Beaucoup de nos compatriotes, qui se donnent la peine de suivre et d’analyser les évènements politiques de notre pays, commettent assez souvent l’erreur de tracer leur évolution dans un tout petit repère orthonormé, formé des deux seuls axes que sont le passé et le présent.
Or, un axe ou une dimension supplémentaire, mériterait d’être prise en compte : c’est le temps, ou encore sa projection vers l’avenir : le futur.
Ce qui distingue les grands stratèges en politique, comme Omar BONGO par exemple, c’est leur capacité à prendre en compte le futur, c’est à dire l’évolution des choses dans le temps. Ainsi, il peuvent concevoir des stratégies à long-terme, qui utilisent les effets du temps sur les situations et les personnes. C’est ce qui permet de concevoir des stratégies dont la plupart des éléments restent invisibles pour l’adversaire, car ils sont situés dans le futur.
Les stratégies conçues en intégrant la dimension temps sont d’autant plus indétectables que leurs effets ne sont mesurables qu’à moyen ou long terme, mais ils sont alors inéluctables car ils ont modifié la structure de la situation globale en profondeur.
Et Prendre du recul dans le temps, c’est prendre en compte le fait qu’à chaque époque, ce que la majorité croit être vraie, bon, ou indispensable, peut être en réalité une erreur. La société d’une époque doit être replacée dans son contexte global, celui de l’évolution humaine, et plus largement encore, celui de l’évolution de la vie sur terre. Au niveau personnel par exemple, l’instant présent doit être replacé dans la perspective du temps global de notre vie, et du fait que nous sommes tous mortels.
Depuis 1985, au début de l’âge d’or du pétrole de notre pays, Omar BONGO avait introduit la notion du temps dans sa stratégie de conservation du pouvoir suprême, basée sur le long terme et axée sur une succession de type héréditaire. Agé de 50 ans, l’homme pris la mesure du projet, et commença dès lors à en affiner les contours.
Dès cette année, de nombreux étudiants et futurs cadres altogovéens sont envoyés en formation dans les quatre coins du globe, avec une prédominance pour les finances, la défense (l’armée), les douanes et la diplomatie.
L’homme que l’on peut quasiment considérer aujourd’hui comme LA meilleure « invention » de BONGO, et qui était (et demeure) la pierre angulaire centrale autour de laquelle a été élaboré toute cette stratégie de succession, est arraché « de force » des pistes de break de la capitale, où il se contorsionnait avec son ami Jimmy Ondo, avant d’être envoyé illico presto sur les bancs de la fac, et en ressortir quelques années plus tard diplômé. De là, le jeune « appelé » commence ses classes dès 1989, dans la diplomatie, en tant que ministre des Affaires étrangères de papa.
La suite, vous la connaissez…
Aujourd’hui, quasi 25 ans plus tard jour pour jour, le patriarche et son rejeton peuvent, sans risque de se tromper, s’avancer sur le fait que leur machine de succession est au point. Car tous les ingrédients, tous les vecteurs, tous les signaux sont au vert, afin de pouvoir passer le flambeau.
Faites-en vous-même le constat, vous vous surprendrez de voir à quel point « le pays est géré », et fin prêt pour l’intronisation finale.
Mais n’ayez crainte, car pour la grande majorité d’entre nous, cela se fera sans changement, sans heurt et sans surprise aucune ! La mentalité populaire gabonaise ayant été depuis longtemps préparée et aujourd’hui plus que jamais prête à accepter ce tour de passe-passe, de la même façon qu’elle accepte chaque jour une coupure d’électricité de la SEEG, qui ne leur fera perdre que quelques scènes de leur épisode « Marimar » quotidien.
Et sur le plan su scénario, pour ceux qui veulent se donner la peine de le relire, l’alchimiste en charge de cette opération n’ira pas chercher sa potion bien loin : un tout petit peu d’épices marocaines, mélangées à un peu de phosphate togolais, et le tout nouveau breuvage national est fin prêt !
La seule équation cependant sera de savoir si papa BONGO va le faire de son vivant (nouveauté), ou simplement perpétuer la tradition de ses illustres prédécesseurs et non moins fournisseurs d’ingrédients : feu tonton Eyadema père et feu sultan Hassan II !
Les paris sont lancés.
Bruno VECARTE
Sciences-Po, Paris