A l’occasion de la 3e édition des « Escales documentaires de Libreville « , Pauline Mvélé, journaliste gabonaise d’origine burkinabé, a présenté, le 3 décembre, son film documentaire intitulé «Accroche-toi». Ce film est une révélation poignante de la facette sombre de la pandémie : celle de la discrimination, du désespoir et de la souffrance silencieuse des femmes atteintes par le Sida. Le documentaire lève également un pan de voile sur les conditions socio-économiques désastreuses qui contraignent ces femmes à vivre dans l’ombre, et a favoriser la propagation pernicieuse du virus. Pour la réalisation de son film, Pauline Mvele a reçu le soutien du Centre national de la cinématographie (CENACI) et de la société française Play Film. Elle livre ici les dessous de la réalisation de son documentaire et sa portée pour la lutte contre le VIH/Sida. Comment devient-on Pauline Mvélé?
Je suis journaliste, titulaire d’une maîtrise en communication que j’ai obtenu, il y a plus de dix ans dans une université africaine au Burkina Faso. Je suis gabonaise d’origine Burkinabaise. Quand je suis arrivé au Gabon avec mon mari qui est gabonais, n’étant pas gabonaise de nationalité, ce fut difficile pour moi d’obtenir du travail. Donc je n’ai pas pu intégrer la fonction publique, afin d’exercer le métier pour lequel j’avais été formée. Je me suis lancé dans des petits boulots car il fallait bien que je gagne bien ma vie. J’ai dû faire plein de chose qui n’avait rien avoir avec le cinéma et le journalisme. Depuis 2006 j’écris des articles pour le magazine Amina qui m’en avait donné l’opportunité.
Actuellement je dirige une association dénommée « Espoir pour les Enfants » qui s’occupe des enfants orphelins et des enfants ayants des parents malades.
L’année dernière, le Centre national de cinéma (CENACI) qui organise ces escales en collaboration avec le CCF, a demandé aux écrivains, journalistes et réalisateurs de proposer des projets en vue de leur production. Vu que j’étais déjà impliquée dans la lutte contre le Sida à travers l’association, j’ai proposé la réalisation d’un film documentaire sur la vie de cinq femmes séropositives qui acceptent d’en parler.
Bien auparavant, j’avais écrit un article sur ces femmes, pour le magazine « Amina ». Cet article avait eu un écho positif en ceci que nous avons reçu des appels venant de toute l’Afrique. je me suis dit, en voyant l’annonce du Cenaci, qu’un film aurait un impact beaucoup plus grand que l’article. J’ai donc proposé au Cenaci le synopsis d’un film sur les personnes vivants avec le VIH/SIDA. A ma grande surprise, mon projet a été parmi les quatre a être retenu. Le film a donc été réalisé et produit par le Cenaci. Mon projet a été le premier des quatre documentaires retenus à être projeté aux escales documentaires 2008.
Pourquoi ce titre qui appelle à l’espérance ?
Le titre du film est « accroche-toi », pour dire que la vie avec le VIH n’est pas terminée quand on accepte son statut. J’ai été moi-même témoin de plusieurs personnes qui n’acceptaient pas leur situation de séropositif. Ils ne prenaient pas leurs médicaments, préféraient rester dans le déni en accusant un parent bien placé financièrement dans la famille, d’avoir fait des fétiches sur la personne séropositive. Alors que cette personne se savait malade. J’ai été témoin de plusieurs cas de décès dû à un laissé allé des personnes qui ne savaient pas qu’elles étaient atteintes du « VIH/SIDA ».
En gros l’idée était de montrer que lorsque l’on accepte sa séropositivité, qu’on prend bien ses médicaments, qu’on a une bonne hygiène de vie, on peut vivre longtemps avec le VIH.
Cette idée m’a permis de dénoncer a travers ce film des actes de discriminations, de stigmatisation, qui jusqu’aujourd’hui persistent dans la société gabonaise. Car lorsque l’on prend les statistiques sur le « VIH », il y a 68 000 personnes vivants avec le « VIH/SIDA » officiellement au Gabon, mais il n’y a pas dix personnes qui accepteront de témoigner à visage découvert. Pourquoi ? Parce que la discrimination et le rejet continuent toujours. On l’a entendu et vu (pour ceux qui ont vu le film), que ces dames et ce couple qui ont témoigné ont été victimes de discrimination ; surtout les dames.
Il y a une qui avait un atelier, mais une fois que le propriétaire a su qu’elle était séropositive, elle fut chassée. Il y a une autre qui a cité des exemples de discrimination et de rejet existant dans notre société.
Pouvez-vous nous raconter la trame du film.
Le film débute sur une jeune fille qui sait qu’elle est séropositive, mais continue à avoir des rapports sexuels non protégés avec des partenaires. J’ai rencontré cette jeune fille dans le milieu associatif. Elle vie dans une situation de précarité extrême.
Au début du film, elle affirme que celui qui s’occupe d’elle c’est l’un de ses partenaires (le titulaire comme l’on dit vulgairement) car elle en a trois. Elle a également deux enfants séropositifs dont le partenaire paye les frais d’examen car l’Etat ne paye pas ces frais. Il fait le marché comme on dit. Donc si elle lui dit qu’elle est séropositive qui va s’occuper d’elle, étant donné que ses parents sont démunis.
Elle est séropositive, mais personne ne le sait dans son entourage immédiat; ne parlons même pas de ses partenaires sexuels. Je lui ai demandé si elle n’essaye pas de sensibiliser de temps en temps le titulaire. Elle m’a répondue que lorsqu’elle lui parle du « VIH », il lui dit « qu’une personne ayant le VIH c’est une personne qui est couchée sur un lit de mort », ne sachant pas qu’elle même elle est séropositive.
Les personnes qui ont vu le film ont demandé après si ce n’était pas un montage. Je leur ai dit que j’avais rencontré cette jeune fille et vue ses enfants, ses examens qui prouvaient qu’elle était séropositive. Je l’ai accompagné récupérer ses médicaments ; ce n’était pas du pipo, c’est la pure réalité. Elle a eu le courage d’accepter de se montrer à visage découvert. Elle était de dos, avait des lunettes et une perruque, si bien qu’elle n’était pas reconnaissable. Sa voix a été également transformée par le montage. Nous sommes dans le documentaire et le documentaire c’est du cinéma du réel, ce n’est pas de la fiction.
Les cinq autres personnes qui ont décidé de témoigner à visage découvert, Leur comportement prouve qu’il y a toujours des gens qui continuent de se cacher et transmettent ce virus volontairement à leurs partenaires. La dernière question que j’ai posé à cette jeune fille était la suivante : « vu que vous êtes séropositive et que votre compagnon ne le sait pas, et qu’il continu d’avoir des rapports non protégé avec vous, si il arrivait que lui il tombe malade et qu’il meurt. », elle m’a répondue : « Se serait de ma faute ! ». Elle est consciente qu’elle pose un acte qui n’est pas bien mais elle n’a pas d’autre choix.
Lorsque je suis allé chez cette jeune fille, j’avais les larmes aux yeux, mais la formation que j’ai reçue m’a permis de me contrôler. Ce n’est qu’une fois arrivée chez moi que je me suis lâchée ; je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Chez elle, le sol est en terre, il n’y a pas de ciment. La précarité dans laquelle elle vit est inadmissible, en se ne croirai pas au Gabon. Pourtant c’est une jeune fille gabonaise de père et de mère gabonaise ; c’est triste.
Aujourd’hui, vit-elle toujours dans les mêmes conditions ?
La situation à un peu évolué parce que quand elle a témoigné la production l’a aidée financièrement. Elle m’a dit qu’elle a repris le chemin de l’école. L’une des questions que je lui ai posées était : « S’il y a quelqu’un qui décide de t’aider, vas-tu abandonner tous ce que tu as commencé à faire positivement.». Elle m’a répondue : « Si quelqu’un veut m’aider, faudrait pas que cette aide ne soit pas passagère. La personne-là doit me prendre en charge. Car si ce n’est pas le cas, je serai obliger de retomber dans ce que j’avais décidé d’abandonner ; c’est un peu un cercle vicieux. ».
A ce jour elle n’a plus trois partenaires également, elle en a un seul. Mais ce dernier n’est pas régulier. Je ne peux pas aussi dire que la situation a changée radicalement car moi je ne peux pas répondre à ses besoins quotidiens.
Comment le film a été reçu par le public ?
Le film a été très bien reçu par le public. Jusqu’à présent je reçois des échos du film, diffusé le premier décembre à la télévision nationale à l’occasion de la journée de la lutte contre le Sida.
Il y a certains bailleurs de fond qui s’occupent de la lutte contre le SIDA qui ont décidé de réagir. On attend de voir les retombés sur ces personnes là. Toutes les personnes qui ont vu le film étaient très prévenues, car c’était la première fois qu’au Gabon qu’il y a un film ou des personnes qui sont malades acceptaient d’en parler; c’était une première.
Les personnages qui sont dans le film ne cessent de m’appeler pour me dire : Depuis que nous sommes passés certaines personnes nous reconnaissent. Ils nous encouragent et nous félicitent pour avoir eu le courage d’avoir participé à ce film.
La première dames qui apparaît dans le film (Madi) m’a appelée récemment pour me dire que en se baladant dans les rues, une dame l’a reconnue et la serrée dans ses bras. Qui lui a dit avec les larmes dans les yeux « merci ». Elle lui a également dit que si ce film était sorti il y a quatre mois, sa sœur ne serait pas morte. Car sa sœur n’acceptait pas sa situation de séropositivité. Elle répétait sans cesse « on m’a fétiché, on m’a fétiché ! ». Elle est morte malheureusement le 1er Novembre. Quand on montait le film, cette femme me disait avec sincérité : « si ma sœur avait vu ce film là, elle ne serait pas morte. ».
C’est autant de témoignages qui me motivent et me disent que le combat contre le Sida continue. J’ai été touché parce que le film a été projeté mercredi soir au CCF en première. Pendant toutes les escales documentaires, c’est à cette projection que la salle fut remplie. Après la projection il y a eu une série de questions- réponses, et j’ai été attristée par un jeune élève de seconde qui m’a demandé la signification du « VIH ». Je lui ai répondu ceci : « toi tu es en seconde et tu ne sais pas ce que c’est que le « VIH ».
Le Cenaci a proposé qu’on fasse des projections dans les lycées pour sensibiliser les élèves, pour que les personnes vivantes avec le VIH soient présentes lors de la projection afin que les élèves posent des questions à ces derniers. Nous allons également faire des projections dans les entreprises pour les employés de celles-ci. C’est un film qui fait vivre, qui est utile en fait, pour la sensibilisation et la conscientisation.
Au sorti de cette expérience, vous avez d’autres projets du genre.
J’avoue que ça été une très bonne aventure pour moi. Je n’ai pas fait de cinéma, j’étais novice. J’ai été très bien encadré du scénario jusqu’à la fin du montage, par Imunga Ivanga, que je remercie énormément car il n’y a pas beaucoup de gens comme lui. En général quand les gens ont un savoir, il n’aime pas partager. Je suis désolée de le dire, mais c’est « méchant ». Souvent les gens font un peu de la mystification sur leurs connaissances. Par contre ce monsieur m’a tout montré. Quand je ne comprenais pas quelque chose, il me l’expliquait avec passion. C’est vraiment quelqu’un de bien.