Abdoulaye Wade n’a pas de mots assez durs pour dénoncer l’Union pour la Méditerranée portée dimanche à Paris sur les fonds baptismaux. Pour le président sénégalais, derrière cette initiative initiée par Nicolas Sarkozy, se cache une volonté de « phagocyter » l’Afrique du Nord. Dans une déclaration solennelle, Wade appelle à la fondation des Etats-Unis d’Afrique.
Les pays africains qui ne sont pas directement concernés par l’Union pour la Méditerranée observent néanmoins de près cette initiative. Pas toujours d’un bon oeil. C’est le cas d’Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, qui a ainsi décidé de prendre les commandes de la fronde africaine contre le projet de son homologue français. Pour lui, l’UPM renferme les facteurs de la division du continent africain entre le nord et le sud. « L’Afrique du Nord tournée vers le Nord, le Sahara deviendra ce que nous étions en train de combattre: un mur séparant politiquement notre continent en deux parties », affirme-t-il dans une déclaration solennelle. Pour le dirigeant sénégalais, c’est l’Afrique noire qui va pâtir au premier chef de cette nouvelle donne géopolitique qui augure d’une « coopération à deux vitesses ». « En examinant le contenu de la corbeille de cadeaux de mariage on s’aperçoit que l’Europe offre, entre autre, dès le départ, comme premier cadeau les infrastructures, routes et trains régionaux, ce que nous réclamons en vain depuis si longtemps. »
Le président du Sénégal va plus loin et accuse sans ambages l’UPM de n’être rien d’autre qu’une nouvelle forme de colonisation. Selon lui, c’est le déclin démographique européen et une économie sans dynamisme qui a motivé sa création. Après avoir « absorbé d’un seul coup, sans tambour ni trompette, 80 millions de citoyens d’Europe centrale pour booster sa croissance démographique en baisse », l’Europe se tourne désormais vers le Sud, affirme Wade.
Pour le Sénégalais, c’est une évidence, l’Europe veut s’emparer des richesses de l’Afrique du nord. « Bien entendu que, derrière l’initiative UPM, il y a aussi des visées qui crèvent les yeux: le pétrole et le gaz de l’Algérie, le pétrole libyen. Les autres Etats sont en vérité des faire-valoir ou un peu plus. Ce qui explique que les créateurs du processus de Barcelone aient exclu au début l’Egypte qui vient seulement d’être récupérée », décrypte-t-il.
Construire l’Afrique par rejet de l’Europe
Tandis qu’il salue la Libye qui a rejeté l’UPM -« Pour ce pays, l’africanité ne fait pas de doute, tout au moins avec Kadhafi », se félicite-t-il- Abdoulaye Wade admet que le Maroc, en proie à l’hostilité de l’Union africaine dans le dossier sahraoui, l’Algérie dont de nombreux ressortissants vivent en Europe, ou la Tunisie puissent avoir un penchant naturel vers la Méditerranée. Pourtant, Wade veut croire que le Maroc ou l’Egypte qui, à Sharm El-Sheikh lors du sommet de l’Union africaine les 30 juin et 1er juillet dernier, « ont décidé de constituer immédiatement le premier noyau des Etats unis d’Afrique », choisiront, le moment venu, de se réorienter vers le continent.
« Que fera l’Egypte? Il est simplement inimaginable que la plus ancienne civilisation du monde que nos ancêtres ont créée parte avec nos pyramides et laisse derrière Abu Simbel et la Nubie. Moubarak ne devrait pas avoir d’état d’âme pour rester avec nous », poursuit Wade. « Les pays d’Afrique du Nord doivent choisir clairement comme l’a fait Kadhafi car de toute évidence, on ne peut pas appartenir à deux unions à la fois », martèle-t-il. « Il ne nous reste plus que la voie des Etats-Unis d’Afrique, que nous pouvons construire avec les immenses richesses naturelles de notre sol et de notre sous-sol ».
Pour parvenir à ce grand dessein, le président Wade en appelle aussi à la mobilisation des consciences chez les dirigeants de l’Afrique noire qui doivent sortir de « leur micro nationalisme aveugle » et regarder « loin devant ». Pour ce faire il n’hésite pas à brandir l’affront du Pacte européen sur l’immigration qui « rejette » leurs enfants avec l’espoir de susciter un phénomène de répulsion à l’égard de l’Europe qui cimenterait les volontés éparses. « Finalement, l’UPM pourrait bien, après tout, accélérer le processus de la véritable unité africaine », reconnaît-il.