Trois citoyens gabonais et congolais, épaulés par l’association Transparency International (TI), ont déposé plainte à Paris mercredi dernier pour recel de détournements de fonds publics, visant des chefs d’Etat africains et leurs familles. Listant leur patrimoine immobilier en France, et ironisant : «Quels que soient les mérites et compétences de ces dirigeants, personne ne peut croire sérieusement que ces biens ont pu être acquis par le seul fruit de leurs salaires.» Les plaignants n’ont pas la preuve que ce patrimoine est directement issu d’un pillage de fonds publics, mais «il serait particulièrement inapproprié que ceux qui agissent avec le maximum d’opacité soient simultanément les plus récompensés».
William Bourdon est encore à la manœuvre. Avocat, fondateur de Sherpa (juristes internationaux), il avait déjà porté plainte il y a un an pour les mêmes motifs, au nom de deux associations : Survie, spécialisée dans la «Françafrique», et la Fédération des Congolais de la diaspora. Visant déjà les mêmes familles : Bongo (Gabon), Nguesso (Congo), Obiang (Guinée Équatoriale). Cette fois, avec le renfort de TI (lire ci-contre), il espère forcer les portes de la justice française.
Recensement. Sa première plainte, classée sans suite, n’aura pas été vaine. En trois mois, les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) avaient réalisé un beau recensement. Quinze membres de la famille Bongo détiennent 70 comptes bancaires en France. Omar, le patriarche, possède onze adresses à Paris, dont un hôtel particulier acquis l’an dernier 19 millions d’euros, et cinq à Nice.
Chez les Nguesso, seize membres de la famille détiennent 111 comptes bancaires dans l’Hexagone. Chez les Obiang, Teodoro, fils du président guinéen, préfère les Etats-Unis (une villa de 35 millions de dollars à Malibu, un jet à 34 millions, un yacht comprenant un aquarium à requins…), mais dispose d’une Maserati à 709 000 euros pour ses déplacements parisiens.
En dépit de cette avalanche de luxe, rien ne démontre, selon le parquet, que ce patrimoine proviendrait d’un pillage de fonds publics. Encore aurait-il fallu faire l’effort de creuser l’hypothèse. Tracfin, l’organisme antiblanchiment de Bercy, avait écrit au parquet à propos des dirigeants guinéens : «Les flux sont susceptibles de traduire le blanchiment d’un détournement de fonds publics.» Quand à la famille Bongo, selon le Sénat américain, elle bénéficierait directement de 8,5 % du budget gabonais (110 millions de dollars par an), mais sans que cette «allocation présidentielle» ne figure dans les comptes de l’Etat.
Palais. L’activisme de Me Bourdon commence à semer la panique. Il y a peu, l’avocat recevait la visite d’un confrère, faisant miroiter le financement de Sherpa, via une fondation, contre le retrait de sa plainte… Non seulement il l’a déposée, mais il entend en lancer une autre à Monaco. «Il y a encore une résistance, en Europe, à poursuivre ces clans africains. Mais un jour, leur patrimoine devra être restitué aux citoyens africains.» Sauf qu’Omar Bongo était encore reçu la semaine dernière par Nicolas Sarkozy. L’an dernier, c’est à la sortie d’un rendez-vous avec le président français que Denis Sassou Nguesso tonitruait : «Tous les dirigeants du monde ont des châteaux et des palais, qu’ils soient du Golfe, d’Europe ou d’Afrique.»
RENAUD LECADRE
«Obtenir la restitution aux citoyens»
Daniel Lebègue, de l’ONG Transparency International :
Ancien directeur de la Caisse des dépôts, Daniel Lebègue préside la section française de Transparency International (TI).
TI n’a pas pour habitude de porter plainte au pénal…
C’est une première. L’an dernier, notre ONG, qui a pour objet la lutte contre la corruption, a décidé de faire de la protection des victimes et de la reconnaissance de leurs droits un axe essentiel. Dans certains pays, nous apportons une assistance juridique ; dans d’autres, nous appuyons la restitution des avoirs.
Qu’est-ce qu’une victime de la corruption ?
Les détournements de fonds publics se font avant tout au préjudice des populations les plus défavorisées, en réduisant les budgets aux services de base. Quand des habitants sont privés d’accès aux soins ou à l’eau, la corruption peut conduire à la mort. On ne lutte pas seulement au nom de la démocratie.
Êtes-vous recevables à agir en leur nom ?
C’est dans le droit fil de notre amendement proposé l’an dernier, lors de l’examen du projet de loi contre la corruption : que des associations puissent se constituer partie civile si c’est prévu dans leur objet social. Il n’a pas été voté mais fait l’objet d’un avis favorable du rapporteur. Ce n’est qu’une question de temps, en phase avec le nouvel état du droit international : la convention de l’ONU pose le principe que toute victime de la corruption doit pouvoir engager une action.
En France, souhaitez-vous que les dirigeants africains rendent l’argent ?
Notre objectif principal est d’obtenir la restitution aux citoyens et contribuables d’avoirs qui ont servi à l’enrichissement personnel de dirigeants et de leurs familles. Le moment venu, nous ferons des propositions sur la manière dont les fonds détournés devront être restitués, avec une affectation précise. Il faut éviter qu’ils ne soient une deuxième fois détournés, en réempruntant le même chemin. Car les dirigeants en cause sont toujours en place.