Ils sont là, suspendus à côté des maillots des grands basketteurs américains : à deux rayons des chaussures à virgule ou aux trois bandes ; accrochés sous le haut-parleur qui diffuse non stop une musique hip-hop. Ces tee-shirts à l’effigie de Barack Obama s’affichent sans complexe dans cette boutique de sportswear, aux Halles, à Paris. Obama tout sourire, Obama aux côtés de Martin Luther King, Obama clamant sur le coton « Yes, We Can ». Et les ventes de ces modèles n’ont rien à envier à celles des « must-have » du moment chez les 17-25 ans.
Etonnant ? Pas tant que ça. Car s’il est le candidat préféré des Français (1), celui qui disputera la Maison-Blanche à John McCain en novembre prochain, a, dans les quartiers, une place particulière. Dans les zones métissées et en proie à un vif sentiment de discrimination, le démocrate a visiblement la cote. Certains vont même jusqu’à parler de « véritable engouement« . A voir.
« Mieux que Bush »
« Oba quoi ? » A la cité des Carreaux, à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, le nom d’Obama ne fait pourtant pas tilt tout de suite chez les jeunes. Mais il suffit que l’un d’entre eux explique en deux mots qui il est -« le renoi qui va être président« -, pour que ses potes réagissent d’un « Ah oui, on l’a vu à la télé« . Et chacun d’avoir alors son mot à dire. Tous ont de la sympathie pour le démocrate, qu’ils qualifient de « cool« , « charismatique« , « mieux que Bush« … Une réaction rare chez ces jeunes, plutôt méfiants face aux hommes politiques. Sans oublier que depuis la guerre en Irak, l’image des Etats-Unis s’est considérablement dégradée dans les banlieues. Alors, ici dire qu’il est « mieux que Bush » est un argument de poids sur lequel tout le monde s’entend.
« Quand j’entends parler de lui, je vois un Noir pour représenter l’Amérique, ça c’est fort« , se félicite Jahmal, grand gaillard de 26 ans. « Sa couleur de peau fait que beaucoup de gens, qui se sont sentis délaissés dans la politique actuelle, peuvent aujourd’hui se reconnaître en lui« , explique Stanislas, 24 ans (2), dans un discours plus construit.
Victime aussi de préjugés
Le métissage de Barack Obama, fils d’un berger kényan et d’une Américaine du Kansas, fédère. Mais il n’explique pas tout. Colin Powell n’a pas suscité un tel enthousiasme et il n’est pas sûr que Condi Rice, si elle avait été la candidate républicaine, aurait eu droit à son tee-shirt dans les boutiques sportswear. Pour l’historien François Durpaire (3), le succès du candidat dans les cités s’explique notamment par sa jeunesse. « Quand on demande à Obama ses choix musicaux, il répond : PDiddy, Kanye West, Wyclef Jean… Ce sont des chanteurs qu’on connaît dans les banlieues françaises, souligne-t-il. Quant à John Mc Cain, il est plus de la génération des Beach Boys ou d’Abba que de cette culture hip hop qui est aujourd’hui une culture mondiale… ».
Une connivence culturelle à laquelle s’ajoute un discours intergénérationnel : voilà ce qui plaît aux jeunes de banlieues. S’ils ne connaissent pas nécessairement son programme, tous se disent sensibles à l’aura d’Obama. « Il parle de tout le monde, il a l’air de penser à tout le monde, il n’exclut personne« , constate Assia, lycéenne de 17 ans habitant Nanterre. « Oui, et puis il n’a pas l’air hautain comme les autres hommes politiques« , renchérit sa copine Justine.
« Un phénomène d’identification »
Le sénateur de l’Illinois transcende les clivages communautaires, et ça plait. « Obama, il est noir et blanc, blanc et noir, il peut ressembler à une personne d’origine maghrébine, asiatique… Bref, il est métissé comme nos banlieues, constate Jean-Claude Tchicaya, du collectif Devoirs de Mémoires, actif lors des émeutes de novembre 2005. Et puis comme elles, il est parfois visé par des attaques ou victime de préjugés : on lui demande s’il est musulman, on le caricature en extrémiste… »
Selon lui, Obama, peut aussi représenter une revanche démocratique et pacifique de l’Histoire. « Pour les jeunes des quartiers, il est un symbole car son parcours permet un phénomène d’identification », dit encore Jean-Claude Tchicaya. Selon François Durpaire, les banlieues vivent l’avènement d’Obama sur le mode du mythe compensateur : ne disposant pas de réseaux d’influence, ils font de l’ascension sociale de ce fils d’immigrant africain, élevé dans une famille modeste, le symbole d’une mobilité sociale qu’ils ne connaissent pas. « Les parents, les grands-parents se disent ‘on a migré comme le papa d’Obama dans les années 60 et son fils brigue aujourd’hui la magistrature suprême du pays le plus puissant du monde. Nous aussi on peut imaginer ça pour nos enfants en France », note François Durpaire.
« C’est pas demain la veille »
« Obama vante toutes les potentialités qui ne sont pas assez mises à jour dans les quartiers populaires« , ajoute Jean-Claude Tchicaya. Il incarne le rêve américain et montre que le Liberté, égalité, fraternité est aussi possible en France« . En somme, c’est « un motif d’espoir », souligne Marc Cheb Sun, directeur de la rédaction de Respect magazine. Le « mag qui secoue les ghettos » a consacré ses trois derniers édito à Barack Obama. Morceau choisi : « Elu ou pas, Obama est déjà porteur d’une intense victoire : il n’est pas la voix d’une communauté, mais bien celle d’un élan qui, toutes couleurs confondues, dépasse les logiques de groupes pour poser les bases d’un avenir commun« .
Y aura-t-il cet élan dans les banlieues françaises ? Après Fadela Amara ou Rachida Dati, l’exemple d’Obama va-t-il susciter d’autres vocations politiques chez les jeunes ? Si les institutionnels le pensent, à Villiers-le-Bel, Jahmal et ses copains en rigolent. Rires jaunes, voire moqueurs. « Les Etats-Unis sont beaucoup plus en avance que nous. Ne serait-ce qu’à la télé : il y a déjà un président noir, dans la série 24 heures… Vous en connaissez, vous, des séries françaises où un black occupe un poste important ? », s’interroge Moussa 17 ans. Et sans attendre la réponse, il lance, le regard désabusé, : « Alors dans la vraie vie, c’est pas demain la veille. »