Trois semaines après la sortie du livre de Pierre Péan, de nouveaux éléments à charge apparaissent contre l’ex-« French doctor ».France Inter a levé le lièvre des rapports de Bernard Kouchner sur le système de santé gabonais. Et le résultat est édifiant: l’audit du French Doctor apparaît bien léger et surtout inutile. Trois semaines après la sortie du livre polémique de Pierre Péan, la position du ministre des Affaires étrangères devient de plus en plus fragile, à mesure que se dévoile les travaux du consultant. A-t-il vendu son influence à Omar Bongo? Enquête.
Que contient le rapport Kouchner?
Première révélation de l’enquête de la radio publique, le rapport d’audit de 107 pages (dont 17 d’annexes) est co-signé par quatre personnes: Bernard Kouchner, Eric Danon (un diplomate), Isabelle Stroebel (médecin de santé publique) et Jean-Elie Malkin (médecin de l’OMS). Il sera suivi d’un second rapport égrénant leurs propositions de réforme. Pour cette mission, les auteurs ont passé 24 jours sur place (Kouchner trois fois une semaine), en septembre et novembre 2003.
La première partie du rapport est un constat sans surprise de l’état de délabrement du système de santé gabonais: hôpitaux sous-équipés, absence d’encadrement, médicaments inaccessibles, couverture sanitaire insuffisante… Au passage, les consultants insistent sur la volonté politique d’Omar Bongo:
« On observe aujourd’hui un engagement politique fort au profit de la santé. La santé faisant partie des secteurs prioritaires de développement de la politique générale du gouvernement et surtout du Président. »
Dans un second rapport de 24 pages remis en août 2004, les consultants font le tour des propositions de réforme envisagées. En commençant, en introduction, par la patte des « French Doctors »:
« Pour certains d’entre nous qui avons été à l’origine de Médecins sans frontières, il s’agit non de remplacer un concept par un autre, mais de les compléter tous par celui de ‘malades sans frontières’ en organisant et pérennisant les financements des systèmes de santé des pays les plus pauvres, sous la direction des autorités politiques et des peuples concernés eux-mêmes. »
Et de défendre un principe d’actualité en France: il faut, disent-ils, « en finir une fois pour toutes avec un des dogmes les plus difficiles à combattre, celui de la gratuité des soins » afin de « s’orienter progressivement vers une participation aux coûts ». Le tout à travers « trois axes principaux »:
1. La création d’une couverture maladie pour tous les Gabonais
2. L’amélioration de l’offre de soins
3. Une nouvelle politique des personnels de santé
En tout point, les réformes prônées ressemblent à un copier-coller du système de soins français. Pas forcément très adapté pour un pays comme le Gabon, classé 107e à l’Indicateur de développement humain (IDH) du Pnud en 2008.
Combien le rapport a-t-il été payé?
Dans son livre, « Le monde selon K », Pierre Péan avance un montant global de 2,6 millions d’euros pour l’ensemble de la mission. Le ministre Kouchner a fourni une estimation plus modeste dans le Figaro:
« Je n’ai jamais touché les sommes dont parle Pierre Péan. J’ai été bien moins payé que la plupart des experts internationaux (Banque mondiale, OMS…) J’ai été rémunéré moins de 6000 euros par mois après impôts sur trois ans pour un travail considérable dont tout le monde peut se féliciter. »
Le patron d’Imeda, la société relais d’Eric Danon, avance le nombre de 1,3 million d’euros, réglés en quatre fois sur trois ans. Quant à l’avocat de Bernard Kouchner, il fait état d’un contrat de 400 000 euros pour le consultant de luxe, avant impôt. Soit un salaire de 13 000 euros par mois, sur trois ans.
Dans tous les cas, ce tarif semble bien supérieur à ceux pratiqués sur le marché du conseil. A moins de considérer que Bernard Kouchner ait vendu autre chose que sa compétence d’expert en santé publique. Ses proches accréditent d’ailleurs cette hypothèse, par l’argument de sa proximité avec le président gabonais. France Inter cite un « proche » non identifié du chef de la diplomatie:
« Bernard Kouchner est la seule personne qui a pu dire à Omar Bongo: ‘L’hôpital qui porte le nom de ta mère est dans un état inacceptable. C’est inacceptable que tu ne fasses rien pour lui. Tu as l’argent pour le remettre en état!' »
En clair, dans le langage des affaires, Kouchner a joué le rôle d’ouvreur de portes auprès des responsables politiques africains. A son équipe, ensuite, de transformer l’ouverture en contrat. Dans cette vidéo, il justifie son travail à l’Assemblée nationale, face aux questions des députés PS. Ce rapport était-il nécessaire aux Gabonais?
Dernier aspect tout à fait contestable de la mission conduite par le ministre-consultant, le soupçon de plagiat. Un an et demi tout juste avant de remettre ce fameux rapport en mains propres au président Bongo, un autre rapport -Evaluation de la coopération française dans le secteur santé au Gabon (1990-2001)- dressait un état des lieux complet de la situation sanitaire du Gabon.
Ce texte de 160 pages, signé par trois experts, a été commandité et publié par… la Coopération française. Autrement dit, le Quai d’Orsay! Cette vraie mission d’évaluation, la première depuis 1989, fait l’objet d’une méthodologie précise. Elle pointe toutes les lacunes de la politique de santé locale, ainsi que celles des programmes de coopération. Extrait:
« Manifestement, la santé ‘publique’ n’est pas une priorité et l’Etat ne manifeste aucune volonté d’y remédier. (…) Le Gabon a ainsi pris quinze ans de retard par rapport à de nombreux pays africains en matière d’organisation de système de santé et s’avère incapable à ce jour de mener une politique sanitaire efficace. »
Il rappelle la promesse, jamais tenue, d’Omar Bongo en 1998:
« Je vous fais aujourd’hui la promesse que dans les toutes prochaines années, tout Gabonais, où qu’il vive et quels que soient ses revenus, aura accès à des soins de qualité. »
En évoquant, au chapitre des solutions, un projet de… couverture maladie. En résumé, expliquent les experts, tout le monde sait ce qu’il manque et comment améliorer la situation, mais il ne passe rien.
Dernier point, étrange, que les opposants au régime Bongo ne manquent pas de relever. Lors des discussions qui eurent lieu à partir de 2005 pour mettre en place une caisse d’assurance-maladie, aucun député gabonais n’a eu entre les mains le rapport Kouchner. Pour quelle raison? « Clause de confidentialité entre Imeda et le Gabon », répond-t-on à Paris. Les Gabonais, eux, attendent toujours l’effet French doctor…