Revenant sur ses discours du 2 décembre 2007 et du 31 décembre 2008, le chef de l’Etat gabonais, Omar Bongo Ondimba, a expliqué dans une récente interview accordée au journal « Continental » les objectifs, les enjeux et la portée de sa politique face aux nombreux conflits sociaux, politiques et diplomatiques qui agitent le Gabon. Avec fermeté, il répond sur les attaques de la société civile gabonaise et étrangère, en brandissant la bannière de la souveraineté nationale et de la préservation de la paix sociale.
Votre discours de fin d’année 2008, a été notamment caractérisé par une sévère critique de l’action gouvernementale. Compte tenu des manquements dont vous avez fait état, où se situent exactement les blocages? Sont-ils liés au choix des hommes ou à une méthode de gouvernement?
«Ce discours du 31 décembre 2008 fait suite à celui que j’ai prononcé un an plus tôt, le 27 décembre 2007. En 2008, je n’ai fait que répéter ce que j’avais déjà exprimé auparavant, c’est-à-dire mon sentiment d’insatisfaction et mon mécontentement, eu égard aux tâches que j’avais confiées à ce «gouvernement de mission».
Je pensais qu’on m’avait compris en 2007, mais malheureusement, force est de constater que cela ne fut pas le cas. Manifestement, je n’avais été ni suivi ni compris. J’ai donc réitéré mes préoccupations, afin que les choses soient claires une fois pour toutes. Dans ce discours, j’ai choisi d’être sincère avec moi-même, avec le peuple, et à l’égard de tous les acteurs concernés. Si le gouvernement chargé de l’application de la politique que j’incarne n’a pas été à la hauteur de sa mission, eh bien, tant pis pour lui. Mon discours s’adressait également à l’administration qui a elle aussi failli. Le Premier ministre qui est le chef de gouvernement en même temps que celui de l’administration a pris bonne note de mon constat. Je lui ai demandé de changer de fusil d’épaule, et de se pencher sur la composition d’un nouveau gouvernement… Je pourrais ainsi juger de la qualité des hommes et des femmes proposés et de la méthode nouvelle pour rendre plus efficace l’action du gouvernement. Le Premier ministre a initié une nouvelle feuille de route, à travers laquelle j’ai pu percevoir les efforts que devront faire certains ministres pour accomplir convenablement les missions qui leur seront confiées. Il reviendra au Premier ministre, en fonction des appréciations portées sur les résultats des divers ministres, soit de les remercier, soit de les reconduire dans leurs fonctions.
Pourquoi avoir insisté pour intégrer des membres de l’opposition dans le gouvernement?
J’ai souhaité la constitution d’un gouvernement de large ouverture. Vous savez, à chaque fois que l’on compose un gouvernement, certains se plaignent que l’on ne fasse pas appel à eux, y compris des gens de l’opposition. Cette fois-ci, j’ai demandé de manière directe, claire et précise que le Premier ministre prenne contact avec les leaders des partis d’opposition, ou ceux qui se sont toujours présentés comme tels. Le principe était simple : s’ils en sont d’accord, ils pourraient apporter leur pierre à l’édification du Gabon. Mais en cas de refus de leur part, ils devraient se montrer plus humbles et réfréner leur critique systématique du pouvoir.
Certains estiment que le fait d’avoir fait appel à l’opposition, traduit un aveu d’échec de la part du pouvoir…
Oui, il y en a qui le disent. Mais de quel échec parlent-ils ? Au sein du Parti démocratique gabonais, le parti majoritaire, il y a de très nombreux cadres compétents, capables d’assurer leurs missions au service du Gabon. Mais, j’ai voulu faire appel à ceux qui se disent de l’opposition, afin que chacun vienne faire la preuve de ses compétences, et ne plus se contenter de critiquer nos actions. Qu’ils nous disent en quoi on a échoué et qu’ils nous aident à mieux faire. Je n’ai pas à répondre aux critiques par des critiques. C’est à la fois inutile et contre-productif. Bref, j’ai besoin de tout le monde.
N’est-il pas important aussi, au Gabon, de conserver un espace d’expression pour l’opposition ?
Cela va sans dire. L’ouverture que j’ai voulue n’empêche pas l’opposition d’avoir son espace d’expression. Au contraire…
Au moment où nous réalisons cet entretien, des membres gabonais de certaines ONG qui mènent une offensive très critique contre votre régime viennent d’être arrêtés et incarcérés. Que pensez-vous de ces arrestations que certains pensent téléguidées depuis la présidence…
Ce sont des allégations sans intérêt. De quoi s’agit-il ? De gens qui mènent des actions qui ne méritent pas qu’on leur accorde le moindre crédit. Selon le ministre de l’Intérieur, il s’agit d’un petit groupe d’individus qui, après avoir constaté que leurs manœuvres de déstabilisation, organisées depuis l’extérieur du Gabon, ne produisaient pas les résultats espérés, ont décidé de changer de mode opératoire. Après avoir tout essayé, y compris des plaintes déposées contre moi à l’étranger, en pure perte, ils auraient décidé de corrompre certains Gabonais, à l’intérieur même du pays. La méthode consisterait à recruter, dans les régions, des petits groupes de Gabonais qui allaient ensuite se rendre à Libreville pour, en quelque sorte, être formés aux manœuvres de déstabilisation : rédiger des plaintes contre le régime, organiser des manifestations, orchestrer des revendications… Mais malheureusement pour eux, le Gabon est un pays responsable et indépendant. Les Gabonais, qui ont été approchés pour cette opération, se sont interrogés sur les buts visés, sur la nature de ces documents et messages électroniques reçus de pays étrangers, depuis la France surtout, et rédigés par des compatriotes, des avocats étrangers… Ils se sont interrogés sur la raison d’être de ces actions de harcèlement menées contre le Gabon. Ici, les services compétents ont été informés de ces agissements insolites et ont cherché à comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire. Les auteurs présents sur le territoire ont été appréhendés afin d’être entendus. Évidemment, ils sont en situation de défendre leurs droits conformément aux textes en vigueur et aux principes de la justice.
Étant donné l’émotion et les commentaires suscités par cette affaire, pensez-vous que le ministère de l’Intérieur avait en sa possession des éléments probants justifiant ces arrestations?
Voilà des gens qui, depuis longtemps, s’acharnent contre le Gabon et le président Bongo. Ils ont tout dit, tout tenté, ils ont déposé des plaintes, ils ont été déboutés… Malgré cela, ils ont poursuivi leurs manœuvres. Ils peuvent désormais comprendre au moins que le Gabon est un pays souverain attaché à la paix sociale capable de défendre son territoire et de mettre en œuvre les mécanismes d’une justice indépendante.
Pourquoi ne pas déposer une plainte vous-même, étant personnellement concerné…
Non, cela ne m’intéresse pas…
Comment expliquez-vous ce regain de virulence d’une opposition qui agit depuis l’extérieur… Quel sentiment vous inspire cette situation nouvelle: indifférence, vigilance?
De vous à moi, je vous dirais que je suis simplement surpris. Depuis quelque temps, on a déclenché une campagne d’accusation contre plusieurs chefs d’État depuis l’extérieur. En fin de compte, toutes les attaques semblent dirigées contre ma seule personne. Où sont passés les autres chefs d’État dans cette campagne? Maintenant, on n’entend plus que : Bongo, Bongo… Bongo est-il plus important que tous les autres chefs d’État ? Ou alors, ce qu’on croit pouvoir reprocher à Bongo est-il plus important ? Mais je dois vous dire qu’à aucun moment, cela ne m’a donné des insomnies. Je n’en ressens aucun trouble. J’ai depuis longtemps l’habitude de ces rengaines…
Cette campagne qui porte entre autres sur le patrimoine immobilier en France du président Bongo Ondimba s’était calmée, puis a rebondi ces dernières semaines dans certains médias français qui ne s’étaient jamais autant intéressés à ce type d’affaire. Cela influe-t-il sur les relations entre la France et le Gabon?
Que dire ? Vous dites vous-même : tantôt on a l’impression que c’est terminé, et puis soudain, ça reprend. Où sont déposées les plaintes? Pas au Gabon, mais à Paris. À Paris où il y a des messieurs pense-à-tout, des je-sais-tout. Au Gabon, nous sommes des spectateurs et eux, les acteurs. Nos interlocuteurs français sont-ils des pompiers ou des pyromanes ? Tout cela nous laisse songeurs. Les Gabonais se demandent : pourquoi focalise-t-on sur un seul chef d’État, celui du Gabon? Ils aimeraient qu’on leur explique. Deux plaintes ont été déposées en France, et ont abouti à un non-lieu. Mais ça continue. Nous attendons qu’on nous explique cet acharnement contre le Gabon et moi-même. Qu’on nous donne le moindre exemple de biens mal acquis en France. Si avoir des biens en France est un tort, on pourrait en faire le reproche à de très nombreuses personnes. On parle de trente-trois appartements, onze comptes bancaires… C’est de la folie ! Où tout cela se trouve-t-il? On ne le dit pas. Et le même refrain continue. À force, cela s’apparente à de la provocation. À quelles fins ?
Dans ce contexte, comment qualifieriez-vous les relations entre les gouvernements français et gabonais: apaisées, normales ou difficiles?
Au fond, quand on observe tout cela sérieusement, on a l’impression qu’il y a quelque chose… qu’on en veut au Gabon, au président Bongo. On peut penser qu’il y a des intentions cachées, inavouées… Mais nous sommes patients. Armons-nous de patience. Peut-être qu’on finira par connaître la vérité…
Parlons de vos actions diplomatiques sur le continent. Au mois de décembre, vous avez supervisé, en qualité de médiateur, le dialogue politique inclusif intercentrafricain. En quoi les conclusions de ce énième dialogue destiné à résoudre la crise politique en Centrafrique comportent-elles davantage de chances de réussite que les précédents?
À Bangui, je ne peux pas dire que tout s’est déroulé de manière idéale. Je pourrai le penser lorsque je verrai les accords de Bangui accoucher d’un nouveau gouvernement. Qu’on le veuille ou pas, il faut bien reconnaître que ce qui compte pour les différents acteurs, c’est d’aller à la soupe. Chacun veut aller à la soupe et voir sa gamelle à moitié remplie, et c’est tout. Si la motivation des uns et des autres consistait à se battre pour des lendemains meilleurs, on n’en aurait pas compté beaucoup à ce dialogue. Tant que ce gouvernement n’est pas mis en place, nous ne pouvons pas dire : «Bravo Bangui !». On peut néanmoins être satisfait de voir les acteurs renoncer à la guerre. C’est déjà en soi une première victoire. Toutefois, l’essentiel, une fois débattues les questions économiques, politiques et sociales, c’est de rendre effectif le partage des responsabilités. C’est le seul moyen de permettre à toutes les parties en conflit de se mettre au travail pour prouver leur capacité à reconstruire leur pays. Sans cela, comment pourrons-nous juger de la réussite ou non de ce dialogue?…
Vous vous êtes fortement investi depuis des années dans la résolution de la crise centrafricaine. Vous avez parlé avec tous les acteurs impliqués, prodigué des conseils, entrepris des actions diplomatiques complexes. N’êtes-vous pas un peu fatigué, déçu ou amer face à la situation à Bangui?
Amer, peut-être pas. Un peu déçu, oui. Parce que j’aime faire les choses vite et bien. Or, dans cette situation, le Gabon a agi vite et bien. Mais ce bien apparaît relatif. J’aurais souhaité que l’on ne s’éternise pas sur la mise en oeuvre des solutions préconisées, afin que les habitants de Centrafrique se mettent au travail et connaissent le chemin du bonheur. Tout ce que nous avons pu dénoncer là-bas -des tueries, des arrestations- n’est pas normal, et doit être définitivement proscrit. Mais pour ce faire, il faudrait faire des choix clairs en matière de programme de gouvernement. Le président centrafricain, François Bozizé, a dit que le pays était pauvre. Ce n’est pas vrai. J’ai répondu que le pays n’est pas pauvre, mais qu’un certain nombre de ses citoyens ne veulent pas que le pays soit tranquille et paisible afin qu’on œuvre en toute quiétude à son progrès. Il faut choisir entre la guerre et le développement économique.
Au vu de cette situation, peut-on dire des acteurs politiques centrafricains: tous responsables?
Oui, je le pense.
La communauté internationale a été surprise par le coup d’État perpétré par un groupe de militaires en Guinée le 23 décembre 2008, quelques heures après la mort du président Lansana Conté. Que pensez-vous de la situation actuelle dans ce pays ?
En agissant ainsi, les militaires guinéens ont peut-être pensé préserver le pays de possibles débordements, du désordre, et peut-être même d’un bain de sang. Mais il y a eu un couac, ils se sont trompés sur un point : le fait d’avoir suspendu l’ordre constitutionnel, et de s’être érigé en gouvernement. Ils auraient pu se contenter de suspendre la Constitution pour une courte durée, une semaine, voire un mois. Mais douze mois, c’est excessif. Pour nous, pour l’Union africaine, cela signifie simplement un coup d’État.
Ce qui justifie la position de l’Union africaine qui a suspendu la Guinée de ses instances…
Oui, conformément aux règles statutaires de l’Union africaine, appliquées aux gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Ces militaires auraient dû simplement permettre le fonctionnement normal des institutions, c’est-à-dire laisser le président de l’Assemblée nationale assurer, durant la période de transition prévue par la Constitution, la gestion des affaires de l’État et organiser de nouvelles élections. Et au besoin, ils auraient pu se contenter d’un rôle de surveillance et de vigilance durant cette période transitoire. Par ailleurs, si on avait demandé à l’Union africaine de veiller sur place à la bonne marche des institutions, elle aurait pris ses responsabilités à cet égard. Et on aurait préservé la Guinée de la situation actuelle. On aurait adopté une position d’attente, et au besoin, créé les conditions pour l’organisation des élections dans un délai raccourci de cinq ou six mois…
S’agissant précisément de l’Union africaine, comment jugez-vous son fonctionnement aujourd’hui ? Et à propos de la mise en place d’un gouvernement africain, pourriez-vous nous repréciser votre position ?
Le fonctionnement de l’Union africaine serait optimal si le président de la Commission avait les moyens de sa politique. En ce qui concerne le gouvernement de l’Union, j’ai déjà donné mon point de vue au nom du Gabon. Je suis pour, dans un délai rapide. Mai la question demeure la même: s l’Union africaine souffre aujourd’hui d’absence de moyens, ce n’est pas en instaurant un gouvernement panafricain qu’elle en obtiendra davantage. Pour réaliser les objectifs de l’organisation, il faut que des hommes! de bonne volonté se sacrifient pour la communauté, que certains payent à la place des autres pour faire fonctionner la machine… Le reste suivra…
L’Afrique subit une sorte de double choc: après la crise alimentaire, elle doit faire face aux conséquences de la crise financière internationale. Comment se comporte le Gabon face à cette conjoncture?
Le Gabon est confronté, comme tous les pays, à ces difficultés. Et ce n’est pas parce que notre pays ne s’exprime pas bruyamment sur ces questions qu’il en est pour autant préservé. Nous nous adaptons au contexte mondial. Le ministre de l’Économie et des Finances et ses collègues s’appliquent à trouver des solutions durables. Plusieurs réunions et séances de travail sont organisées à cet effet par les différentes administrations concernées sous l’égide du ministre de l’Économie et des Finances.
Il a fallu revoir le budget, par rapport notamment à la baisse du prix du pétrole…
Il faut, dans nos stratégies, oublier le pétrole. J’ai indiqué au gouvernement de ne pas prendre en compte le pétrole. C’est une ressource non renouvelable. Donc, il ne faut pas qu’on l’intègre de manière significative dans nos prévisions. Il faut compter sur d’autres matières premières et agir comme si nous ne produisions pas de pétrole.
Vous avez initié une politique de diversification des ressources économiques et aussi des partenaires. Quel bilan peut-on déjà établir sur ce point?
S’agissant de la diversification de l’économie, le gouvernement s’attelle à la consolidation de cette nouvelle orientation. Les Gabonais sont informés à ce sujet, et les résultats sont déjà perceptibles, même si l’on sait que c’est un investissement sur le moyen et long terme, puisqu’il s’agit d’un changement de culture politique et économique. Quant aux partenaires du Gabon, nous sommes également satisfaits de nos options. Certains amis qui n’avaient pas compris les fondements de cette politique de diversification, et qui s’étaient retirés, reviennent aujourd’hui. C’est un bon signe. Ils avaient fermé les portes d’eux-mêmes, et décident d’eux-mêmes de revenir. Nous leur disons : prenez votre place.
Vous parlez des partenaires anciens que l’on qualifie d’historiques?
Parmi ceux qui avaient fermé les portes, il y a aussi bien des anciens que des nouveaux…
Pouvez-vous nous préciser lesquels?
(Silence et sourire).
Vous avez envoyé une lettre de félicitations à Barack Obama après son élection. Une émotion particulière le 20 janvier 2009, date de son investiture?
Oui et non. Oui, parce que c’est tout de même un événement de voir un homme de cet âge (46 ans, ndlr) devenir le premier président noir dans un grand pays comme les États-Unis. Non, parce qu’on peut penser que les Américains ont eux aussi simplement évolué, en ayant compris que le temps de la ségrégation raciale est révolu, et que n’importe quel citoyen jouissant de ses droits et accomplissant ses devoirs, peut accéder à la fonction présidentielle. Ce qui a rendu possible l’élection du président Barack Obama. Nous ne pouvons que féliciter le peuple américain d’avoir exprimé cette réalité au travers des urnes».