Les libertés n’auraient aucun sens et les droits aucune substance, si des facteurs ou des considérations purement conjoncturels étaient susceptibles de les altérer selon quelque marchandage. Par ailleurs, dès lors que l’on débat du sort de l’espèce humaine dans son milieu social et politique, toute démarche qui tendrait à recourir à la mise en exergue des particularismes expose à des déviations voire à des contorsions dangereuses.
En fait c’est de la loi et de l’esprit des lois qu’il s’agit en toute chose, dans le contexte de la détermination des libertés et des droits des gens, pris individuellement ou collectivement. Le postulat que nous posons n’est en rien vain ; il vaut en effet d’être rappelé avec force, à un moment où s’impose une clarification pour contrer les assauts divagateurs de quelques intellectuels attardés qui refusent de sortir de leur éternel infantilisme et, partant, offrent des arguments aux tenants d’une littérature xénophobe.
Certaines évolutions récentes dans au moins trois pays africains, en l’occurrence le Kenya, le Zimbabwe et la Mauritanie, constituent des cas de laboratoire dont il convient de tirer tous les enseignements possibles. Nous sommes beaucoup plus pressés qu’il n’y paraît de prime abord de nous situer irrémédiablement par rapport aux thèses des uns et des autres, thèses qui, soit avalisent les dictatures au nom d’une particularité quelconque, soit les condamnent fermement sur la base du formalisme cartésien des principes.
Notre mise au point ne doit point être ressentie par quiconque comme une offense et encore moins comme l’éloge fait à un camp. La logique centrale des débats est qu’il faut respecter les chapelles doctrinales, les écoles de pensée avec leurs maîtres et leurs chefs de file. Cependant, nous estimons que la responsabilité de toute personne qui a une vision, une explication différente, une prospective contradictoire, c’est de l’étaler pour enrichir l’ensemble et permettre un foisonnement de positions utile pour les adeptes des synthèses.
Nous tenons à dire, à tous ceux qui prendraient des libertés avec le destin des peuples, que l’on ne saurait fonder une échelle de valeurs travestie en lieu et place de celle qui établit le suffrage universel et l’obligation pour les gouvernants de se soumettre à la sanction de celui-ci.
Rien, ni dans l’histoire ancienne, ni dans l’histoire contemporaine d’un peuple, ne peut justifier que celui-ci s’accommode des humeurs et des caprices d’un régime, une idéologie, une doctrine qu’il a ouvertement rejetés par les urnes. Le principe de l’élection, c’est l’arbitrage entre des problématiques contradictoires, voire conflictuelles, incarnés par des personnes, des hommes politiques, qui en sont les concepteurs, promoteurs et animateurs.
Pour traduire en image cette acception classique et sans appel, la sanction populaire peut mieux s’exprimer dans le geste qu’un individu a de déverser des vomissures pour recouvrer la santé en dégageant effectivement son estomac. Il apparaît par conséquent incompréhensible de contraindre le malade à supporter une quelconque mixture faite de déchets de ses vomissures et de quelques nouveaux médicaments.
Il est de la plus grande importance de redire que la démocratie dans son élévation en tant que symbole de l’expression des citoyens sur les grandes orientations de leur destin, c’est d’abord l’art de discriminer entre le mal et le bien, même si la relativisation des professions de foi peut conduire à atténuer notre affirmation.
Le vainqueur d’une élection, dans le contexte d’une société rendue misérable par une dictature, ne devrait accepter aucun compromis avec les responsables de cet état de misère. Ce qu’inaugurent les Africains au Kenya et au Zimbabwe augure des lendemains ténébreux pour les peuples du continent en même temps que cela apporte une autre preuve de l’absence de maturité dans notre capacité de construction politique. Il est sans doute loisible, car sans frais, pour quelques-uns de vouloir refaire le monde en développant à chaque occasion un discours contre les colonialistes d’hier dans le but de justifier leurs tares et de dédouaner les sanguinaires régnants.
Ceux qui jouent à produire des joies futiles au Kenya tout comme au Zimbabwe sont en réalité les mêmes qui consciemment ou inconsciemment encouragent les modifications constitutionnelles pour la continuation des régimes sales et la prolifération des imbéciles casqués prompts à tuer l’espoir comme en Mauritanie. Il est évident que l’Union Africaine porte une responsabilité indéniable dans la survenance du récent coup d’Etat en Mauritanie. Dans ce procès immédiat, le rôle négatif de l’Afrique du Sud et principalement de monsieur Tabo Mbeki ne souffre presque pas de contestation. C’est pour avoir soutenu et encouragé la dictature de Mugabe, après sa lourde défaite électorale, que l’institution continentale, manipulée par ses membres les plus rétrogrades et conservateurs, a envoyé un mauvais signal aux militaires mauritaniens.
Les appréhensions que nous avions émises dans certaines de nos précédentes réflexions à propos du choix de l’ancien ministre des affaires étrangères du Gabon, Jean Pin, pour remplacer Alpha Oumar Konaré à la présidence de la Commission de l’Union africaine, se vérifient aujourd’hui.
Nous devons convenir pour une fois de nous impliquer complètement et honnêtement dans le monde selon les principes et les fondamentaux de la gestion sociale et politique, ou alors de nous tenir à l’écart et de continuer à mériter le statut de parias éternels, de sous développés chroniques et de déchets des nations.
Le raisonnement qui aboutit à partager le pouvoir entre celui qui n’a pas mérité le suffrage populaire et celui qui l’a mérité procède d’une des plus inacceptables prostitutions morale et philosophique. Il n’est jamais venu à l’esprit de personne, au plus fort de la contestation des résultats des élections aux Etats-Unis en 2000, de proposer une gestion commune du pouvoir par les prétendants démocrates et républicains, en l’occurrence messieurs Georges Bush et Albert Gore.
L’imbécillité de la position exprimée dans cette orientation de compromission éclate au grand jour lorsque l’on s’aperçoit que tout cela procède effectivement d’une incapacité à percevoir les principes de façon globale et universelle. L’on découvrira ainsi que le Camerounais qui soutient le régime dictatorial de Robert Mugabe condamne par ailleurs celui de Paul Biya, sans se rendre compte de sa propre confusion et de sa perdition face aux repères essentiels. Il va tout autant pour ceux qui, depuis les confins des salons londoniens, parisiens ou New yorkais, en appellent à la sagesse africaine. Cette rhétorique est souvent servie pour prôner une démocratie de singes sauvages chez les uns, et une démocratie de civilisés chez les autres. Aucun Allemand ne pourrait se plier à des combines tendant à violer les résultats des élections au motif que des gens vont mourir ou que le pays sera détruit par des violences.
Dès lors, nous sommes en présence de deux facteurs déterminants pour comprendre l’attitude des politiciens et des intellectuels à la petite semaine qui émettent ces thèses inacceptables.
Premièrement, il y a l’attrait du pouvoir et l’empressement à jouir des délices de nombreux et illimités privilèges. La pauvreté et une certaine inégalité de répartition des revenus construisent dans l’esprit des acteurs sociaux une propension à se contenter des minima qui autorisent un relatif confort matériel. Les chefs de l’opposition au Zimbabwe et au Kenya sont tous des leaders fatigués de brutalités et de privations multiples, qui semblent disposés à sacrifier tous les principes pour le poste de Premier ministre. L’argument de la conciliation, dans l’intérêt des populations, est un pur leurre.
Deuxièmement, la culture politique chez certains peuples ne prend pas forcément un caractère d’appropriation des principes généraux de loyalisme, d’honnêteté et de transparence. C’est la même logique caractérielle qui conduit des professeurs d’université à abandonner le prestige de l’académie pour se prostituer à des régimes sales, et juste pour quelques strapontins bruyants de pièces de billets de banque et de visibilité autocratique.
Aucune société ne peut préserver son honneur et préparer sa mutation profonde vers des changements positifs, dès lors qu’elle sacrifie les grands principes de l’expression et du consentement populaires pour quelques victuailles politiciennes. Il n’y a pas d’autres normes de mesure et d’évaluation de la crédibilité des systèmes de gouvernance et de gestion démocratique que celles valorisant de façon intégrale les résultats des urnes.
Par SHANDA TONME