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Omar Bongo: le frère charento-africain

C’est en Charente, dans l’ouest de la France, que le président gabonais, grand maçon devant l’Eternel, fut formellement initié. Révélation sur les premiers pas d’un néophyte.

Voilà un secret de famille qui, jusqu’alors, n’avait jamais été dévoilé au monde profane. Il date du 9 octobre 1965 et a pour théâtre un temple maçonnique d’Angoulême (Charente). Ce jour-là, la loge des Hommes libres, affiliée au Grand Orient de France (GODF), l’une des deux obédiences majeures de l’Hexagone, accueille en ses colonnes un invité exceptionnel, venu de Libreville. L’homme à la taille modeste mais au port altier qui se présente en ce soir d’automne « sous le bandeau » répond au nom d’Albert-Bernard Bongo. Il exerce alors les fonctions de directeur de cabinet de Léon Mba, premier président de la jeune République du Gabon, après avoir officié aux Affaires étrangères.

De l’aveu même des frères présents, rien alors ne laisse supposer que, deux ans plus tard, ce discret néophyte deviendra à son tour chef de l’Etat. Rien, vraiment? Quelques initiés d’un autre genre, familiers pour leur part des arcanes postcoloniaux, pariaient déjà sur l’ascension de ce fils de paysan, orphelin de père, qui fut employé des postes à Brazzaville, capitale de l’Afrique-Equatoriale française, où il tâta du syndicalisme et s’encarta à la SFIO, l’ancêtre du Parti socialiste, avant d’accomplir son service militaire à Fort-Lamy (Tchad), la future N’Djamena.

Sorcier africain du gaullisme, Jacques Foccart avait d’ailleurs repéré le bosseur un rien rebelle, songeant à lui pour succéder à Mba, miné par un cancer. Au point de le présenter à Charles de Gaulle, maître de l’Elysée. Verdict laconique du Général: « Un type valable » (1).
Pourquoi diable ce « type valable », qui troquera son prénom chrétien contre celui d’Omar en 1973, lors de sa conversion inattendue à l’islam, quitte-t-il l’Afrique pour entrer en maçonnerie ? Et pourquoi choisit-il de sauter le pas au fin fond de la Charente?

La clef du mystère se niche chez un frère angoumoisin très introduit dans l’administration coloniale, Pierre Bussac. Ancien chef de cabinet de Gérard Jaquet, ministre de l’Outre-Mer, Bussac a profité de son passage dans les coulisses du pouvoir pour tisser de solides réseaux d’amitié au sein des élites du continent noir. Lui sait bien que, dans maints pays d’Afrique, les « fils de la veuve » – l’un des surnoms donnés aux maçons – ont déjà posé jalons et maillet. Las! au Gabon, c’est encore le désert. Il voit donc dans cette initiation l’occasion rêvée d’entretenir son tissu de relations politiques, voire de contribuer à l’essor de liens commerciaux à venir.

Le premier initié gabonais l’a été deux ans plus tôt par la Grande Loge de France d’Angoulême. Il s’agit du futur président du Sénat Georges Rawiri, alors ami personnel de Bussac, pilier du système Bongo décédé dans un hôpital parisien en avril 2006. Dans le sillage de ces deux pionniers, de nombreux acteurs de l’avant-scène gabonaise seront bientôt reçus en secret dans le temple de la place Jean-Faure. Deux d’entre eux hériteront plus tard du portefeuille des Travaux publics, un servira à la tête de l’Agriculture, d’autres encore à l’Education nationale ou dans la diplomatie.

Plus de quarante ans après avoir cornaqué la fine fleur du Gabon naissant, Pierre Bussac, toujours installé à Angoulême, n’a rien oublié de sa rencontre ni de ses relations avec le futur Omar Bongo Ondimba. « Je me souviens d’un garçon très efficace, très réaliste, précise-t-il. Un garçon doté d’une vision assez large de la politique africaine et de l’arène internationale. » A 87 printemps, le parrain Bussac, figure influente de la gauche locale, évoque aussi, avec le sourire, un Bongo « agent des PTT et adhérent de la SFIO ». « Comme tous les grands despotes africains, il a vite confondu le budget du pays et son portefeuille personnel. »
De retour au pays, souligne son ex-mentor, le frère Albert-Bernard délaissera le Grand Orient pour se rapprocher de la Grande Loge nationale française (GLNF). Avant de prendre ses distances avec la maçonnerie bleu-blanc-rouge et de fonder une obédience maison, le Grand Rite équatorial. En cela, le « type valable » de Foccart et de De Gaulle aura joué deux fois les défricheurs. D’abord, l’entrisme « par le haut » de la GLNF, encline à élever hâtivement d’éminents novices à de très hauts grades, lui a permis depuis trois décennies de tailler des croupières aux rivaux du GODF, longtemps vecteur de la pénétration maçonnique en Afrique. Ensuite, divers présidents africains initiés sur le sol de l’ancienne métropole coloniale tenteront, avec un bonheur inégal, de « tropicaliser » leur allégeance maçonnique.

« Bongo a vécu sa propre vie dans les loges, conclut Pierre Bussac, fataliste. Je n’ai fait que lui mettre le pied à l’étrier. » Depuis lors, l’intéressé est resté en selle, même si le Gabon, émirat pétrolier du golfe de Guinée, ressemble à s’y méprendre à un cheval fourbu.

1) Journal de l’Elysée. Tome I : Tous les soirs avec de Gaulle, par Jacques Foccart (Fayard/Jeune Afrique).

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