Dans un immeuble cossu du boulevard Saint-Germain, une quarantaine d’Américains de Paris, un verre de vin à la main, écoutent avec attention la voix masculine sortant d’un haut-parleur téléphonique posé sur la table basse du salon. Elle leur parvient de Chicago, plus exactement du quartier général du candidat à l’investiture démocrate Barack Obama. C’est Michael Robertson, chargé des relations avec le Congrès, qui décortique savamment, ce 23 avril, les résultats des primaires de Pennsylvanie, gagnées quelques heures auparavant par Hillary Clinton. Même si c’était assez prévisible, son discours triomphal a semé la consternation chez les partisans du sénateur de l’Illinois.
« Avez-vous des questions ? », demande le commentateur lointain à l’issue de son exposé. L’assistance s’ébroue. Bien sûr qu’elle a des questions ! C’était même l’objectif de cette petite réunion du groupe de soutien à Barack Obama (289 membres référencés à Paris, contre 64 dans celui d’Hillary Clinton). Constance Borde, l’hôtesse de la soirée, vice-présidente de Democrats Abroad, se lance : « Nous savons tous qu’Hillary ne peut pas rattraper son retard. Mais j’ai peur que ses attaques fielleuses n’affaiblissent Obama dans le combat qu’il devra livrer contre le candidat républicain. Croyez-vous que des dégâts irréparables aient été commis ? Que des électeurs se tourneront vers McCain ? »
Les visages se tendent vers le haut-parleur. C’est bien là la question. Et la franchise de Constance Borde paraît soudain libérer l’anxiété, voire la colère, qui imprègne les esprits. « C’est terrible ! reprend une femme aux cheveux blancs. Hillary a fait une campagne odieuse, négative, typiquement républicaine. » Un homme enchaîne : « Pendant huit années, on a eu affaire à un président américain borné et sourd. Je crains qu’Hillary ne lui ressemble ! Le pays est en feu, et elle n’écoute rien, n’entend rien, s’accroche au-delà de toute raison ! »
Certains sourient, la plupart hochent la tête. « C’est incroyable qu’on parle encore d’elle ! Elle a perdu ! », dit une femme ulcérée. « Ce n’est pas seulement son ambition ou son ego qui la propulse, renchérit son voisin. Ce sont les gros groupes et lobbies qui tiennent Washington. Ils ne pensent qu’à leurs contrats et tremblent de voir arriver un homme neuf. » Elle mise sur les super-délégués, explique Constance Borde : « C’est eux qu’elle entend séduire et convaincre. Elle était la candidate du parti, celle qui contrôlait la machine, et elle veut leur montrer qu’elle est la mieux à même de l’emporter dans les grands Etats généralement attirés par les républicains. » Une voix s’élève : « Mais à quel prix ? Elle joue la carte Bush et la politique de la peur. C’est à elle que nous devons le biais racial honteux introduit dans la campagne ! Ça me rend dingue ! »
Tous, en tout cas, se réjouissent que leur candidat résiste à la tentation des attaques personnelles et continue de se comporter en gentleman. « Hillary nous fait perdre de vue l’essentiel quand Obama porte haut notre idéal, affirme un professeur. Mais quand donc se décidera-t-on à travailler sérieusement le dossier McCain ? C’est un type dangereux, proche de certains fascistes de Washington, qui ne se plaisent que dans la guerre et le conflit. Or voilà qu’il finit par apparaître comme un modéré… »
Un homme jeune, né en France mais fraîchement débarqué de Los Angeles, avoue ignorer pour qui ont voté les démocrates de l’étranger. « Pour Obama ! », répond d’un même élan l’assistance. Sur 25 000 Américains démocrates répartis dans le monde, 65,6 % se sont prononcés pour Obama contre 32,7 % pour la sénatrice Clinton. Seuls deux pays sur soixante-dix (Israël et la République dominicaine) ont résisté à la déferlante Obama. En France, le score de ce dernier a même atteint 71,8 %. « Et qu’en pensent les Français ? », poursuit l’Américain. Cette fois, l’assistance éclate de rire. Là-dessus, aucun doute : les Français votent Obama.
« Regardez mon tee-shirt ! sourit Constance Borde, la poitrine moulée dans l’effigie du jeune sénateur. Je me le suis procuré sur un site Internet français pro-Obama. » Jeannette Demeestere, professeur à Sciences Po, renchérit : « Mes étudiants français sont fascinés par le phénomène. Ils n’arrêtent pas de me dire : « Quelle chance d’avoir un homme politique de cette trempe ! » Ils sont jaloux. »
D’après Zachary Miller, qui anime en France la campagne du sénateur métis, les sondages montrent que le coeur des Français penche nettement vers son protégé. Pas une semaine sans que tel ou tel ne lui demande de venir parler de lui ou, à l’inverse, ne propose son aide. Une Américaine arborant l’autre jour un pin’s à l’effigie d’Obama a été saluée joyeusement par un chauffeur de bus noir qui l’a transportée gratuitement. Une autre s’est vu offrir des fruits sur un marché de Pigalle. « Sympathique ! glisse Anna Marie Mattson, elle aussi responsable des Democrats Abroad. Mais franchement, ce n’est pas le genre d’information à ébruiter : le soutien de l’opinion française constitue plus un handicap qu’un atout pour un candidat américain ! »
Samuel Solvit, 22 ans, le président du Comité français de soutien à Barack Obama, met pourtant tout en oeuvre pour « ébruiter » l’affaire. Il veut, lui, élargir le mouvement qu’il a lancé en y associant dès l’origine quelques noms célèbres : Pierre Bergé, Sonia Rykiel, Bernard-Henri Lévy, Jack Lang, Bertrand Delanoë et… Axel Poniatowski, président UMP de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Incollable sur le parcours, les discours et le programme du sénateur de l’Illinois, l’étudiant en école de commerce rêve de susciter une dynamique autour du candidat Obama.
D’abord, dit-il, « pour stimuler un débat : l’Amérique, la mondialisation, le renouvellement nécessaire de la classe politique, l’engagement des jeunes… » Et puis pour faire savoir aux Etats-Unis que « cette élection concerne la planète, qu’elle nous importe et que nous sommes attentifs à l’émergence de ce candidat porteur d’espoir et ouvert sur le monde ».
Créé fin janvier, son site www.pour-obama.fr n’a cessé de se perfectionner, suivant au jour le jour l’actualité de l’élection américaine, multipliant les témoignages, et renvoyant sur une multitude de sites, blogs, et réseaux de soutien (une douzaine sur Facebook rassemblant près de 2 000 personnes).
Le politologue Olivier Duhamel, inscrit parmi les premiers au comité français, n’est évidemment pas dupe de l’influence d’une telle initiative, mais espère favoriser une réflexion du monde politique, économique et institutionnel sur le retard de la France en matière d’ouverture à la diversité. « La simple observation de l’émergence d’Obama devrait faire bouger les esprits, dit-il, surtout à un moment où les idéologies se brouillent et où la haine de l’émigré agit comme un ressort démagogique venimeux. »
Et puis, ajoute le professeur, « comment bouder le plaisir que donne le sentiment d’assister à un tournant de l’histoire ? » Axel Poniatowski est pour sa part convaincu qu’Obama apportera une vision beaucoup plus multilatérale du monde, favorisera un rapprochement France-Amérique, et abordera avec « plus d’ouverture et d’équilibre » le dossier du Moyen-Orient. « C’est une opportunité magnifique », dit-il. Enthousiaste, mais sans illusion. Dans la campagne pour la présidentielle américaine, la sympathie du reste du monde compte, hélas !, pour… peanuts !