Comment le champion des démocrates compte battre son rival républicain John McCain, le 4 novembre.
Seul, jeudi soir, sous les 450 projecteurs du grand stade de Denver, parlant d’une estrade installée au milieu de la foule, devant un décor de colonnes grecques censé rehausser son image d’homme d’État, Barack Obama a marqué l’histoire américaine : il est devenu officiellement le premier candidat noir d’un grand parti à la présidence des États-Unis.
En plus des confettis et des feux d’artifice clôturant de façon grandiose la convention démocrate, les symboles ont abondé . En ce jour marquant le 45e anniversaire du discours de Martin Luther King («J’ai fait un rêve»), l’ombre du président assassiné John Fitzgerald Kennedy n’était pas loin, qui avait lui aussi choisi un stade de football pour accepter sa nomination le 15 juillet 1960 : «Nous sommes aujourd’hui à l’orée d’une nouvelle frontière, la frontière de chances et de périls inconnus, la frontière d’espoirs et de menaces inaccomplis.»
Souvent comparé au plus jeune président américain pour son talent oratoire, Barack Obama a puisé chez lui une partie de son inspiration, ainsi que chez Bill Clinton et Ronald Reagan. Son discours d’investiture devant près de 80 000 personnes représentait le plus grand défi de sa candidature jusqu’ici : «Je veux rendre aussi clair que possible le choix entre John McCain et moi, avait-il annoncé. Et j’espère que la convention aura contribué à faire comprendre qui je suis.»
Ces quatre jours de célébration et de combat politique ont couronné Obama comme l’unique patron, désormais incontesté, du Parti démocrate. C’était un préalable indispensable pour qu’il puisse se lancer, avec toutes ses chances, dans la dernière ligne droite de la course à la Maison-Blanche. Longtemps divisée entre obamistes et clintoniens, l’arène du Pepsi Center de Denver a définitivement basculé mercredi soir, dans l’un de ces coups de théâtre politiques qu’affectionnent les Américains. Le vote des délégués mandatés par les cinquante États en était à sa 37e étape, et le sénateur de l’Illinois dominait sa collègue de New York par 1 549,5 voix contre 341,5. C’est alors que Hillary Clinton a fait irruption dans l’arène pour mettre fin au vote : «Je demande que Barack Obama soit désigné par acclamations.» Aussitôt fait, dans l’euphorie de l’unité retrouvée. Ou comment transformer une défaite en triomphe.
L’enjeu crucial de la participation
Dans la foulée, Bill Clinton, avec sa maestria, a délivré le soutien le plus précieux que pouvait espérer le jeune candidat démocrate. Du haut de son autorité d’ancien occupant du Bureau ovale, il a déclaré : «Barack Obama est prêt à être le prochain président des États-Unis.» C’est l’un des points sur lesquels les Américains restent à convaincre. «Rappelez-vous, il y a seize ans, a souligné Clinton. Les républicains disaient que j’étais trop jeune et trop inexpérimenté pour être commandant en chef. Cela vous semble familier ? Barack Obama est du bon côté de l’histoire. Sa vie incarne une version du XXIe siècle du vieux rêve américain.» L’ancien président a balayé McCain d’un : «Merci, mais non merci», et il a décrit un avenir qui ressemble beaucoup aux huit années de son propre mandat : «Barack Obama choisira la diplomatie d’abord et la force en dernier recours. Le monde a toujours été plus impressionné par la force de notre exemple que par l’exemple de notre force.»
Tout cela devait être dit, et de préférence par d’autres que l’intéressé. C’est en ce sens que la convention de Denver a marqué une étape indispensable, et sans doute réussie, vers le scrutin du 4 novembre. Des experts interrogés par le National Journal s’accordaient à prédire entre 4 et 9 points de bonus dans les sondages pour Obama. Ce genre de sursaut n’est pas forcément durable, d’autant que le calendrier ne favorise pas le démocrate : son rival John McCain va s’efforcer de lui couper l’herbe sous le pied dès vendredi en annonçant le nom de son colistier, et les républicains vont attirer les projecteurs sur leur propre convention, la semaine prochaine. Mais le discours qu’Obama devait prononcer jeudi soir peut faire beaucoup pour le réinstaller en tête de la course. Le moment était jugé crucial par tous les analystes politiques, jusque dans l’entourage du candidat. Celui-ci a écrit son texte lui-même, à la main, reclus dans une chambre d’hôtel de Chicago, la semaine dernière.
Obama a déjà relevé plusieurs défis avec succès, tant au niveau du message que de l’organisation de sa campagne. Mais il lui reste à gagner celui de la substance. «Les gens veulent vraiment savoir ce qu’il fera pour les aider dans leurs problèmes quotidiens s’il est élu», souligne Mark Mellman, l’ancien stratège de John Kerry en 2004. Joe Biden, le nouveau colistier démocrate, a commencé à mettre son franc-parler au service de cette cause, avec des accents plus populistes que concrets.
Il reste au tandem démocrate à trouver le ton juste pour convaincre les Américains qu’ils ont des réponses crédibles aux défis du moment, sur la croissance et l’emploi, le coût de l’énergie, la compétition avec la Chine, les enjeux internationaux et sécuritaires. «Je ne vise pas des sommets de rhétorique, a prévenu Obama, qui semble l’avoir compris. Je me préoccupe surtout d’expliquer comment je compte aider les familles de la classe moyenne dans leur vie de tous les jours.»
Le discret et redoutablement efficace David Plouffe, directeur de campagne du candidat, résume les quatre objectifs à court terme du discours d’investiture, afin de boucler la convention sur un succès : «Expliquer d’où il vient, pour qui il se bat, ce que signifie sa promesse de changement et souligner le contraste avec John McCain.»
Sur le plus long terme, sa martingale tient en deux volets : convaincre les indécis et doper la participation. «Nous essayons d’atteindre des niveaux de participation historiques, pas seulement élevés, mais historiques, auprès des Afro-Américains, des Hispano-Américains et des moins de 40 ans», explique Plouffe. À cette condition, il estime pouvoir livrer bataille, avec des chances de l’emporter, dans dix-huit États, deux fois plus que le nombre d’États disputés par les démocrates en 2004.
Un «changement» qui sonne un peu creux.
Sur cette liste, quatre qui avaient été gagnés par Kerry il y a quatre ans doivent absolument rester dans l’escarcelle d’Obama : la Pennsylvanie, le New Hampshire, le Wisconsin et le Michigan. Les quatorze autres (Floride, Ohio, Iowa, Missouri, etc.) étaient allés à George W. Bush, mais les démocrates espèrent y avoir leur chance, notamment à cause des évolutions démographiques, qui augmentent le poids des minorités. C’est particulièrement vrai dans l’Ouest, où le Colorado, le Nouveau-Mexique et le Nevada sont jugés «prenables» l’une des principales raisons du choix de Denver pour la convention. «La plupart des États disputés seront déterminés par une marge de 2 % à 4 %», prédit Plouffe, qui se méfie des sondages, souvent basés sur des panels datant de 2004. «Croyez-moi, si McCain ne l’emporte pas au Colorado, il a perdu l’élection.»
Pour expliquer l’importance de la participation, déjà mise en relief par la stratégie de Bush et de Karl Rove lors des deux dernières présidentielles, Plouffe prend l’exemple de la Floride : «Il y a là 600 000 Afro-Américains qui étaient inscrits en 2004, mais ne sont pas allés voter. Il y a eu plus de 900 000 jeunes dans le même cas. Il y a une base démocrate de 5 millions d’électeurs. La Floride est l’une de nos meilleures chances si nous exécutons correctement notre plan pour amener ces gens aux urnes.» Ce n’est peut-être «pas très sexy», dit-il, mais l’organisation constitue l’une des clefs du scrutin.
L’autre, c’est le candidat qui la détient. Sa personnalité, son message, son programme feront la différence auprès des indécis, dans un sens ou dans l’autre. Les Américains connaissent mieux John McCain et savent à peu près à quoi s’attendre avec lui. Barack Obama suscite plus d’enthousiasme, mais on en sait moins sur lui. La grande kermesse de Denver terminée, il a besoin d’affiner son message, dont le «changement» sonne parfois un peu creux. Il doit en même temps maintenir sa base mobilisée, ne serait-ce que pour lever au minimum 100 millions de dollars d’ici au 4 novembre, en plus des 390 millions déjà récoltés.
Barack Obama quitte la convention de Denver avec les clefs du Parti démocrate. Il lui reste 67 jours pour convaincre les Américains de lui donner les clefs du pays.