lui », car même son patron de président, Nicolas Sarkozy, hésite beaucoup à « manquer de respect à un Bongo ».
Bockel « puni », il fallait bien recoller les morceaux, d’où cette tournée, sa première depuis sa prise de fonction, d’Alain Joyandet, son remplaçant. Ainsi, le nouveau secrétaire d’Etat à la Coopération se rendra au Gabon, au Sénégal et au Togo pour « construire des relations bilatérales dans la discrétion », selon ses propres termes.
Hier jeudi 10 avril 2008 donc, c’est un Joyandet très à l’aise qui a été reçu au palais du bord de mer par Omar Bongo Ondimba. Rideau sur toutes les incompréhensions de ces derniers mois. Voici venus encore des jours prometteurs pour les relations franco-gabonaises.
En effet, depuis près de quatre décennies, Papa Bongo a toujours eu des rapports assez corrects avec la France, marqués quelquefois par des couacs, mais toujours préservés de certains desiderata. Normal, celui qui a succédé à Léon M’Ba a été, de tout le temps, « copain-copain » avec les différents dirigeants français.
Les langues fendues au mauvais endroit soutiennent que l’homme qui est à la tête du Gabon depuis 40 ans a toujours mis la main à la poche pour soutenir certaines campagnes électorales françaises. Vrai ou faux ? Ce qui est sûr, c’est qu’Ondimba est traité avec beaucoup d’égard du côté de la Seine. Du temps de Chirac, disait-on, quand Bongo voulait déjeuner avec l’homme de la Corrèze, il l’appelait le matin, et à midi, ils partageraient le repas à Paris.
Vraisemblablement, ce n’est donc ni plus ni moins qu’une forme d’allégence que Joyandet est allé faire au chef de l’Etat gabonais. Depuis son accession à la magistrature suprême, Nicolas Sarkozy a toujours prôné une politique de rupture, qui sera sa boussole lors de son mandat à l’Elysée : cela a concerné d’abord l’épineuse question de l’Immigration avec la création du département chargé de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, confié au fidèle et ami de longue date Brice Hortefeux.
Les aspects de cette rupture dans ce volet ayant pour noms test ADN, 25 000 reconduites/an à la frontière… Suivront le discours de Dakar au Sénégal, dans lequel Sarkozy revisitera Hegel pour dénier aux Africains toute histoire et surtout toute vocation à avancer… et celui du cap le 28 février 2008, au cours duquel le locataire du château a déclaré :
« La France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique ». Dans ces bouts de phrase, tout est dit sur la rupture que Sarkozy veut opérer en matière d’accords de défense liant son pays aux Etats africains.
Il s’agit bel et bien d’une rupture, car tout semble indiquer qu’il veut mettre fin à ce parapluie censé protéger des pays du continent noir, ou plutôt veiller sur certains de leurs dictateurs. Un premier démenti à cette politique de rupture a été illustré par le cas tchadien, où après moults tergiversations, la France a bien pris part à la bataille de début février 2008 entre Idriss Déby et les rebelles de Mahamat Nouri et Cie, notamment en fournissant des renseignements sur les déplacements des rebelles.
En envoyant l’émissaire Alain Joyandet à Libreville, Nicolas Sarkozy semble signifier que sa politique de rupture comporte quelques exceptions, dont la Françafrique. C’est pour ne l’avoir pas compris que Bockel a payé cash ses sorties musclées contre les « vieux amis » de la France.
Une façon pour lui de dire à la galaxie sarkozie « attention, la rupture a des zones rouges, et qui s’y frotte s’y pique », en même temps de signifier aux Bongo, Sassou et Biya : « Ne vous fâchez pas, l’incident est clos ». Qui est fou ?