On croit arriver en pays sudiste traditionnel, dans la « cité des églises », comme on surnomme Charlotte. Et on se retrouve dans un lieu jeune, vibrant et cool à la fois. Jeff Michael, directeur de l’Institut urbain de la grande ville de Caroline du Nord, s’amuse toujours de l’étonnement du visiteur. « On vous excuse. Très peu d’Américains savent ce que nous sommes devenus. Bienvenue dans le Nouveau Sud. »Certes, de délicieux petits bus en bois sillonnent encore le centre-ville. Mais dans ce quartier juxtaposant gratte-ciel et habitat moderne, plusieurs grands chantiers sont en cours, dont deux musées. Le soir, sans un regard pour les SDF occupant les bancs publics, une foule de jeunes s’y déverse : des Blancs, des Africains-Américains et des Asiatiques aisés. Cheveux ras, les mâles sont en bras de chemise ; les femmes en robe légère, talons très hauts.
Des restaurants branchés se sont ouverts. « Pour les autres habitants de l’Etat, on est des snobs », sourit Eric Heberlig, professeur de sciences politiques à l’université publique de Caroline du Nord (UNC).
Charlotte est aujourd’hui le deuxième centre bancaire des Etats-Unis. Deuxième et troisième banques de dépôts du pays, Bank of America et Wachovia y ont leur siège. Des entreprises s’installent, profitant de ces cadres de 25-40 ans venus y chercher une « qualité de vie » : soleil, bons salaires, coûts inférieurs aux grandes mégalopoles, golf et nature à deux pas. Depuis dix ans, ils arrivent de l’est de l’Etat – la « vieille Caroline » –, mais aussi de Virginie, de Pennsylvanie ou même de New York. De 396 000 habitants en 1990, Charlotte est passée à 630 000.
Le taux de saisies d’appartement dues à la crise du crédit y est très bas. Mieux : alors que partout l’immobilier s’effondre, ici, les prix grimpent encore ! Charlotte est « attractive ».
Le sénateur de l’Illinois, Barack Obama, a longtemps tenu pour acquis que Charlotte ne pouvait voter qu’en sa faveur. Certes, la ville a un maire républicain. Mais au Sénat et à la Chambre, elle vote démocrate. Accueillant le principal centre de recherches de l’UNC, Charlotte est » naturellement pro-Obama », estime le professeur Heberlig : » Jeunes éduqués et Noirs sont les catégories les plus favorables au changement. » Or la ville est également africaine-américaine à 28%.
Pourtant, constate tristement Renée Hill, une adhérente noire des « Femmes pour Obama », l’affaire du révérend Jeremiah Wright, en particulier sa phrase « Dieu maudisse l’Amérique » pour le traitement qu’elle a réservé aux Noirs, « a entamé son crédit chez beaucoup de Blancs ». Explication de M. Heberlig : « L’outsider contre les vieux politiciens, cela a longtemps constitué un avantage pour Obama. C’est devenu un inconvénient. Ici, les gens se déterminent surtout en fonction de la personnalité des candidats. Brusquement, ils se demandent Qui est-il vraiment ? » Vendredi, Barack Obama tenait meeting : 20 000 personnes à la Cricket Arena, dont une moitié de Noirs.
En introduction, le révérend Cook a dénoncé la « stratégie de la peur ». La mise en avant de ce baptiste noir de Charlotte visait à faire oublier le pasteur Wright. Après avoir passé en revue ses thèmes de campagne – « l’urgence » du changement, l’Irak, le prix de l’essence, les délocalisations –, M. Obama a longuement conclu sur son parcours personnel. En résumé : oui, il est proche du peuple. La foule l’a acclamé. Pourtant, à la sortie, on ne parlait que du pasteur Wright.
Phyllis McLendon, VRP noire de 45 ans : « Ce n’est pas Obama qui a tenu ces propos. Et puis, qu’y a-t-il de grave dans ce que dit Wright ? » Pasteur méthodiste – et blanc, puisqu’il faut désormais préciser, tant l’enjeu racial a pris d’importance – Arthur Holt, 59 ans, ajoute : « Assez des divisions ! L’Amérique célèbre Martin Luther King. Relisez certains de ses discours avant son assassinat ! Wright, à côté, ce n’est rien. »Dustin Bennett, 33 ans, agent administratif (blanc) à l’université : « Si pour sa couleur de peau Obama n’est pas notre candidat, ce sera notre honte. »
Samedi, Hillary Clinton visitait l’Auto Racing Hall of Fame à Mooresville, un faubourg de Charlotte. Elle y intervenait devant un public masculin fanatique de course automobile. Des « cols bleus » plutôt âgés : ceux qui, selon les sondages, s’écartent de M. Obama. « Les plus de 50 ans ont déjà été amoureux un jour. Le changement, c’est séduisant, mais des politiciens qui le leur ont promis, ils en ont vus », dit Eric Heberlig. Il pronostique cependant un succès de M. Obama à Charlotte. Et en Caroline du Nord ? « L’est de l’Etat est démocrate conservateur. Si elle gagne, elle dira qu’Obama est fini. Si lui gagne de trop peu, ce ne sera pas non plus une victoire. »
Samedi, dernier jour d’enregistrement pour participer au scrutin, des queues de centaines de mètres se formaient devant les bâtiments administratifs. « Je n’ai jamais vu ça, disait Bob Emadi, un scrutateur bénévole.Le duel Hillary-Obama, c’est la folie. »