Jusqu’où la Chine peut-elle être un recours au tarissement de capitaux que la crise financière promet de plus en plus nettement aux économies africaines ?
« La Chine ne laissera pas tomber l’Afrique. »
L’idée que l’Afrique serait à l’abri de la crise des subprimes a vécu. Les exportations des matières premières africaines – pétrole inclus – vont souffrir de la baisse de la demande mondiale, principalement américaine et européenne, conséquence de la globalisation de la crise financière et de son retentissement sur l’activité réelle dans le monde. Les « protocoles de la contagion » sont variées selon les pays : « La plupart des gros projets (publics ou privés), en Afrique, sont financés par des fonds étrangers et quand ceux-ci n’ont pas de visibilité, ils deviennent réticents à investir », prévient Mivédor Ekué, chargé de portefeuille à la Banque africaine de développement (BAD).
La modernisation des infrastructures pourrait se ralentir sur le continent. Le directeur général intérimaire de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC), Willy Ontsia, prévoit que « cette récession (annoncée) va faire en sorte qu’un pays comme les Etats-Unis, qui est le premier client du Gabon en ce qui concerne le pétrole, va vraisemblablement diminuer les commandes. Donc il y a un risque sur la baisse de l’achat des matières premières, notamment au niveau des pays européens ». Pour Jose Gijon Spalla, économiste en chef pour l’Afrique et le Moyen Orient au centre de développement de l’OCDE « les conséquences de cette crise peuvent varier selon le niveau de développement des pays ». Elles seraient plus perceptibles sur les Etats les plus intégrés dans la finance internationale, comme l’Egypte, l’Afrique du Sud ou le Maroc. Le déficit de confiance n’est plus très loin, selon l’économiste de l’OCDE, parce que « les investisseurs se disent que si les Etats-Unis sont frappés, les pays africains ne seront pas épargnés ». Bien loin le temps ou, en septembre 2007 au début de la crise des subprimes, un banquier maghrébin affirmait « nous n’avons rien à craindre. Grâce au sous-développement nous sommes immunisés ! »
Si l’Etat américain n’avait pas renfloué Freddie Mac et Fannie Mae, la banque centrale de Chine y aurait laissé 400 milliards de dollars d’avoirs. Les Chinois vont peut-être penser à ce qu’il est possible de faire avec un tel montant en Afrique…
« Les Chinois regarderont par-dessus la conjoncture »
Est-ce à dire que les pays africains qui ont anticipé le mieux, depuis plusieurs années, une diversification de leurs flux d’affaires en se tournants vers la Chine ressentiront moins les effets de la récession qui se profile ? Le Soudan, l’Ethiopie, la Zambie, la République démocratique du Congo, le Gabon, le Sénégal et d’autres attendent la poursuite des investissements chinois chez eux, dans les matières premières en priorité, mais pas seulement. L’ancien gouverneur de la banque d’Algérie, Hadj Nacer, déclare « la Chine ne laissera pas tomber l’Afrique » (voir entretien dans ce numéro). Certes la croissance chinoise ne sera pas de deux chiffres cette année déjà, et les incertitudes sur les exportations manufacturières chinoises sont importantes. Mais pour de nombreux analystes, les fondamentaux qui conduisent la Chine en Afrique ne bougeront pas dans la durée. Pour Ryad Tahmi, un consultant en énergie « il faut voir que le premier grand projet chinois en Afrique, l’engagement de la China National Petroleum Corporation (CNPC), première firme pétrolière en Chine, sur le bassin de Muglad dans le sud du Soudan, date de 1997. C’était l’année de la crise asiatique. Les Chinois ne réagissent pas au cours terme pour les investissements stratégiques que sont l’approvisionnement en matières premières ». Un pronostic conforté par l’idée que la purge de l’économie mondiale pour rareté de liquidités ne devrait pas dépasser l’année 2009. Les engagements chinois dans les matières premières devraient donc enjamber la conjoncture – comme par exemple dans le développement du projet de gisement de fer de Bélinga au Gabon – indépendamment de l’évolution de la demande dans le court terme. Le vrai regret que devrait peut être avoir l’Afrique est de ne pas avoir atteint la taille critique de marché pour devenir une direction de rechange pour les excédents de capitaux chinois désormais échaudés par le risque américain.
Si l’Etat américain n’avait pas renfloué Freddie Mac et Fannie Mae, la banque centrale de Chine y aurait laissé 400 milliards de dollars d’avoirs. Les Chinois vont peut-être penser à ce qu’il est possible de faire avec un tel montant en Afrique. Les Africains aussi.